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[CPGE, Individu et communauté, 2025] : Cpes/interception : "Dans un cas de crise, la survie de la communauté peut-elle dépendre d’un seul individu ?"

Publié le 11 Janvier 2025, 10:57am

Catégories : #Exercices philo

[CPGE, Individu et communauté, 2025] : Cpes/interception : "Dans un cas de crise, la survie de la communauté peut-elle dépendre d’un seul individu ?"

Interceptor : Mr A. Robilliard, Cpes, lycée naval de Brest, décembre 2024.

Dans les moments de crise, qu'elle soit politique, sociale ou existentielle, la question du rôle des individus au sein de la communauté se pose avec acuité. L'histoire et la fiction regorgent d'exemples où un individu semble avoir incarné le salut ou la perte de son groupe, comme analysé dan la PTO n° 9. Mais que signifie exactement "dépendre" ? Ce verbe implique une relation de nécessité ou de subordination, qui peut être matérielle, morale, ou symbolique. Ainsi, se demander si la survie d'une communauté peut "dépendre" d'un seul individu revient à examiner si cet individu est indispensable, soit comme acteur pragmatique, soit comme symbole mobilisateur.

Cette problématique nous invite à analyser les relations entre l'individu et la communauté dans des contextes de crise, et à explorer les tensions entre responsabilité personnelle et dynamique collective. Nous montrerons d'abord que la communauté, en temps de crise, peut effectivement reposer sur les actions d'un individu, avant d'examiner les limites de cette dépendance et de conclure sur la nécessité d'une interaction entre individuel et collectif.


 

L'individu, acteur central dans la survie de la communauté

Dans certaines situations de crise, l'action d'un individu peut s'avérer déterminante pour la survie de la communauté. Cette centralité peut s'expliquer par des qualités exceptionnelles, des circonstances favorables ou encore un pouvoir symbolique qui transcende la simple action matérielle. Dans Les Sept contre Thèbes d'Eschyle, Étéocle incarne le chef militaire et politique dont les décisions stratégiques permettent de défendre la cité contre les assauts ennemis. Sa responsabilité est telle que sa mort elle-même devient un acte fondateur pour la survie de Thèbes. « La ville a échappé au joug de l'esclavage » (bas de la page 167), proclame-t-on après sa victoire posthume. Ici, l'individu ne représente pas seulement un stratège, mais aussi le garant de l'ordre et de la cohésion sociale. En se sacrifiant, Étéocle assure que la communauté peut se reconstruire sur des bases nouvelles. De plus, par sa mort, il a mis fin à la malédiction d’Œdipe. De même, dans Le Temps de l'innocence d'Edith Wharton, bien que la crise soit d'ordre social et non militaire, Newland Archer illustre le rôle d'un individu dont les choix déterminent l'équilibre d'une micro-communauté. En renonçant à son amour pour Ellen, il choisit de préserver l'harmonie de son milieu social, évitant une rupture qui aurait menacé les fondements de sa société rigide et conservatrice. « Il resta silencieux, abîmé dans sa douleur puis dans l’obscurité de la voiture, il chercha le porte-voix et donna l’ordre au cocher de s’arrêter. » (bas de page 272), souligne Wharton, montrant que ce renoncement personnel devient un sacrifice pour le bien collectif, Newland préfère renoncer à Ellen pour sauver son mariageDans un registre plus philosophique, Spinoza, dans son Traité théologico-politique (chapitre 20), illustre comment un meneur éclairé peut guider une communauté en crise en subordonnant ses passions à la raison. « Des fondements de l'État tels que nous les avons expliqués ci-dessus, il résulte avec la dernière évidence que sa fin dernière n'est pas la domination » (page 192), écrit-il, insistant sur la nécessité d'un individu capable de transcender ses intérêts personnels pour garantir le bien commun.


Les limites de la dépendance à un individu

Cependant, la dépendance à un seul individu peut constituer une fragilité pour la communauté. En temps de crise, fonder toute la survie collective sur une figure unique expose au risque d'échec ou de déséquilibre. Dans Les Suppliantes d'Eschyle, le roi Pélasgos, bien qu'il joue un rôle décisif en accueillant les Danaïdes, montre aussi les limites de cette centralisation du pouvoir décisionnel. La survie de sa cité repose sur un dilemme moral : accueillir les suppliantes et risquer une guerre ou les rejeter pour préserver la paix immédiate. « La souillure soit pour mes ennemis ! Mais vous secourir, je ne le puis sans dommage. Et pourtant il m’est pénible aussi de dédaigner vos prières. Je ne sais que faire ; l’angoisse prend mon cœur : dois-je agir ou ne pas agir ? Dois je tenter le Destin ?» (Page 64), confesse-t-il, soulignant l'incertitude et la fragilité d'une communauté dépendant d'un seul individu pour résoudre une crise complexe. Dans Le Temps de l'innocence, Wharton montre également les limites du rôle de Newland Archer. Son sacrifice, bien que noble, ne suffit pas à résoudre les contradictions de la société qu'il cherche à préserver. La rigidité des conventions sociales finit par étouffer les aspirations personnelles des individus, révélant que la survie d'une communauté ne peut durablement reposer sur des sacrifices individuels, « Ne plus voir May, assise près de la table, sous la lampe ; apercevoir d’autres existences en dehors de la sienne […] » (Page 276). Spinoza, quant à lui, avertit contre les dangers d'un pouvoir excessif concentré dans les mains d'un seul individu. « […] Les rois qui autrefois avaient usurpé le pouvoir ont tenté de persuader qu’ils tiraient leur origine des dieux immortels. Ils pensaient que si leurs sujets et tous les hommes ne les regardaient pas comme leurs semblables, mais les croyaient des dieux, ils souffriraient plus volontiers d’être gouverné par eux et se soumettraient facilement », écrit-il (page 104), rappelant que la stabilité d'une communauté repose sur un équilibre entre gouvernants et gouvernés. Une dépendance excessive à un individu compromet cet équilibre et expose la communauté à la tyrannie ou au chaos en cas de défaillance de cet individu.


 

Une interaction nécessaire entre l'individu et le collectif

Plutôt que de dépendre uniquement d'un individu, la survie de la communauté en temps de crise nécessite une interaction entre les qualités individuelles et les dynamiques collectives. L'individu peut initier ou catalyser une action, mais c'est la mobilisation collective qui assure la pérennité des efforts engagés. Dans Les Sept contre Thèbes, si Étéocle est essentiel pour la défense de la cité, la résistance de Thèbes repose également sur la solidarité et la mobilisation des habitants. Les citoyens, par leur courage et leur unité, participent activement à la survie de la communauté « De très noble race, il vénère le trône de l’Honneur et déteste les propos orgueilleux : s’il renâcle aux vilenies, il n’a point cela pour coutume d’être lâche. Il a poussé sur la souche des Fils du Sillon épargnés par Arès, et c’est un vrai enfant de la terre thébaine que Mélanippe ! » (page 155). Cette citation met en lumière les qualités héroïques et morales de Mélanippe. Il est décrit comme étant de « très noble race » et un « enfant de la terre thébaine ». Cela ancre son identité dans une filiation glorieuse, soulignant l’importance de l’héritage et du lien avec la cité. De même, dans Le Temps de l'innocence, le renoncement de Newland Archer n'aurait aucun sens sans l'adhésion tacite de la société aux conventions qu'il cherche à préserver. Cette dynamique montre que l'action individuelle est à la fois conditionnée et amplifiée par le collectif « Newland Archer était un homme d’habitudes correctes et disciplinées. Il lui aurait profondément déplu de rien faire que Mr. Van der Luyden eût désapprouvé, ou qui eût été mal jugé par le cercle. » ( page 292). Cette citation souligne avec force l’influence des conventions sociales sur l’identité et les choix de Newland Archer. Elle appuie l'idée que son renoncement à une relation avec Ellen Olenska est inséparable de son appartenance au cercle restreint et rigide de l'élite new-yorkaise. Spinoza va plus loin en suggérant que la véritable force d'une communauté réside dans la capacité des individus à s'accorder sur des principes rationnels communs. « La paix n'est pas l'absence de guerre, mais une vertu qui naît de la force d'âme », affirme-t-il, soulignant que l'harmonie collective découle d'une interaction équilibrée entre les passions individuelles et les lois rationnelles.


 

Cette analyse montre que, si un individu peut jouer un rôle crucial, cette dépendance est toujours relative et partielle. L'individu peut incarner un guide ou un symbole, mais la pérennité de ses actions repose sur une dynamique collective. Comme l'illustrent Eschyle, Wharton et Spinoza, la survie d'une communauté résulte d'une interaction complexe entre les sacrifices individuels, les structures sociales et les principes rationnels. La véritable force d'une communauté réside donc dans sa capacité à intégrer les talents et les actions de chacun dans une vision collective qui transcende les crises.

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