Récit existentiel et réflexion philosophique sur le sens du destin - arme au poing !
L’histoire
Dans un endroit perdu au bord de la mer, un jeune homme miséreux, Sébastien, répare le toit d’une maison dont le propriétaire meurt d’une overdose, juste après avoir reçu une étrange convocation censée lui rapporter beaucoup d’argent. L’angélique Sébastien récupère l’enveloppe et décide de prendre la place du défunt, sans savoir au juste où il va.
Un énigmatique jeu de piste commence, qui le mènera jusqu’à un huis clos clandestin, un monde de pur cauchemar où l’aléas mortel prend la forme d’une roulette russe collective tandis que des hommes fortunés et désoeuvrés parient sur la vie de leurs « joueurs, drogués à l’espoir comme aux substances les plus illicites...
13 étrange
Original, ce premier long métrage français de Gela Babluani, qui a remporté deux prix (Lauréat du Lion d’or du Futur/Prix du meilleur premier film au Festival de Venise 2005 et Grand Prix au Festival de Sundance). Récit existentiel et réflexion philosophique sur le sens du destin, la trame ésotérique de 13 (Tzameti) nous met aux prises avec un individu piégé (volontairement/involontairement) au jeu de la roulette russe dans une grande maison isolée dans les bois. Avec, en guise de Deus ex machina, une fratrie d’hommes d’affaires en mal de sensations fortes.
Face à ce polar aussi primaire que glacial sur l’instinct de survie, on s’attend à de longs développements, entre littérature et méditation bouddhiste, sur les méandres sémantiques de l’interrelation vie - mort -destinée : Gela Babluani qui maîtrise l’art du découpage préfère (ô choix salutaire !) nous asséner de courtes séquences efficaces, à peine parlées, où les choix et les dangers se confondent (de clarté) avec les actions des protagonistes (par ailleurs bien servies par un noir et banc sursaturé que rehausse la bande-son elliptique des Troublemakers.) Même si la première moitié du film, relativement statique, tarde à installer le décor, le jeune cinéaste affiche une incontestable virtuosité, pour autant que la durée des plans devient bientôt l’élément moteur d’une narration qui tend à se réduire à une pure mécanique - qu’aucun grain de sable ne semble devoir enrayer.
Sans pro-blème
Difficile alors d’accéder à l’intériorité ou au soubassement psychologique de Sébastien, condamné à jouer parce qu’il a choisi cette orientation dans l’ignorance même des règles auxquelles il se livrait. L’homme n’est que la somme de ses actes, même les plus absurdes. Le héros malgré lui est un sujet qui s’ignore : il ira jusqu’au bout de la logique illogique du jeu qu’il ne découvre que trop tard (au moins a-t-il l’avantage - ? - superstitieux, à côté, des douze autres participants de ce jeu de la mort et du hasard ; de porter le numéro 13...)
De ce point de vue, l’"humanité" que filme Gela Babluani fait peine à voir : caricatures du méchant, du capitaliste, du chanceux, de la pute ou du chanceux, ces corps fantomatiques traversent certes la toile mais ne posent guère problème (pro-blema, disait le Jankélévitch de Quelque part dans l’inachevé, c’est ce qui, jeté en avant, "fait écran"). Tout semble faire accroire que leur esprit s’est retiré. Zombies sans obsessions, ceux qui pressent la gâchette et sentent le canon froid du revolver sur leur tête, à l’instar de Christopher Walken dans Voyage au bout de l’enfer, ne partent en vérité nulle part car ils sont déjà revenus de tout. Chacun n’est plus qu’un trou sur pattes qui vaut le « bipède sans plumes » par lequel Platon définit l’homme (on se souvient que Diogène lui répondit en plumant un poulet qu’il lui lança dans les jambes en le contraignant à ajouter à la définition :"et aux ongles plats" !). Le Mal a commencé son office : entre peur panique et obsession du piège, le vertige du jeu ne peut mener qu’au vestige du je. Aplati.
Ampoule électrique, ombres, sourires cyniques, guns armés. Äme éteinte et corps prostré, l’humanité tout en férocité que saisit Babluani dans cette maison perdue se réduit à une horde barbare. Le maître de cérémonie vocifère, les chiens de meute aboient, l’individu trépasse. Le supplice répété est une terreur qui annule l’être. Que nul n’entre ici s’il éprouve une once de pitié. Mais il ne faut pas oublier la composante familiale chez Sébastien : et si l’amour et la fraternité, à titre de référents hypostasiés, permettaient d’éviter la transformation des êtres en automates dans un monde déshumanisé ? Telle pourrait être la leçon de cet enlevé 13 (Tzameti) - qui ne s’interdit pas nonobstant un constat final pessimiste.
Soutenir une autre lecture de ce Fight Club français à l’esthétique monochrome revient sinon à se livrer à l’apologie de la violence pour la violence dans un monde du fric devenu roi où les lois sont dictées par les coups de feu pendant que les cadavres s’accumulent. Autant dire qu’on en resterait, et pour longtemps, au sempiternel homo homini lupus hobbesien mal digéré.
La question est donc ici posée : que reste-t-il du "monde commun" lorsque l’hégémonie machiavélique d’une classe dominante devient jeu avec la mort ? Jusqu’où l’appétit de divertissements - à commencer par celui du spectateur voyeuriste - peut-il aller afin de bafouer le respect éthique le plus élémentaire ?
Consulter le site officiel du film
13 (Dazmeti)
Réalisateur :
Géla Babluani
Distribution :
George Babluani, Pascal Bongard, Aurélien Recoing, Fred Ulysse, Nicolas Pignon
Scénario :
Géla Babluani
Photo :
Tariel Méliava
Musique :
East (Troublemakers)
Durée :
1h33
Bonus
- Les frères Babluani : l’entretien avec le réalisateur et l’acteur principal
- Numéro 6 : Entretien avec Aurélien Recoing
- Les scènes coupées
- Le témoignage d’un survivant
frederic grolleau
Géla Babluani, 13 (Dazmeti) - sorti en février 2006, éditions MK2 Vidéo, août 2006 - 20,00 €. | ||
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