LE WEB ET LA CULTURE :
LES START UP AND DOWN DE FRÉDÉRIC GROLLEAU
Locaux spacieux, loft en open space, ordinateurs rutilants, ambiance « jeune »… notre entretien à Manuscrit.com avec Frédéric Grolleau, professeur de philosophie en détachement et figure emblématique de la critique littéraire sur le Web, a été l’occasion de faire un point – décontracté – sur les espoirs et les désillusions de la « révolution » Internet, un média qui n’a pas fini de bousculer le domaine de la culture…
L : Comment vous définiriez-vous, au vu de vos différentes fonctions, vous qui avez participé au lancement de beaucoup de start-up, notamment, je lance le terme, de « start-up littéraires ». Quelques propositions : « pigiste multicarte », « animateur de télé alternative », peut-être « confidentielle », et/ou en tout cas journaliste dans un média alternatif ; peut-on considérer qu’il s’agit d’un média alternatif ?
F.G : D’accord pour le mot alternatif , « journaliste », ça se complique: il faudrait définir le terme. C’est le propre du philosophe de définir les concepts… Au sens premier du terme, le journaliste est quelqu’un qui informe avec des chroniques journalières, ou des revues-papier, -plastique… c’est pour cela que je ne suis pas journaliste ; enfin je ne l’étais pas jusqu’à il y a assez peu de temps (septembre 2001), lorsque je n’écrivais quasiment que sur Internet, si on laisse de côté le travail que je fais dans les revues (Les cahiers de Saint-Martin, Le Philosphoire, Res Publica). A cela s’ajoute désormais mes critiques paraissant dans des mensuels comme K.O.G ou Pavillon Rouge.
Mes activités sur Internet ont principalement débuté par des critiques de livres sur Paru.com, site qui date de 1998 (amorcé en 1997) ; mais ce n’était pas du journalisme, pas du billet d’humeur, seulement des présentations d’ouvrage. Je ne suis pas journaliste, je n’ai pas fait d’école pour cela ; on me donne cette étiquette car j’ai travaillé pour des revues-papier, j’ai ecrit des articles de livres, voire des articles qui peuvent s’apparenter à du travail de journaliste…
L : Journaliste plutôt dans le sens « d’écrivant dans les médias », dans un sens vague… Vous écrivez sur votre créneau, puisque de formation littéraire, philosophe, vous avez un titre à parler de cela – et vous avez un média, ce qui n’était pas forcément dans vos plans au début ? (Enfin, si l’on a un plan quand on exerce l’activité d’enseignant)…
F.G : Ce serait prétentieux de dire que j’avais prévu il y a quelques années de travailler sur de multiples supports ; c’est le propre d’Internet : un support en appelle généralement un autre, par ramification, rhizome, capillarité ; je suis passé assez rapidement sur Paru.com alors que j’étais encore professeur de philosophie en classes prépas, puis à la télévision sur Internet, c’était l’aventure CanalWeb (avec 2 emissions hebdomadairesparu TV, A vous lire), ce qui est d’autant plus touchant que cette société a déposé le bilan hier après-midi – quelque chose qui n’est pas sans m’interpeller et un peu m’inquiéter, sur ce que sont justement les nouveaux médias.
C’est le signe en tout cas que ces nouveaux circuits de culture sont soit mal gérés (c’était en partie le cas de CanalWeb) soit peut-être encore refoulés, pour parler en termes psychanalytiques, par une partie de la population, ne serait-ce que parce que cette partie-là n’y a pas accès ou ne veut pas y accéder, ou y accède avec des contraintes techniques ou technologiques qui le rebutent.
L : Pour CanalWeb, avant la fermeture, il était question de faire payer les prestations ; y a-t-il un problème de rentabilité ?
F.G : Oui ; c’est un modèle économique qui n’est pas sans interroger, ou mettre l’accent sur, un certain mode de fonctionnement.
L : Pour en revenir à vous, il semble qu’il y ait une sorte de contradiction implicite dans vos activités, entre le fait d’être chroniqueur littéraire (plutôt que journaliste ?)…
F.G : Je ne suis pas chroniqueur littéraire non plus !
L : Vous refusez de vous définir en quelque sorte ?
F.G : Non au contraire, je me définis très précisément – Paul Valéry disait que l’indéfinissable faisait partie de la définition de la poésie – : je suis critique littéraire. C’est un grand sujet de débat justement dans ces murs (manuscrit.com), où je suis responsable éditorial, parce qu’on est cinq responsables éditoriaux (il y a un secteur sciences humaines, histoire, très lourd à gérer, parce qu’on travaille beaucoup avec des universités, etc., on récupère des sujets de mémoires de maîtrises, de thèses ; et à côté, il y a le pôle fiction, non-fiction) ; je travaille ainsi avec Philippe Di Folco qui est responsable de la culture sur Nova, et sur Paris Première avec Frédéric Beigbeder, Or Philippe se définit comme un chroniqueur littéraire, c’est-à-dire quelqu’un qui met en avant une subjectivité, dans des articles toniques, mais assez courts, sur des ouvrages.
Moi au contraire, je revendique le titre de critique littéraire, c’est-à-dire quelque chose qui n’est pas que la simple présentation d’un texte mais un engagement analytique ou conceptuel un peu plus élaboré, fût-ce sur des bandes dessinées ou des DVD, que je couvre aussi. Peut-être que mon écriture n’est pas en ce sens une écriture Internet c’est-à-dire une écriture brève, pour des articles tenant sur un écran, de l’ordre de 1500 signes. Mes « chroniques » sont peut-être « trop longues », mais n’est-ce pas la définition de l’audace pour Sacha Guitry : savoir jusqu’où on peut aller trop loin ? J’excède donc volontairement, en partie, les contraintes d’Internet.
L : « Vous dépassez les bornes » de la définition de la culture, aussi, apparemment, dans son acception élitiste, puisqu’il n’y a pas de support qui ne vous intéresse pas ; par exemple, « L’Humeur du Marcassin » traite de la BD, vous êtes critique de BD… Donc c’est une définition assez large, actuelle d’ailleurs, de la culture. Vous voyez-vous dans la mouvance ou la suite de Nova, dans la filiation des radios libres ?
F.G : Non ; peut-être que vu de l’extérieur, cela fait penser à une filiation, mais en fait, plus simplement, je n’ai pas choisi de devenir cela. C ’est l’ensemble de ces choses qui font que je suis passé de l’une à l’autre, mais je n’y suis pas passé de manière rayonnante en étant appelé, avec des salaires monstrueux ; c’est un parcours modeste, banal, voire médiocre, au sens latin du terme : c’est un moyen terme, Ce que j’essaie de faire, et c’est là que les choses se compliquent, c’est utiliser la culture qui est la mienne, qui a ses lacunes comme celle de tout un chacun, pour éclairer d’un œil qui est le mien, des ouvrages qui m’intéressent. Rarement d’ailleurs les ouvrages qui me rebutent car quand un livre ne me plaît pas – sauf si je suis vraiment déçu, car la déception est une sorte d’amour inversé (c’est-à-dire que j’ai cru en ce livre, j’ai commencé à le lire, je me suis investi, j’ai été déçu par rapport à mon attente première, auquel cas je peux être assez sévère) – je préfère ne pas en parler. Il y a suffisamment de bons livres pour laisser les mauvais de côté, il est inutile de faire de la polémique stérile. Il est très rare que j’écrive de manière négative, ce qui est plus de la chronique littéraire ; je ne veux pas faire comme certains magazines ou journaux, du type "Les Inrockuptibles" qui se sont fait une griffe, presque un label, dans la destruction ; c’est toujours plus facile de démonter que de construire quelque chose alors, j’essaie plutôt de construire.
L : Donc cela renvoie, en tout cas, par rapport au champ médiatique, comme vous l’évoquiez, à une perception de la culture qui est assez différente. N’y a-t-il pas une sorte de décalage entre l’activité hautement intellectuelle de décortiquer un roman ou un ouvrage, par rapport à l’analyse de quelque chose qu’on pourrait considérer comme de la « sous-culture » ?
F.G : Il est évident qu’une BD n’est pas La Critique de la raison pure, qui elle-même n’est pas un essai sur le racisme… Ce sont des supports différents, on ne lit pas une bande dessinée de la même manière qu’on lit un roman ou un ouvrage de philosophie ; il est entendu qu’en voie de conséquence l’article n’est pas le même, et on ne s’adresse peut-être pas au même public.
L : Mais vous avez justement une espèce de relation différente avec le public, du fait du média employé ? Le « retour » sur le critique de BD n’est pas celui des critiques sur papier.
F.G : Oui ; c’est peut-être utopique mais l’idéal serait pour moi, non pas de parasiter (car c’est un mot négatif), mais de créer des passerelles entre ces genres ; bien sûr, cela reste de la critique de BD, je ne vais pas appliquer la théorie platonicienne à une BD de « Blake et Mortimer » ; on peut le faire, ce serait d’ailleurs très intéressant, mais ce n’est pas l’objectif. L’objectif est plutôt de proposer un regard sur… Mais c’est un regard empreint de subjectivité, qui peut être déformé, et pas informé par une formation culturelle qui vaut ce qu’elle vaut. Vous parlez de « L’Humeur du Marcassin », j’en suis flatté car c’est un site relativement peu connu du public, parce que j’ai tout fait pour cela ; je ne lui ai pas donné le nom d’un site de critique littéraire, pourtant à ma connaissance, c’est un des rares sites de critique littéraire existant. Voilà qui est révélateur de ce qui m’ intéresse dans Internet : la possibilité d’un renversement ; en fait, je n’ai pas écrit des articles pour les offrir à des gens et dire : regardez-moi. Il m’est arrivé, par le passé d’écrire des articles sur de multiples supports parce que cela m’intéressait et un jour, je les ai regroupés en une « BDP », une base de données personnelle. Ce sont mes tiroirs à moi ; il y a une phobie chez les journalistes et chroniqueurs du Web, parce que l’on est dans le virtuel, pas dans le palpable, c’est de la pixellisation, alors on imprime « comme des fous » nos textes pour les archiver…
Je me suis rendu compte que j’avais un outil extraordinaire dans Internet ; il suffisait de recollecter l’ensemble de ces textes et de les archiver dans un endroit si possible arbitraire. « L’Humeur du Marcassin » est d’ailleurs un site professionnel au plus haut point, puisqu’il est ouvert aux attachés de presse, aux éditeurs, etc. ce qui n’empêche pas tous ceux qui le souhaitent de le consulter, même si l’objectif premier de la création de ce site ne réside pas dans cette fréquentation-là.
Pour donner un exemple concret, en termes d’interactivité, dans la presse traditionnelle et dans le monde des revues aussi, les délais sont assez lourds, puisqu’il y a le bouclage, la mise sous presse, la distribution qui n’est pas très facile (notamment pour les revues) ; en fait, l’ensemble de ces supports prend du temps à mettre en place et à être offert au public. L’avantage en ce qui me concerne est le suivant : si par exemple je vois aujourd’hui une information su runouvrage ou un livre qui me plaît dans une librairie, j’appelle l’attachée de presse et lui demande de me l’envoyer. Dès réception, si je suis « énervé », je le lis dans la nuit – quel que soit son format, – j’écris un article immédiatement et le lendemain matin, cela prend deux minutes pour mettre cet article en ligne sur mon site, où il est envoyé à amazon, Lire, Res Publica, Pavillon Rouge ou K.O.G… C’est très rapide, très réactif ; non pas la réactivitéau sens de Nietzsche mais une valeur positive d’adaptabilité en l’occurrence.
L : À propos du réactif, il y a justement la question du retour du public. Paru.com fonctionne sur un principe que vous appelez la plate-forme ; vous avez parlé de passerelle tout à l’heure ; vous mettez en place une sorte de trilogie éditeur-lecteur-auteur que vous chapeautez. Dans cette configuration originale, le rôle de l’auteur est revalorisé car selon le directeur de Paru.com, « on n’est pas là pour servir la soupe, mais pour affronter un texte » Est-ce qu’il n’y a pas là une dimension d’utopie par rapport à l’édition traditionnelle ?
F.G : Il faut bien séparer les choses : officiellement, je suis responsable éditorial ici à Manuscrit.com, qui est une maison d’édition multi-supports ; tournée vers différentes activités, assez révolutionnaire dans le marché français. Paru.com est un site de critique littéraire où je ne travaille plus puisque l’utopie a dégénéré : la qualité de ce site reste ce qu’elle est, mais les problèmes de financement ont fait qu’au bout d’un certain temps, c’est-à-dire en gros (et en ce qui me concerne) au bout de trois cents articles non payés et 50 heures par semaine pendant deux ans, j’ai estimé que je pouvais maintenant décemment, ou indécemment ( ?), espérer gagner ma vie en vendant mes articles, c’est-à-dire en devenant multipigiste. Ce site de paru.com m’a lancé en tant que critique littéraire, voire m’a lancé tout court sur Internet, mais dans des conditions qui seraient maintenant complètement hallucinantes si on les décrivait. C’était du bonheur pur à 150 %, avec des universitaires ou des professeurs qui avaient simplement envie d’écrire, et de faire partager une passion…
L : C’était un peu la grande époque ?
F.G : Oui, depuis il y a eu le crash ; autrement dit soit le financement de ces sites, qui sont devenus autre chose ; soit le départ forcé ou consenti des gens qui animaient ces entreprises, ou encore la disparition pure et simple de ces structures hébergées sur la Toile. C’est aussi le danger de tout ce qui touche à Internet ; il ne fait pas bon créer une start-up sur Internet à l’heure actuelle, surtout dans le domaine de la culture, qui représente un pourcentage infime des investissements.
L : Alors que pourtant, Paru.com a eu une plus longue durée de vie que Bol.Fr : c’est le Web commercial qui a été sabré par la crise, alors que la curiosité du lecteur éventuel sur Internet reste encore satisfaite.
F.G : Oui, en ce sens, le bénévolat sur Internet est quelque chose d’assez fabuleux ; mais on peut comprendre qu’économiquement cela ait aussi une validité, puisque quand vous ne payez pas de charges, pas de frais de locaux, et pas de personnel, vous pouvez donc espérer durer plus longtemps qu’une entreprise comme CanalWeb, qui dépensait quand même 150 millions de francs par an.
Bien que j’aie de l’estime pour Patrick Lienhardt qui dirige le site de Paru.com, on ne peut pas rester éternellement dans un modèle qui mime le bénévolat heureux, quand on a capitalisé un site pour 3,5 millions de francs, sans qu’il y ait de retour pour les personnes qui l’ont créé. L’enthousiasme oui, mais l’exploitation débridée, non ! Il faut savoir s’arrêter, ce qui suppose d’avoir initier quelque chose un jour,je vous l’accorde, mais une fois de plus j’aurais vraiment adoré pouvoir conserver les fonctions qu’on m’avait promises au départ, qui m’avaient amené à travailler comme un fou et construire seul en bonne partie un quart de la base de données du site en question (romans, essais, BD, philosophie…). J’aurais aimé rester responsable des pages littéraires, comme je l’ai été pendant deux ans.
L : Donc c’est pour vous personnellement, et aussi peut-être pour l’économie d’Internet, l’économie de la culture sur Internet, l’heure de ce que vous appelleriez maison d’édition « révolutionnaire », c’est-à-dire de nouvelles solutions d’édition…
F.G : Oui, il y a eu trois axes, si on veut reprendre cela historiquement ; il y a eu Paru.com, qui continue, et il y a d’ailleurs une nouvelle version remarquable du site, encore mieux achalandée, très diverse, avec des papiers très bien construits, denses, que je conseille ; puis il y a eu à cheval l’aventure CanalWeb, la fusion des deux ayant donné Paru. TV puis A vous lire , une série d’émissions littéraires hebdomadaires (des directs de 26 minutes à chaque fois)que j’ai animées pendant deux ans ; au total presque une centaine d’émissions en direct avec le gratin de la littérature française voire européenne…
Début 99, quatre ou cinq émissions devaient être faites, que personne ne voulait animer bénévolement, pendant un an – maintenant cela fait sourire les gens, qui se précipiteraient sur l’occasion – mais à l’époque personne ne voulait le faire ; je me suis jeté à l’eau, par hasard et pas rasé, dirais-je, mais sans avoir au préalable initié une démarche pour devenir journaliste TV ; Très rapidement, j’ai été ravi de cette activité. J’ai donc conduit ces émissions pour CanalWeb qui étaient le fer de lance et la griffe de Paru pendant très longtemps. IL y a d’ailleurs toujours un espace où on peut consulter ces entretiens, conservés également dans « L’Humeur du Marcassin » en ligne pour la plupart, comme une sorte de musée personnel.
Puis j’ai senti le vent tourner, en avril 2001 ; la direction de CanalWeb voulait de plus en plus commercialiser, gagner de l’argent, et cela voulait dire pour eux, à terme, s’intéresser uniquement à des modes payants et très « people » si l’on peut dire, de programmes (plus très) culturels. Donc cela ne m’intéressait pas de traiter uniquement DU livre à la mode, du énième ouvrage pornographique dont parlait toute la presse ; j’ai préféré partir. Le hasard, une fois de plus, ou la ramification m’ont permis de rencontrer les gens de manuscrit.com qui m’ont proposé de participer à cette entreprise qui était naissante aussi, et voilà… Mais ce ne sont jamais des choses prévues, et préméditées…
L : vous surfez, en quelque sorte ?
F.G : Je ne suis pas un excellent surfer, parce que j’ai peur de tomber… mais c’est aussi comme cela qu’on remonte sur la planche…
L : Mais vous commencez à vivre de cette activité ?
F.G : Officiellement, je suis en disponibilité pour convenance personnelle, chèrement acquise auprès du rectorat de l’académie de Créteil, depuis deux ans, pour une période de six ans. Je me suis battu comme un chien pour obtenir ce droit. Quand j’ai fait cette demande, neuf mois à l’avance, ma hiérarchie l’a refusée à trois reprises, malgré dix ans d’enseignement, y compris dans les zones sensibles, difficiles ou très violentes, où j’ai dû devenir professeur de boxe française pour survivre. En conséquence, je me suis alors adressé directement au chef de cabinet du nouveau ministre de l’Éducation nationale, Jack Lang, en lui expliquant que je pouvais très bien être mis en détachement pour le ministère de la Culture puisque je préparais sur Canalweb une série d’entretiens avec des auteurs européens dans le cadre de Lire en Fête, manifestation organisé par le Ministère de la Culture . J’ai obtenu l’appui de la République à l’arrachée, à tel point qu’à trois jours près, j’étais banni de l’Éducation nationale comme un malpropre. Ce n’a pas été éune partie de plaisir ! Mon poste est donc « gelé » au lycée de Savigny-le-Temple, mais j’espère y retourner le plus tard possible… voire jamais.
L : Gardez-vous un mauvais souvenir de vos années d’enseignement ?
F.G : Non, j’ai toujours eu plusieurs activités, j’ai été un « polyprofesseur » (avec un Y à poly, ce qui faisait néanmoins de moi une personne courtoise…) ; j’ai à la fois de très mauvais et d’excellents souvenirs, j’ai travaillé dans cinq académies, jesuis passé du Nord au Sud, de Maubeuge à Aix-en-Provence, et des plus grands lycées de France (comme le Prytanée de la Flèche) aux plus mauvais…
L : Vous êtes content d’avoir tourné la page ?
F.G : Je n’ai pas tourné la page définitivement, mais je suis content de faire autre chose, pour l’instant.
L : Vous restez toujours dans une optique de transmission de la culture…
F.G : Exactement. Je crois que j’étais frustré dans l’enseignement parce que les professeurs de philosophie, malgré leur bonne volonté, ne font rien si le public n’est pas réceptif un minimum ; et de plus en plus j’ai rencontré un public de moins en moins réceptif… malgré des cours de philosophie axés sur le cinéma, la BD, la culture, des choses basiques, « sous-culturelles » comme vous le disiez ; Je suis un peu désespéré par rapport à cela. C’est vrai que je m’étais un peu émoussé, j’y croyais un peu moins, cela se voyait ; j’ai préféré non pas tourner la page mais lire un autre livre, passer à une autre page.
L : Vous avez évolué vers Manuscrit.com sur le Salon du livre ; ils vous ont rencontré…
F.G : Oui. Le principe était assez extraordinaire, parce qu’une maison d’édition, en France, qui conjugue à la fois un volet Internet très fort et en même temps un fonctionnement somme toute traditionnel, tout en passant du livre format PDF, au fichier téléchargeable, par l’impression à la demande jusqu’aux livres traditionnels papier, puisqu’officiellement Manuscrit.com se porsuitd’une structure qui s’appelle Nicolas Philippe, qui fait paraître ses premiers titres en février 2002 sous ce label (certains titres sont déjà parus en coédition)…
L : Nicolas Philippe c’est le « Serpent à Plumes » ?
F.G : C’est lui qui a créé manuscrit.com, il détient aussi le « Serpent à Plumes », Florent Massot présente et Somogy (livres d’art), un groupe qu’on appelle les éditions du Forum… Mais manuscrit.com est vraiment indépendante, au niveau ligne éditoriale, financement, et concept de ces autres maisons d’édition … ce qui m’a intéressé ici, c’est que manuscrit.com renverse la chaîne du livre : dans la plupart des cas, , les libraires et les revues littéraires deviennent des réceptacles d’ouvrages qui sont formatés, qu’on leur distille, ici, c’est l’inverse.
On reçoit un manuscrit, sur une base de données, sur Internet uniquement, en fichier joint comme dans un e-mail ; on envoie ce manuscrit, après un premier travail de filtre accompli par le conseil éditorial et les internautes en tant que tels, on envoie ce manuscrit à tous nos partenaires libraires, revues, etc. – dont Labyrinthe fait partie ! – et dans plus de 21 genres, l’érotisme, la science-fiction, les sciences humaines pures et dures… , ces manuscrits nous reviennent enrichis d’une lecture, qui n’est pas uniquement la vente de soupe, une fois de plus, mais les qualités, etc., les défauts…
Grâce à ces informations, nous faisons plusieurs choses avec ce texte : dans le meilleur des cas, il devient un livrepapier que nous éditons ; dans un cas intermédiaire, qui n’est pas infamant, c’est une coédition avec un éditeur dont la ligne éditoriale se rapproche peut-être plus du thème, et dans les cas qui restent, l’ouvrage ne nous permettant pas d’espérer des ventes de nombreux exemplaires, est retravaillé, reformaté, et édité tout simplement, accessible en impression à la demande, avec des tarifs dégressifs selon la quantité commandée…
L : Un type d’édition qui fait l’objet d’une véritable demande du public…
F.G : L’ensemble est assez faramineux, je peux le dire en toute objectivité étant auteur moi-même…
L : C’est une espèce de narcissisme universel qui trouve à s’exercer, une variante de la volonté de pouvoir que recélait pour Kundera la vogue des journaux intimes…
F.G : Ce qu’il faut bien dire en tout cas, c’est que n’importe quelle personne qui écrit ne serait-ce qu’une petite nouvelle (puisqu’on a un seuil minimal qui doit commencer je crois à trente-cinq mille signes, le format d’un article de revue), peut envoyer son texte à manuscrit.com.La procédure est très simple : vous vous inscrivez sur vanuscrit.com, ce qui vous donne un identifiant, vous envoyez un fichier Word en pièce jointe par e-mail, par exemple … le texte est immédiatement enregistré chez nous, s’il ne contrevient pas aux lois minimales de déontologie et d’éthique, il reçoit automatiquement un numéro d’ISBN, et pendant dix-huit mois il devient propriété de Manuscrit.com. Tout cela est entièrement gratuit pour l’auteur, ce qui fait la différence avec d’autres systèmes d’édition existant.
L : C’est une couveuse…
F.G : Voilà. C’est aussi un délai très court, parce que la plupart des maisons d’édition, quand elles mettent le grappin sur un texte, le gardent ad vitam aeternam et n’envisagent pas de le sortir avant deux ou trois ans… En dix-huit mois, il faut que nous fassions nos preuves, que nous vendions et fassions la promotion dans le bon sens de ces manuscrits, auprès de nos libraires, nos critiques, etc. J’ aurais rêvé de cela il y a dix ans aujourd’hui j’écris des articles assez fréquemment qui sont lus par un lectorat très réduit, notamment dans la revue Res Publica, dont je suis rédacteur en chef adjoint, une revue qui – avant que les PUF nous donnent un petit coup de main- , était éditée un peu comme Labyrinthe à cinq cents exemplaires… on en était heureux… être lu par cinq cents personnes…
L : Oui, cinq cents exemplaires, ce n’est pas forcément cinq cents personnes…
F.G : Oui, on peut rêver… donc il y a des mutations qui font que, sur manuscrit.com, quand vous déposez un texte, vous devenez un « auteur ». Et ce texte devient un livre, un ouvrage, objectivable, matériellement, avec une couverture, même votre nomsi votre narcissisme vous a conduit jusqu’à l’utiliser !, avec des droits d’auteurs, sur le fichier, l’impression à la demande ou le tirage papier sous le nom Nicolas Philippe…
L : Alors justement, il y a eu dans le domaine de l’Internet de grosses polémiques sur cette question des droits
F.G : Ici c’est très simple, il suffit d’aller en ligne pour s’en rendre compte, dès qu’un texte est déposé, il y a un numéro d’ISBN qui fait que si quelqu’un utilise les données de ce texte il pirate un ouvrage déposé, auprès de la Société des Gens de lettres, reconnu comme propriété intellectuelle de l’auteur. Maintenant, ça ne veut pas dire que cet ouvrage est un chef-d’œuvre, que son géniteur deviendra le Houellebecq de demain… mais c’est la première fois dans l’histoire qu’en des délais si courts, un ouvrage devient une œuvre à part entière. Même si cette œuvre devra faire son chemin, devenir quelque chose d’autre peut-être, nous nous livrons aussi à un travail d’élaboration, de modification, pour faire éditer ce texte idéalement en version papier, puisque nous visons cette forme malgré tout… Bref, manuscrit.com est ’est à la fois un éditeur, une librairie, un club, puisque nous sommes agents littéraires au sens large, nous mettons en relation des auteurs avec d’autres, dans tous les genres. C’est évidemment, une maison d’édition, mais avec un volet interactif très puissant, puisqu’on ne travaille surtout à base de courriers électroniques au lieu des sempiternels manuscrits envoyés par voie postale et qui s’entassent dans les couloirs…
L : Vous avez en quelque sorte opéré un renversement d’ordre économique : de l’économie de l’offre à l’économie de la demande.
F.G : Oui mais ce n’est qu’une partie de la révolution… parce qu’il y a certains ouvrages que nous coéditons, sans d’ailleurs malheureusement gagner de l’argent sur ceux-là, mais sans en perdre non plus, en espérant que la possibilité d’édition donnée à tel recueil de poésie ou tel essai historique permettra, peut-être, de trouver un texte plus « intéressant », qui vendra plus d’exemplaires et, du coup, rétribuera la structure et le fonctionnement.
L : Cela crée une espèce de label…
F.G : Oui, vous avez vu le logo ? C’est une icône sumérienne qui désigne l’écriture…
L : À votre avis – si tant est que dans le domaine d’Internet on puisse faire des pronostics : je ne sais pas si il y a deux ans vous auriez fait le pronostic de ce qui a eu lieu entre-temps, la fin de la bulle spéculative, etc. – par rapport à ce que l’on disait à ce moment-là, est-ce que ces médias paraissent encore porteurs de développement, autonome d’ailleurs par rapport aux autres médias, peuvent faire naître une économie de la création, par exemple, quelque chose de cet ordre, ou est-ce qu’au contraire, l’utopie dure encore un peu mais va… tomber ? Question qui en appelle une autre : comment arrivez-vous à vous intégrer dans les circuits traditionnels ? Est-ce qu’ils vous respectent en tant que « nouveaux » médias, canaux…
FG : Nous sommes perçus de deux façons, assez évidentes, je crois, comme toute structure new age révolutionnaire qui se respecte. A l’instar d’Amazon qui s’est installé dans l’hexagone naguère, on diabolise un peu le nouveau venu, qui forcément marche sur les plates-bandes des monopoles existants… Vieille histoire qui est déjà dans la Bible, c’est la logique du tiers exclu… On est mal perçus par certains éditeurs, qui, en fait, ont très bien compris l’"intelligence du" projet - j’emploie le mot à dessein, selon l’étymologie renvoyant à des positions relieés entre elles et mettant de fait en apposition des secteurs qui étaient séparés jusqu’à présent… Autant de personnes qui nous reprochent d’incarner ce dont ils n’ont pas eu l’idée ou les moyens : je devrais écrire un jour un livre ou une nouvelle sur la manière dont Internet a été vécu par les éditeurs traditionnels, et notamment par les attachées de presse… Je me rappelle des journées entières où j’expliquais comment utiliser un clavier, le courrier électronique… Dans ce domaine, l’évolution a été assez remarquable !
Cela étant, nous sommes également bien appréciés, parce que nous offrons des services qui intéressants, des choses inédites, et une fois de plus, non payantes, qui permettent à nos partenaires d’être mis en avant.
L : En termes de stratégie, c’est payant pour vous, aussi…
F.G : Pas dans l’immédiat, mais à terme… aujourd’hui, il y a de petits éditeurs qui existeraient moins, moins bien, sans nous. Les gros commencent à nous faire de l’œil, Lattès, Phébus, avec qui nous sommes depuis longtemps en partenariat, nous sommes en tractations avec Flammarion ; Grasset nous a refusé plusieurs fois des manuscrits, de bonne qualité objective, parce qu’il était trop tôt… on est dans cet entre-deux, entre la vie et la mort, la Krisis des médecins et philosophes Grecs [rires]…
Pour revenir à votre question, je ne suis pas Nostradamus, mais il est clair qu’aujourd’hui Internet ne représente plus ce que ça représentait, la folie dot.com… il y a d’ailleurs un excellent ouvrage sur ce point, "Totalement inhumaine" de J.M Truong critiqué sur « L’Humeur du Marcassin » , un ouvrage que je conseille vraiment à tout le monde car son grand auteur français demeure malheureusement trop méconnu… Enfin, Internet n’a plus la cote qu’il avait. cela dit, on voit bien en termes de broad banding et de webcast etc., tout ce qui anime les plates-formes, que tout cela a un bel avenir devant soi, mais si justement les sociétés intéressées par la webtv s’associent avec des portails existants. Ça a été l’erreur, je pense, de CanalWeb, de vouloir être freelance…
L : Dès qu’on parle Internet, on parle en anglais, vous avez remarqué ?
F.G : Les noms vont se franciser, mais c’est une culture qui vient des États-Unis quand même… je pense que ce qui s’est passé tient à ce qu’une des clauses d’Internet n’a pas été respectée, celle de l’association. Pas forcément « intéressée », mais orientée vers le partage … CanalWeb aurait pu durer davantage en association avec Voilà ou Wanadoo… il faut savoir qu’à l’époque cette rencontre ne s’est pas faite, pour des raisons économiques, parce qu’ à l’époque France Télécom a freiné des quatre fers, ne voulant pas laisser se développer un nouveau média qui lui aurait échappé. Ce n’est pas un hasard si, à l’heure où Voilà est devenu le portail que l’on sait, où Wanadoo rayonne, et où ils devraient incessamment devenir payants, à mon avis, le développement de ces deux sites coïncide avec la déréliction de CanalWeb. Il devrait se passer peu de temps avant qu’on voie des images TV diffusées sur ces sites, mais avec des plates-formes promos étatiques….
L : Avec une espèce de marchandisation, d’homogénéisation des contenus offerts… une télé classique…
F.G : Ce qui est presque fatal, mais l’erreur de CanalWeb, et d’autres sites, parce que les plates-formes utilisées sur le Web ne fonctionnent pas terriblement, a été de croire qu’on pourrait lancer une nouvelle culture indépendamment des contraintes financières… Il est évident que cette offre est venue trop tôt ( ce n’est pas comme la philosophie, qui vient toujours trop tard selon Hegel!) : il est clair que l’internaute moyen n’était pas équipé de matériel suffisamment sophistiqué, et si jamais il l’était, l’accès était encore trop compliqué. C’est un tout, à ne pas méconnaître, qui a produit une forme d’élitisme…
L : Élitisme dans lequel vous vous retrouviez, d’une certaine façon, puisque servir la culture, et non la soupe… enfin, à condition que les deux cas de sélections se recoupent…
F.G : C’est peut-être là où il y aurait une contradiction, puisque le support Internet prétend universaliser des connaissances, alors que le médium qui met en avance ces connaissances présuppose une forme d’élitisme technologique… pourtant un effort a été consenti depuis environ deux ans par l’Éducation nationale , qui met à disposition des établissements des connexions libres pour les élèves et les étudiants… Cela vaut ce que ça vaut, mais a le mérite d’exister… Des sociétés informatiques proposent des ordinateurs pratiquement gratuitement, pendant deux ou trois ans, à condition qu’on paye un abonnement à Internet de 200 F par mois… on n’est plus obligé d’investir dans le matériel 30 000 F pour surfer à haut débit… le marché se régule aussi par rapport à cela, mais il est évident que manuscrit.com illustre, disons, cette frontière entre les nouvelles technologies et des lecteurs traditionnels… La plupart des gens ont un courrier électronique, n’en demandent pas plus dans la majorité des cas… Aprèstout, envoyer un manuscrit en pièce jointe, ce n’est pas l’Éverest technologiquement parlant. Ça l’était, il y a deux ans pour certains, je ne l’oublie pas.
Ce ne sont pas uniquement les « jeunes », mais aussi les retraités pour qui Internet est devenu un passe-temps quotidien, et il existe autant de tranches d’âge différentes qui s’intéressent à Internet… il y a des gens qui utilisent leur RTT pour pianoter, des écrivains plus ou moins confirmés, des journalistes au sens propre du terme, qui sont intéressés par ce nouveau vecteur et la possibilité enfin d’être lus, contrairement à ce qui se passe dans les maisons d’édition où, pour peu qu’il y ait un manuscrit qui tombe derrière un radiateur, on l’oublie… Ca n’arrive a priori pas chez nous : c’est l’avantage de la technique au service de la culture, le traitement est plus facile !
La plupart des auteurs dont je m’occupe ici, je leur téléphone rarement, je les vois rarement, même s’ils habitent dans la rue d’à côté, mais je leur écris tous les jours.
L : Est-ce que le bain de culture où vous travaillez, et vos activités en général influencent votre écriture de romancier ? Votre notice biographique sur Manuscrit.com annonce, sous auteurs favoris, « Kafka, Cervantes, Borges, Hergé » : est-ce que c’est un programme ?
F.G : Hergé est encore plus important que tout le reste… le mot romancier doit être nuancé, puisque jusqu’ici les ouvrages publiés sous mon nom sont principalement des essais philosophiques, au sens large, que j’ai écrits en tant que professeur en classe préparatoire, avant de devenir l’homme venu d’Internet dont vous parlez. Je suis en train de finir mon premier roman, c’est un scoop d’ailleurs, j’ai tout fait pour que ça ne se passe justement pas dans ce milieu-là. Il y avait ces deux écueils à éviter absolument, celui de parler de soi : il fallait que j’aille très loin et dans le temps et dans l’espace pour éviter cela, et celui d’évoquer le monde d’Internet, alors que j’ai eu des commandes dans cette optique. J’avais déjà un titre : Le Web est dans le canal. Mais ça, je refuse de le faire, même si j’aurais peut-être dû accepter, c’eût été tentant d’écrire un 99 francs sur le milieu d’Internet !
Mais qui sait ce que l’avenir me réserve , Vous verrez peut-être ce livre en vitrine des librairies un jour…
L : Est-ce qu’en tant que critique, vous ne vous sentez pas justement hyper-critique vis-à-vis de votre production ?
F.G : Une chose est sûre, c’est que quand on écrit, on s’écrit souvent. Il est difficile de se départir de processus inconscients, M.G Dantec écrit de très belles pages là-dessus dans son « Journal métahysique et polémique" (Gallimard, 2000 et 20001), évoquant l’écriture comme travail de sape dépassant toutes les strates accumulées au fil des ans. D’un point de vue conscient, je n’imagine pas être déformé par cela… Peut-être qu’un jour, quelqu’un s’amusera, quand je serai mort, à relire toutes mes critiques, tous mes textes, et verra qu’il y a des points tristement récurrents… mais c’est le risque que je prends en mettant en ligne des articles qu’il suffit de copier/coller (certains journalistes ne s’en privent pas, qui seront ainsi payés 1500 F le feuillet dans un grand magazine pour dire moins bien que moi ce qu ej’ai déjà écrit dans un texte qui me rapporte en moyenne 300. Il faut dire sans hypocrisie que si je ne voulais pas m’exposer ni à être critiqué, ni à être pillé, je n’aurais pas créé « L’Humeur du Marcassin », je donnerais des cours en lycée à Saint-Flour.
L : Vous avez parlé de révolution au sujet d’Internet (qui se stabilise comme toute révolution) : cela est-il le cas aussi en termes d’écriture, du fait de l’absence des contraintes habituelles de temps, de taille… ?
F.G : Je dispose du luxe d’écrire comme je l’entends en étant mon propre censeur, ce qui est assez agréable (et si je suis trop complaisant envers moi, ma femme, critique littéraire et professeur de philosophie elle aussi veille au grain pour me remettre dans le droit chemin herméneutique !): je rêvais plus jeune de faire ce que je fais aujourd’hui. Il y a quelques années que je n’ai pas acheté de livres… recevoir des ouvrages en échange simplement du point de vue que je vais porter sur eux est un bonheur permanent !
L : Le « métier de lire », bis . On vous a comparé à un nouveau Pivot…
F.G : Ça c’est une polémique, il y a eu un article très sympathique et élogieux, qui m’a projeté sur le devant de la scène en avril 2000 je crois, dans Le Monde, qui m’a appelé « le pivot du Web », c’est évidemment très flatteur et en même temps… évidemment il y a le jeu de mots sur pivot… mais simplement, j’ai essayé de faire quelque chose avec le Web, dans le domaine des émissions de télé, qui était inédit. Aujourd’hui il y a peut-être dix personnes qui font cela, mais seulement à cette époque, c’était révolutionnaire : comment faire une nouvelle télévision littéraire ? Moi j’ai inventé cela, il y a déjà deux ans… c’était neuf en termes d’interactivité, il y avait un chat intégré, j’ai inventé un archivage, une télévision où, en même temps qu’on visionne l’émission, on a accès à toutes sortes d’articles de presse sur le livre concerné, à tous les liens sur l’auteur impliqué, réunis sur le même écran, dans le même espace… Je suis d’autant plus navré d’apprendre que le support principal de ces innovations, CanalWeb, va maintenant disparaître.
ce qui signifie que ces programmes présents sur le site seront soit repris, soit, et ce n’est pas exclu, qu’ils disparaîtront eux aussi… Pas dans l’espace de la Toile mais – c’est une distinction philosophique importante- de l’espace de la Toile. Je ne sais pas comment ces informations, captées par une sorte d’aspirateur géant, peuvent être assurées de perdurer.
Propos recueillis par MATHIEU RIGO et SOPHIE LAIBE, octobre 2001 (avec l'aimable autorisation de la revue Labyrinthe)
itw Labyrinthe : frederic grolleau, l'édition et la culture web
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