Trailer :
https://www.youtube.com/watch?v=oYkV1s9hM-Q
Extrait Eglise / Retable :
https://www.youtube.com/watch?v=JVh1wKmbwUQ
Citation :
"Il y a quelques années, bien après les inondations, l'humidité s'est infiltrée dans le retable qui a commencé à s'écailler, révélant un tableau plus ancien. Alors les historiens d'art ont dû prendre une décision. Fallait-il détruire l'œuvre de Daddi pour mettre à nu une ébauche rudimentaire ou conserver le tableau sans chercher à savoir ce qui se cache dessous ?"
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Pour justifier ce titre qui correspond parfaitement (alors que le réalisateur envisageait initialement « Déjà vu »), de nombreuses obsessions se font jour tout au long du film et prennent une place fondamentale dans l’intrigue.
La première de ces obsessions est celle de l’amour, très fort, entre Michael Courtland (Cliff Robertson) et sa femme Elizabeth (Geneviève Bujold), parents d’une adorable petite fille, Amy, image de sa mère en modèle réduit pour compléter le tableau à peu près idyllique d’une famille heureuse. Mais, rapidement (dans la narration), émerge l’obsession de maintenir cette situation plus fragile que prévue. L’élément (fortement) perturbateur est celui de l’argent. En effet, la famille vit de façon aisée, dans une belle maison à la Nouvelle Orléans (nous sommes en 1959), Michaël étant un promoteur immobilier sur le point de réaliser un projet très lucratif avec son associé Bob (John Lithgow), si proche de la famille qu’Amy l’appelle oncle Bob. Les Courtland fêtent leurs dix ans de mariage par une magnifique réception où, descendue d’un escalier monumental, Amy demande à danser avec son père.
Les choix d’une vie
La réussite familiale attire l’attention et, juste après la réception, la mère et la fille sont kidnappées. Michaël reçoit une demande de rançon. Désespéré (obsédé par son amour), il ne pense qu’à satisfaire les ravisseurs et ne voit pas la machination qui se trame, à tel point qu’il ne se demande même pas qui peut bien être derrière le kidnapping. A l’obsession amoureuse, on peut donc ajouter l’obsession pour la réussite sociale et son corolaire : l’obsession pour l’argent qui anime tous ceux qui entourent Michaël. Ce sont ces obsessions qui font tout déraper : la vie amoureuse de cette famille ainsi que le kidnapping qui se termine très mal, puisque Michaël perd aussi bien sa femme que sa fille ! La suite de sa vie, il la passe à culpabiliser, là aussi une véritable obsession. Pourquoi a-t-il décidé de prévenir la police et de lui faire confiance, en ne payant pas la rançon ? C’est à partir de ce choix que tout dérape : voir la scène où les ravisseurs annoncent à Amy qu’aux yeux de son père, elle ne vaut rien. On imagine le poids d’une telle affirmation dans l’esprit d’une fillette de neuf ans dans une situation aussi dramatique…
Bis repetita
Après le drame, aux yeux de Michaël, sonné, plus rien n’a d’importance. Il refuse même de finaliser le projet en cours avec Bob au parc de Ponchartrain. Cet endroit, il le réserve pour une stèle à la mémoire d’Elizabeth et Amy, élément fondamental pour lui et donc pour le film. En effet, cette stèle, il la fait construire en marbre et à l’image de l’église où il a rencontré Elizabeth à Florence (Italie) : autre modèle réduit. D’ailleurs, on voit cette église dès le générique de début, avec l’utilisation d’un zoom très lent qui nous permet de bien la détailler. Elle est bâtie sur une petite hauteur, symbolique de l’élévation d’âme qu’elle représente. Pour Michaël, elle symbolise la force de son amour. Or, dans un mouvement de caméra dont il a le secret (la caméra est très mobile pendant tout le film), Brian de Palma nous fait passer de 1959 à 1975 avec Michaël, autour de la stèle. En 1975, il décide de retourner à Florence, accompagné par Bob. Évidemment, un pèlerinage à l’église s’impose. Là, stupeur, perchée sur un échafaudage (soit toujours plus haut), Michaël observe une jeune femme : le portrait craché d’Elizabeth ! L’inconnue travaille à la restauration d’une fresque d’un peintre de la Renaissance, un certain Daddi (entendre daddy, même si le peintre existe vraiment). Michaël comprend que le destin lui offre une deuxième chance, qu’il décide d’emblée de jouer à fond. Mu par son obsession pour Elizabeth, il entreprend d’approcher Sandra…
De Palma n’a peur de rien
Les commentateurs de ce film se concentrent généralement sur les nombreuses références hitchcockiennes qu’on y trouve. De Palma confie lui-même que c’est suite à une projection de Vertigo qu’il a conçu l’idée du film avec Paul Schrader (crédité du scénario). L’histoire y fait référence, ainsi qu’à d’autres films du maître du suspense, comme Rebecca, mais aussi Une femme disparaît et Spellbound ainsi que Le crime était presque parfait. Mais tout ceci n’est qu’un jeu de cinéphile que le réalisateur dépasse largement, puisque Obsession (1976) peut être apprécié sans tenir compte de ces allusions. L’aspect thriller est une telle réussite que le film supporte et mérite largement plusieurs visions, eu égard à la richesse des thèmes explorés. Nous avons ici une réflexion sur les valeurs qui animent un homme qui au début affiche aussi bien la réussite sociale et matérielle que sentimentale et familiale. Les réflexions féminines ne sont pas négligées, puisque nous avons droit à un extrait du journal intime d’Elizabeth ainsi qu’à l’évolution progressive des pensées d’Amy. Au thème de la deuxième chance viennent s’ajouter ceux de la vengeance et de l’amour filial. Les décors sont à la hauteur, puisqu’à la Nouvelle Orléans nous avons droit au bateau avec roue à aubes. Bien entendu, la part belle est faite à la ville de Florence, avec le magnifique intérieur de l’église Santa Miniato et ses fresques colorées, ainsi qu’à de belles scènes mettant en valeur des quartiers connus et moins connus de la ville dans des éclairages bien choisis. Tout cela pour dire que la mise en scène du réalisateur (alors peu connu) est de premier ordre, avec des choix toujours judicieux dont celui de l’écran large bien utilisé. L’atmosphère brumeuse et le peu de dialogues de nombreuses scènes sont à l’unisson de la musique signée Bernard Hermann (autre référence à Alfred Hitchcock), pour créer une ambiance proche du rêve, même s’il s’agit en fait d’un cauchemar. Ajoutons à tout cela le choix de Geneviève Bujold pour un double rôle qu’elle assume à merveille, convaincante en mère de famille et charmante en étudiante attardée. On note en particulier ses grands yeux et son nez retroussé. Surtout, on reste sidérés par cette séquence folle où De Palma la fait passer de l’âge adulte à l’enfance par un « simple » mouvement de caméra, moment limite grotesque, mais qui fonctionne et donne au film une saveur particulière. D’ailleurs, la séquence finale est à l’image de tout ce que De Palma ose ici, avec un éclairage brumeux, le ralenti qui permet de faire sentir la bouleversante succession des émotions, pour finir avec la caméra tournant jusqu’à l’ivresse autour d’un duo retrouvé miraculeusement.
De Palma vs Hitchcock
Même si ici (et par la suite) De Palma fait de nombreuses références à Hitchcock, il se contente d’allusions pour faire œuvre personnelle, grâce à une remarquable maîtrise technique. Aucun détail n’est laissé au hasard et chaque scène a son importance dans un film au minutage très raisonnable (1h38). Enfin, De Palma tire parti d’un beau casting. Et même si Cliff Robertson n’a pas l’aura d’un Cary Grant ou d’un James Stewart, il contribue également à la réussite d’Obsession. Malgré une réputation inférieure à celle d’Hitchcock, De Palma fait partie des réalisateurs qui comptent dans l’Histoire du cinéma.
source :
https://www.lemagducine.fr/cinema/dossiers/obsession-de-palma-inspire-par-hitchcock-10062483/
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La Nouvelle-Orléans, 1959. Le richissime promoteur immobilier Michael Courtland fête avec son épouse Elizabeth dix ans d'un bonheur sans mélange. Mais, sitôt la soirée terminée, sa vie bascule dans un cauchemar : Elizabeth et sa fille, Amy, sont kidnappées. Michael doit remettre 500 000 dollars dans une mallette qu'il devra jeter d'un bateau sur un quai désert. Michael demande à Robert Lasalle, son associé, de retirer la somme demandée de la banque. C'était l'argent nécessaire pour l'achat du terrain des résidences du Parc Pontchartrain qui devait les enrichir. Si la somme n'est pas retrouvée dans la semaine, Robert achètera seul le terrain tout en promettant de suivre les recommandations architecturales de Michael.
Cependant, l'inspecteur Brie recommande à Courtland de fournir aux ravisseurs une mallette ne contenant que du papier vierge au sein duquel un émetteur radio sera caché pour conduire la police là où sont détenues Elizabeth et Amy. En effet, les ravisseurs seront alors plus susceptibles de se rendre lorsqu'ils sont cernés sans la rançon, plutôt que de tenter de s'échapper avec de l'argent en main.
Courtland accepte ce plan mais l'opération menée par la police pour récupérer les otages tourne au carnage : en fuyant en voiture, elles périssent dans un accident avec un camion citerne sans que leurs corps puissent être retrouvés.
1975. Seize ans plus tard, Courtland se reproche toujours la mort de son épouse et de sa fille. Sur le parc Pontchartrain, aucune résidence n'a été construite. Seul s'y dresse un mausolée que Courtland a fait construire à la mémoire d'Elizabeth et Amy. Le monument est une réplique de l'église de San Miniato al Monte où lui et Elizabeth s'étaient rencontrés de nombreuses années auparavant à Florence, en Italie.
Robert Lasalle, qui est toujours son associé, a convaincu Courtland de partir pour un voyage d’affaires à Florence. Courtland retourne dans l'église San Miniato et tombe soudain face à une jeune femme, Sandra, étudiante en histoire de l'art, qui ressemble exactement à sa défunte épouse. Courtland commence à courtiser la jeune femme sans lui cacher qu'il est troublé par sa ressemblance avec sa femme morte. Après le décès de la mère de Sandra Portinari, déjà gravement malade, qui souhaitait que sa fille épouse Courtland, le couple s'envole pour les Etats-Unis.
Courtland ramène Sandra à la Nouvelle-Orléans pour l'épouser. Sandra s'identifie avec Elisabeth jusqu'à demander une nouvelle demande de rançon après sa disparition avec les mêmes messages des ravisseurs de seize ans auparavant, qu'elle avait découpé dans un journal. Cette fois, Courtland décide de remettre l'argent demandé. Il retire 500 000 dollars de ses comptes, le ruinant financièrement et le forçant à céder le terrain de Pontchartrain à Lasalle. Mais celui-ci, qui avait déjà manigancé le kidnapping d’origine pour prendre le contrôle exclusif des actions de la société Courtland, remplace l'argent par du papier vierge pendant que Courtland a le dos tourné pour signer la vente de ses terrains. Courtland dépose la mallette sur le quai désert.
Sandra, accompagnée de Robert, vient récupérer la mallette. Quand elle voit que, comme seize ans auparavant, elle ne contient plus que du papier, elle s'effondre psychologiquement. Elle revit le traumatisme de la mort de sa maman, ligotée, bâillonnée et emportée par les ravisseurs dans la voiture qui allait exploser. Elle-même était en fait restée dans la maison car les ravisseurs avaient préféré, pour éviter qu'elle se débatte et gêne leur fuite, s'emparer de couvertures pour simuler l'enlèvement de l'enfant.
Robert accompagne ensuite Sandra à l'aéroport où elle doit prendre un vol pour Rome. Il lui remet 50 000 dollars pour l'avoir aidé à escroquer son père. En effet, suite au kidnapping de 1959, Lasalle avait secrètement envoyé Sandra vivre en Italie chez madame Portinari qui avait élevé Amy comme son propre enfant et lui avait donné le nom. Au fil des ans, Lasalle lui avait raconté des mensonges au sujet de Courtland, la convaincant que son père n'avait pas payé la rançon parce qu'il ne l'aimait pas. Sandra, se rend compte de l'amour de Courtland pour sa famille et revit cette fois le traumatisme de son embarquement de force, enfant, vers Florence. Dans l'avion de Rome, Amy commence une lettre pour son père mais elle réalise qu'elle est amoureuse de Courtland toute en étant sa fille. Elle tente alors de se suicider dans l'avion.
Courtland a découvert les coupures de papier vierge abandonnées sur le quai près de la mallette et c'est maintenant presque fou, qu'il se rend chez Lasalle. Celui-ci en rajoute à son désespoir en le menottant à la mallette d'argent et lui révélant qu'il a manipulé Sandra pour qu'elle l'escroque. Lasalle pense que ces révélations vont faire basculer Courtland dans la folie et qu'il pourra l'abattre avec son revolver, dissimulé dans le tiroir. Mais Courtland se débat. Après un combat au corps à corps, Courtland poignarde Lasalle d'un coup de ciseaux.
Sachant que Sandra était la complice de Lasalle, Courtland se rend à l'aéroport pour tuer la femme en fuite. Alors qu'il aurait du attendre le lendemain pour prendre un avion pour Rome, Courtland apprend que l'avion de l'après-midi a fait demi-tour car une passagère a tenté de se suicider. C'est Sandra qui revient, sans force, sur un fauteuil roulant. Courtland la voit et court vers elle, son arme à la main. Un agent de sécurité tente de l'arrêter, mais Courtland fracasse la mallette remplie d'argent contre lui pour le faire tomber. La mallette s'ouvre et tout l'argent s'envole. Sandra, voyant les billets qui voltigent, se lève et courant vers lui crie: "Papa! Tu as apporté l'argent!". Courtland réalise alors pour la première fois qui est vraiment Sandra. Le père et sa fille se reconnaissent alors pour ce qu'ils sont, enfin apaisés.
En 1974, le cinéaste éprouve un choc en voyant une copie restaurée de Vertigo. En sortant de la projection, il ébauche en compagnie de Paul Schrader le scénario initialement intitulé Déjà vu. De Palma change ce premier titre en Obsession car il craint que le public n'en comprenne pas le sens et se demande s'il ne s'agit pas d'un film français. L'un et l'autre titres marquent bien l'intention maniériste du réalisateur. Il s'agira moins de voir ce thriller, pourtant efficace, dans un rapport avec l'histoire racontée mais comme une déformation des thèmes et des motifs d'un autre film. Cette démarche maniériste conduit De Palma à intensifier le scénario en modernisant l'obsession maladive des personnages, à intensifier la portée réflexive que le film porte sur le cinéma et à intensifier les mouvements d'appareils du film d'Hitchcock. Cette triple réussite en fait l'un des sommets de son art. L'ensemble pourrait paraitre indigeste, voir grand guignolesque, s'il n'était aussi au service d'une relecture des amours de Dante et Beatrice et, ainsi, intensément dramatique.
Les traumatismes combinés de Vertigo et de Marnie
Comme Vertigo, Obsession relate la quête d'un homme qui, après avoir perdu la femme aimée, croit la retrouver des années plus tard. Il tente alors de renouer avec elle le fil de leur histoire sans savoir qu'il est manipulé par un faux ami. Dans le film d'Hitchcock, Scottie assumait pleinement de remodeler Judy à l'image de Madeleine afin de coucher une nouvelle fois avec celle qui était morte. Ici Courtland ne tente pas vraiment de remodeler Sandra comme Elizabeth. Il essaie seulement, avant d'atteindre la Piazza della Signoria de lui enseigner, vainement d'ailleurs, la démarche si particulière d'Elizabeth.
La perversion de la la nécrophilie (faire l'amour à une morte) de Vertigo se déplace sur celle de l'inceste. Toutefois, De Palma ne le filme pas de manière explicite. En effet, le film est produit de manière indépendante pour 1,4 millions d'euros ce qui impose de trouver ensuite un distributeur. Ceux-ci refusent que la scène d'amour incestueuse soit explicite. De Palma tourne donc le mariage et la nuit de noce comme un rêve fait par Michael. Une phrase du dialogue entre Amy et Lassale dans l'aéroport met les points sur les i de la morale en faisant dire à ce dernier "Ce qu'il y a de bien, c'est que tu n'as pas eu besoin de coucher avec lui". Quoi qu'il en soit, l'équilibre mental d'Amy est ébranlé par l'amour qu'elle éprouve pour son père, d'où sa tentative de suicide.
De Palma affirme avoir déplacé la perversion du personnage masculin vers celui de Amy. C'est particulièrement explicite avec le retour de Amy chez elle. Se penchant sur la rampe d'escalier, elle se détourne pour admirer son père se dirigeant vers elle comme Scottie se détournait de la fenêtre de l'hôtel pour regarder Madeleine sortir de la salle de bain, chignon refait, pour faire l'amour avec elle. Un même halo, vert chez Hitchcock, blanc ici, baigne l'être désiré.
L'être désiré sortant du halo d'un rêve
Le traumatisme se trouve cette fois du côté de l'enfant qui accepte une relation incestueuse dans son désir initial de se venger de son père. Mais Amy s'identifie aussi à sa mère, relisant son journal et étant fasciné par le regard d'Elisabeth sur le tableau. Le Dr Elman confirmera cette identification morbide à Courtland.
Identification morbide
L'identification de Sandra à Elisabeth renvoie aussi à celle de Rebecca pour la première femme du Comte et l'on retrouve la présence marquée du tableau (peint par Barton de Palma, le frère de Brian, peintre et enseignant) intimidant en contre-plongée ainsi que de la servante inquiétante (qui porte par ailleurs le vrai prénom de Madeleine, Judy). La clé qui ouvre la chambre d'Elizabeth fait penser à celle dérobée dans Les enchainés. On trouvera également cités de façon plus anecdotique L'ombre d'un doute (Oncle Bob), Le crime était presque parfait (meurtre en légitime défense avec une paire de ciseaux) et Psychose (le cri de Sandra enfant lorsque le couteau en gros plan s'approche pour défaire les liens de sa mère, le fauteuil roulant de Sandra à l'aéroport).
Plus net est le rapprochement qui pourrait se faire avec Marnie. Les deux scènes dans l'aéroport évoquent la scène finale de Marnie dans la maison de sa mère près du port où elle se souvient du traumatisme de son enfance (c'est son visage d'adulte qui vient prendre la place de celui d'elle enfant). Sandra est rapetissée sur un fond rouge par un plan en plongé et se retrouve, petite fille, en criant mamy-mamy comme Marnie. Puis lorsque Mike vient dans l'intention de la tuer, les flashs bleus des lumières de l'aéroport renvoient aux flashes rouges de Marnie.
Les motifs circulaires de Vertigo
Le motif de la spirale est prégnant dans Vertigo, depuis l'oeil en gros plan sur lequel apparait le titre, la spirale qui s'y déploie et prend plusieurs forme dans le générique. C'est ensuite le chignon de Madeleine, les anneaux de la coupe transversale du séquoia marquant le temps et, pour finir, le célèbre travelling circulaire qui suit la sortie de Madeleine de la salle de bain apprêtée comme le souhaite Scottie et qui voit les amants s'embrasser avant de basculer sur le lit
De Palma fait donc du mouvement circulaire la figure majeure du film. La valse serrée entre Amy et son père au début évoque déjà le couple enlacé. Plus virtuose le panoramique du Pontchartrain mémorial Park où, une fois les 180° accomplis, seize ans se sont passés. On perçoit un léger fondu enchaîné dans le panoramique, nécessaire sans doute pour passer d'un paysage à l'autre, d'une voiture à l'autre (de la grise du début à la rouge de la fin du plan).
Accentuant la performance, De Palma effectue un panoramique de plus de 360° lorsque Sandra-Amy découvre la chambre laissée intacte de sa mère. Ce sont enfin les cinq tours et demi en travelling circulaire autour d'Amy et son père dans l'aéroport qui constituent le plan final.
Les mouvements d'appareils circulaires du film
Dans Vertigo, la surimpression joue un rôle majeur pour figurer les obsessions de Scottie et Madeleine. Ici c'est le fondu-enchainé (plus actif, plus salvateur, figure majeure de La mort aux trousses) qui est utilisé : celui qui suit le plan du passage du temps au Pontchartrain Park avec la reprise de l'arbre pour grimper jusqu'aux bureaux de Michael et Lasalle.
Dans le fondu-enchainé, un arbre prend la place d'un autre
Mais surtout le plan de dos en plongée pour aboutir à la photo d'Elizabeth tenue à la main par Michael qui décide de retrouver Elizabeth-Sandra à San Miniato al Monte.
Dans Vertigo, Hitchcock montre les lieux emblématiques de San Francisco (la Coit Tower, le Golden Gate Bridge, le musée de la Légion d’Honneur). De Palma filme pareillement le ponte vecchio, La piazza della Signoria, et surtout San Miniato al Monte.
C'est dans une veille maison espagnole que Madeleine est censée être obsédée par son aïeule Carlotta Valdès. Chez De Palma, c'est l'église de San Miniato al Monte qui joue ce rôle. Elle est montrée dès le générique sur la retentissante musique de Bernard Herrmann (seconde partition du compositeur attitré de Hitchcock pour De Palma après celle de Soeurs de sang), puis, sous forme du mausolée dans le Pontchartrain Memorial Park. C'est lors du voyage à Florence que Lasalle explique que c'est là que Michael a rencontré Elizabeth. Lors de cette troisième occurrence, Michael rencontre Sandra. Il y revient une quatrième fois avec Lasalle puis une cinquième fois pour discuter du tableau de Daddi et obtenir un rendez-vous et une sixième fois en se promenant et prenant des photos avec Sandra.
Obsession : San Miniato al Monte
Parce qu'un film pornographique avait été tourné dans une église de Florence, De Palma n'a pu obtenir le droit de filmer l'intérieur de San Miniato al Monte. De Palma avait vu l'église de la Collegiata étant jeune et c'est cette église de San Gimignano qu'il filme les plans d'intérieur, s'attardant d'abord longuement sur les scènes de la vie du Christ de Lippo Memmi. Le tableau que restaure Sandra se trouve dans une troisième église, celle d'Orsanmichele à Florence. La Vierge à l'enfant avec des anges de Bernardo Daddi a été peinte sur deux images miraculeuses. Entre la fin du moyen-âge et la Renaissance, on considérait la reconstitution ou le remplacement d'une ancienne peinture comme un acte accompli en hommage de celle-ci. On croyait que la nouvelle peinture héritait de la puissance de l'original et gagnait ainsi un surcroit d'intensité. Ce fut le cas avec cette monumentale Vierge à l'Enfant de Bernardo Daddi qui a été parmi les œuvres les plus vénérés de la ville de Florence.
Trois églises pour une métaphore picturale
Michael monte les escaliers vers San Miniato al Monte à Florence. Une fois la porte franchie, il se retrouve...dans la collégiale de San Gimignano où il admire Les scènes du nouveau testament de Lippo Memmipuis aperçoit Sandra qui est dans une chapelle de l'église Orsanmichele de Florence où elle restaure La vierge à l'enfant (1347) qui recouvre deux anciennes images pieuses.
De Palma modifie le contexte historique pour proposer une thématique différente qui sert son propos. Sandra explique : "Il y a quelques années bien après les inondations, l'humidité s'est infiltrée dans le retable qui a commencé à s'écailler, révélant un tableau plus ancien. Alors les historiens d'art ont dû prendre une décision. Fallait-il détruire l'œuvre de Daddi pour mettre à nu une ébauche rudimentaire ou conserver le tableau sans chercher à savoir ce qui se cache dessous ?" En d'autres termes, ceux à appliquer au film, la question devient : faut-il chercher à retrouver l'ancienne Elizabeth ou admirer la jeune Sandra et jouir de sa beauté ?
Beaucoup de commentateurs ont vu aussi une réflexion de De Palma sur son travail vis à vis d'Hitchcock : faut-il absolument chercher à voir Vertigo ou faut-il jouir de la beauté d'Obsession ? Cette explication rendrait De Palma bien présomptueux et peu respectueux de l'œuvre qu'il admire. Mieux vaut sans doute revenir au contexte historique du tableau : Obsession tire une partie de sa force de l'œuvre cachée en dessous de lui.
Le motif de l'apparence recouvrant des choses cachées se trouve déjà, mais de façon dégradée, avec les prostituées d'un soir des hommes d'affaires qui leur font oublier leur femme méritante dont ils ne gardent que la photo dans leur portefeuille.
Bien plus lyrique est, en revanche, la référence à "la femme écran" que Dante interposait devant Beatrice pour ne pas l'indisposer lorsqu'il la dévisageait en public. Du coup, c'est Obsession qui fait "film écran" vis à vis de Vertigo. Cette position plus modeste de De Palma est d'autant plus crédible qu'il revient plusieurs fois sur les références à Dante : Courtland cite explicitement La vita nova (1295) lorsqu'il revient de Florence et Portinari, nom de la mère adoptive de Sandra, est le nom de famille de Béatrice. Enfin dans La Divine Comédie (vers 1310), la figure de la spirale porte vers l’enfer mais aussi à l’élévation spirituelle et San Miniato y est justement citée dans le Purgatoire au moment où Dante commence à se libérer dans une ascèse progressive en gravissant les corniches du Purgatoire.
Sandra rappelle le rôle de "la femme écran" entre Dante et Béatrice
Toutes ces références marquent le maniérisme de Brian de Palma au premier sens du terme : celui d'une oeuvre construite, non à partir de la nature (le scénario d'un thriller), mais d'un style préexistant pour en exhiber les formes. Est-ce à dire que le film ne provoque pas d'émotion ? Ce sera sans doute le cas pour qui recherche avant tout la vraisemblance. Le film est ici trop surchargé d'excès psychanalytiques pour s'attarder sur la stratégie de Bob, un peu lente ou tordue pour acquérir le terrain de Pontchartrain.
L'émotion surgit d'une autre forme de maniérisme : celle que Deleuze définit comme étant celle de la crise de l'image-action. Hitchcock en est le précurseur parce qu'il privilégie les relations mentales qu'établissent les personnages plus que l'action qui en est la source. Ce n'est pas le "whodunit" (qui l'a fait ?) qui l'intéresse mais le trajet mental qui conduit les personnages là où ils en sont. Cette crise de l'image-action, qui renvoie directement au maniérisme, précède le cinéma moderne où les relations entre l'action et la réaction sont complètement distendues. Le néoréalisme marque en effet l'impossibilité de réagir autrement qu'à l'intérieur de soi pour le personnage qu'une situation bouleverse (une pêche sauvage, le sommet du volcan...). C'est bien souvent la position de Courtland, ébloui par le retour d'Elizabeth.... et du spectateur, submergé par les beautés des références cinématographiques et oubliant de suivre l'histoire.
https://www.cineclubdecaen.com/realisateur/depalma/obsession.htm
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