fredericgrolleau.com


"La peur est-elle un frein pour la liberté ?" dans "V pour  vendetta" ( James McTeigue, 2006)

Publié le 4 Mai 2023, 15:02pm

Catégories : #Philo & Cinéma

"La peur est-elle un frein pour la liberté ?" dans "V pour  vendetta" ( James McTeigue, 2006)

Introduction

Aujourd’hui à travers cet exposé, nous allons nous intéresser à un film : V pour  Vendetta. Tout d’abord, voici une remise en contexte du film. 

Ce film est tiré de la bande-dessinée du même nom de Alan Moore. Celui-ci l’a écrit   lors du troisième mandat de Mme Thatcher. Il a même dit à propos de celui-ci : "Au moment où j’écris ces lignes, en 1988, Mme Thatcher commence son troisième  mandat et parle d’un pouvoir conservateur fermement établi au moins jusqu’au siècle prochain. Ma fille a sept ans, et la presse tabloïd fait circuler l’idée de camps de concentrations pour les victimes du SIDA. La nouvelle police anti- émeutes porte des casques à visière teintée noire, comme les œillères de ses chevaux. Ses camionnettes disposent de caméras montées sur le toit. Le gouvernement a exprimé le net désir d’éradiquer l’homosexualité, même en tant que concept abstrait. "
Cette BD fut ensuite adaptée au cinéma par James McTeigue d’après un scénario des frères Wachowski, créateurs de la trilogie Matrix. Sorti en 2006, ce film se déroule à Londres, dans un futur proche, Evey Hammond appartient à la masse de la population  soumise au régime autoritaire, raciste et homophobe du chancelier Sutler. Mais une nuit, alors que dans une rue déserte trois “gardiens de l'ordre” sont sur le point de la violer, elle est secourue par un mystérieux personnage masqué. Tout change alors pour elle, qui devient la seule disciple de l'étrange V, dont le visage est caché par un masque représentant la tête de Guy Fawkes. 
A travers ce film, on va se poser la question suivante : est-ce que la peur et la liberté sont liées ?  Se demander si la peur et la liberté sont liées, c’est s’interroger sur  la compatibilité de la peur et de la liberté. A priori, on aurait tendance à penser la liberté comme étant  l’objet d’un désir, et non d’une peur. Pourtant, est -il si évident que la liberté soit nécessairement désirable  ?  La peur est un sentiment lié à une incertitude concernant l’avenir. Dans l’Éthique, Spinoza la définit ainsi : « La crainte est une tristesse inconstante, née de l’idée d’une chose future ou passée dont l’issue nous paraît dans une certaine mesure douteuse.  » La peur est donc liée à notre ignorance, à notre impuissance à déterminer si la chose qui nous fait face va nous nuire. 

La liberté s’oppose à la nécessité et au déterminisme : l’homme libre serait celui qui  serait capable d’agir et de penser par lui-même, c’est-à-dire sans que cette action ou  cette pensée résulte d’une cause extérieure à sa volonté. Autonome, il serait alors responsable de ses actes. La liberté se définit ainsi comme libre arbitre, c’est-à-dire  capacité psychologique à faire des choix sans y être poussé par une cause extérieure.  

Par conséquent, en regardant le film, les questions suivantes nous sont venues :  la peur est-elle un frein pour la liberté ? Faut-il supprimer toutes peurs pour pouvoir enfin être libre ? Cependant, la peur ne peut - elle pas servir de canalisateur de libertés pour le bien de tous ? Ainsi, est-ce que dans un Etat utilisant la peur pour gouverner,  les libertés collective comme personnelle sont-elles assurées ? 
Dans un premier temps, nous verrons que la peur coupe l’hommes de ses libertés  Dans un deuxième temps, que, sans peur, la liberté n’est pas garantie  Enfin nous nous allons nous pencher sur la phrase :  “tu n’as plus peur, tu es totalement libre” dite par V à Evey 
 
Première Partie  : 

Tout d’abord, la peur est un blocage à la liberté.  

La peur extérieure causée par quelqu’un ou quelque chose d’autre met des barrières à la liberté. Horace disait à ce sujet : “Celui qui vit dans la crainte, ne sera jamais libre”. Par cette citation, Horace veut montrer que tout homme ayant peur, c'est-à-dire qui n’est pas certain concernant l’avenir, ne pourra jamais être libre. Celui -ci est emprisonné par cette ignorance du futur qui l’empêche de vivre pleinement sa vie.  Dans le film V pour Vendetta, le régime de Sutler instaure une terreur pour garder le contrôle sur tous les citoyens et les prive de leur liberté.  En effet, après avoir créé l’attentat biologique le plus meurtrier du monde et avoir donné le remède juste après, le chancelier Sutler s'est fait élire et a installé un régime totalitaire. Il a instauré un  couvre-feu, une milice qui possède tous les droits et a même créé un système pour écouter les conversations téléphoniques. Chaque citoyen est épié et aucune liberté ne persiste.
Dans son discours le plus célèbre dans le film, V dénonce ce fait et dit : “Là  où , auparavant, vous aviez la liberté de faire des objections, de parler comme bon vous semblait, vous avez maintenant des censeurs, des systèmes de surveillance vous contraignant à la conformité et sollicitant votre docilité”. Il va ensuite ajouter un  peu plus loin : “Je sais pourquoi vous l'avez fait. Je sais que vous aviez peur. Qui pourrait se vanter du contraire ! Guerre, terreur, maladie. Une myriade de problèmes a contribué à perturber votre jugement et à vous priver de votre bon sens. La peur a pris ce qu'il y a de meilleur en vous”.

Par ces phrases, V montre bien que la liberté de chaque citoyen a été coupée par l'État et plus précisément par la peur que celui -ci a créée. Avec cette peur, l'État a pris le contrôle du pays et a rapidement détruit toute sorte de liberté: liberté d’expression, liberté de manifester … Ainsi le discours de V rejoint bien l’idée d'Horace et le film met bien en évidence les blocages causés par la peur.  
Mais cette peur qui bloque la liberté de l’homme n’est pas qu'extérieure, elle est aussi intérieure. En effet l’homme, intérieurement a peur de la liberté elle même. Être libre,   c’est renoncer à un certain confort dans la mesure où être libre c’est aussi endosser la responsabilité de ses erreurs et de ses échecs. C’ est précisément cette peur qu’examine Kant dans Réponse à la question : Qu’est-ce que les Lumières ? en montrant que si nous avons tous la capacité de nous affranchir de nos tutelles, de fait, la «paresse et la lâcheté» peuvent nous incliner à renoncer à l’exercice de notre liberté, exercice toujours périlleux, pour préférer le confort de l’obéissance.

Le film V pour Vendetta met en avant cette situation car dans celui-ci, malgré la dictature mise en place, très peu voire aucun citoyen se révolte et tous restent dociles face à Sutler. V dans son discours à la télé appuie bien sur ce point en disant : “Comment  est-ce arrivé ? Qui est à blâmer ? Bien sûr, il y a ceux qui sont plus responsables que les autres et qui devront en rendre compte mais... Encore dans un souci de vérité,  si vous cherchez un coupable, regardez simplement dans un miroir.”
A travers ces phrases, le protagoniste montre bien que l'État au pouvoir est responsable de ce qui se passe mais que chaque citoyen l’est aussi en partie en acceptant de se laisser faire. Ainsi, il rejoint l’idée de Kant : la peur de la liberté existe et celle-ci est un frein pour la liberté elle-même. 
Pour finir cette première partie, la peur, qu’elle soit intérieure où extérieure, bloque la liberté et restreint l’exercice de celle-ci par l’homme. Dans le film, après avoir torturé Evey, V lui dit : “tu n’as plus peur, tu es totalement libre”. Faut-il ne vraiment  plus avoir peur de rien pour atteindre la liberté absolue ? 

 

Deuxième Partie :  
Dans un deuxième temps, nous allons voir que, sans peur, la liberté n’est pas garantie . 

Tout d’abord, si la peur de chacun disparaissait, la liberté collective n'existerait plus. En effet, la peur empêche un homme de réaliser certaines actions car il ne connaît pas la conséquence de celles-ci sur l'ensemble des individus. Si cette peur n'existait pas, on tomberait dans l’anarchie dans laquelle la loi du plus fort règne. Si la peur disparaissait de chaque homme, celui-ci ne serait soumis à aucune crainte. Même les lois n'auraient plus aucun effet car les punitions que celle-ci causerait ne seraient plus suivies. Ainsi le monde tomberait comme le voulait Calliclès, un monde dans lequel "Il est juste que celui qui  vaut mieux ait plus qu’un autre qui vaut moins" (Gorgias)et la liberté collective serait bafouée.
Dans le film V pour Vendetta, le personnage principal a fait disparaître toutes ses peurs et il ne soumet aucune loi  à part les siennes. Dès sa première apparition, il commet trois meurtres de sang froid sans se soucier des conséquences de ceux-ci. Au fur et à mesure du film, on apprend qu’il vole très souvent et on le voit commettre de nombreux meurtres. La seule loi qu’il suit, c’est la loi du plus fort et tous ceux plus faibles que lui et qui sont contre lui, en meurent. Si tous les citoyens de Londres avaient suivi l’exemple de V et avaient vaincu leurs peurs, l’Angleterre ne serait plus sous une dictature mais sous une anarchie dans laquelle plus aucune liberté ne prévaut.

Ainsi, la peur de  chaque individu permet un maintien de beaucoup de libertés car dans un monde sans peur, seule la loi du plus fort serait en action et le monde tomberait dans le chaos.  Mais la disparition de la peur face au monde ne serait pas le seul souci qui causerait l’anarchie. En effet, Spinoza dit que “chacun juge ainsi ou estime selon son affection  quelle chose est bonne, quelle mauvaise, quelle meilleure, quelle pire, quelle enfin la meilleure ou la pire” (Ethique). Et si, en effet, chacun se met à juger, selon son affection, de la chose comme bonne ou mauvaise, cette affection « par laquelle l’homme est disposé  de telle sorte qu’il ne veut pas ce qu’il veut ou veut ce qu’il ne veut pas, s’appelle la peur ». Il prend comme exemple l’avare, qui a peur de devenir pauvre et qui va donc amasser un trésor tout en vivant dans la pauvreté. Ainsi, si cette affection que Spinoza appelle la peur disparaît, l’homme ne sera soumis qu’à ses désirs et ne pourra pas faire la distinction entre ce qui est bon ou mauvais pour lui et pour autrui. Si chacun agit ainsi selon ses désirs, cela ne fera qu’amplifier l’anarchie causée par un monde sans peur.

Dans le film, cette situation est un peu présente. En effet, derrière tous ces assassinats, V essaye de renverser le pouvoir pour assouvir entre autres sa vengeance contre celui-ci. Mais cette vengeance n’est que le fruit de ses désirs à lui.  Il ne se soucie pas de ce que les autres pensent. Il fait fi d’autrui et essaye d’imposer son désir à un pays entier.  
Ainsi, un monde sans le sentiment de la peur serait un cauchemar dans lequel seuls les désirs et la loi du plus fort dicteraient la vie des gens. On peut donc se demander si la peur n’a quand même pas une certaine utilité dans l'exercice de nos libertés.
  
Troisième  Partie :
Pour illustrer nos propos,  analysons une parole de V à Evey : « Alors tu n’as plus peur, tu es totalement libre. » 
V exprime là la peur liée à l’oppression et le contrôle exercés par le gouvernement sur  la population. On part du principe que les autorités totalitaires privent la population de  ses libertés fondamentales (libertés d’expression, des médias et de la presse notamment), utilisent une milice d’extrémistes abusive (« Le Doigt») et met en place l’« Assainissement », un projet d’éradication de l’opposition et des minorités non  conforme aux idées du régime (les migrants, les musulmans, les malades physiques ou mentaux, les homosexuels et les autres partis politiques). En somme, dans une capitale londonienne despotique, les dirigeants du pays peuvent exercer une autorité totale et sans contrainte sur des citoyens qui ne peuvent plus exercer leur libre arbitre au risque d’être emprisonnés voire assassinés. Seule subsiste  une faible poignée de résistants, dont V, le combattant de la liberté masqué aux méthodes brutales.   

Afin de montrer à Evey qu’il était encore possible de se battre pour regagner une liberté sociale et politique, V lui explique qu’elle doit surmonter sa peur, surmonter son sentiment d’incertitude et d’hésitation pour oser agir, oser s’exprimer, oser intervenir  pour apporter du changement. Une fois qu’Evey se sera départie des contraintes entravant sa pensée, elle aura la conscience tranquille en sachant à l’avance que ce  qu’elle fait et/ou fera sera juste.   
Ces paroles : « Alors tu n’as plus peur, tu es totalement libre. » présentent une idée d’émancipation vis-à-vis de la peur, de la terreur qui règne en son être, pour parvenir à atteindre une liberté à la fois psychologique (dans la façon de voir le monde, la société ainsi que de découvrir et résoudre les problèmes qui y résident sans être bridé par une autorité quelconque) et juridique (droit d'un individu de disposer de sa personne) en opposition avec des formes de répressions, d’étouffement de la liberté d’expression et d’opinion des membres d’une société . 

L’expression « totalement libre » renvoie même à l’affranchissement intégral du poids d’une multitude de règles et d’interdictions mise en place par les dirigeants d’un gouvernement. Ces mesures sont dictées dans le but d’instrumentaliser les citoyens  afin de les plier au service d’un ou plusieurs personnes puissantes et influentes dans la société. C’est donc en instaurant dans le cœur et l’esprit de la population la crainte d’une répression violente et de sanction que les autorités se maintiennent au pouvoir. 

Par conséquent, c’est justement cette idée que V cherche à insuffler à Evey, en faisant germer en elle (et dans la population) une étincelle de révolution destinée à raviver et à alimenter le profond désir d’acquérir sa liberté. Une fois que le peuple aura occulté la peur qui l'oppressait, il a pourra enfin  se remettre sur pied et conquérir de lui-même sa libération.    

Citation : “La seule prison est la peur, et la seule liberté est d’être libéré de la peur“ (Aung San Suu Kyi: figure de l'opposition non violente à la dictature militaire de son pays (Birmanie), lauréate du prix Nobel de la Paix en 1991, elle est de facto chef du gouvernement de  2016 à 2021, année du coup d’Etat de l’armée) 

“Les peuples n'ont jamais que le degré de liberté que leur audace conquiert sur la peur”  (Stendhal).
“Celui qui vit dans la crainte ne sera jamais libre” (Horace). 
 

Conclusion 
La peur est un facteur évident à la liberté d’un individu, elle écrase sa témérité, son orgueil et ses passions pour lui imposer un mode de vie défini. Dans V pour Vendetta,  la peur est la principale arme qui permet au gouvernement despotique de garder les  citoyens sous sa coupe d’influence. Grâce au contrôle des médias et des forces de l’ordre, à la propagande et aux arrestations arbitraires, la peur a grandi dans la population
et ainsi mis en péril les libertés fondamentales des Londoniens.  Le révolutionnaire
masqué connu sous le nom de « V » affirme alors à une habitante, Evey Hammond, qu’elle doit avant tout vaincre la peur ancrée dans sa conscience si elle veut parvenir  à se libérer des chaînes qui retiennent sa souveraineté au sein de l’Etat. En chassant la peur, n’importe qui trouvera la force de se battre pour la libération, la sienne ou celle de son corps social.
Néanmoins, toute peur n’est pas à abandonner. Si, dans une  société, chaque adhérent dispose d’une liberté de pensée et d’agir illimitée, il finirait tôt ou tard par entrer en conflit avec un ou plusieurs autre(s) adhérent(s) aux désirs et passions divergentes. Pour alors éviter tout effondrement d’ordre sociétal, les individus  se fixent entre eux des limites basées sur les vertus morales du bien en commun. C’est ce qu’on appelle « des lois », et en corrélation avec le maintien d’une société stable,  elles mettent en place des sanctions visant à punir toute infraction, créant finalement une peur collective liée à une punition plus ou moins sévère suite à l’explosion de passions non-conformes à la structure sociale.

Le fait d’avoir peur de détruire la société maintient les personnes dans la recherche constante de stabilité et continuité  sociétale. 
Citation : “la défaillance et la peur sont inhérentes à la liberté” (Pascal Brucker, Dix-huitième siècle, 2014). 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Commenter cet article