Introduction
En grec, le mot " pan " signifie totalité. Pan est, partant le dieu de la totalité. Etre hybride, mi-homme, mi-bouc, à la fois bestial et humain et néanmoins divin, il symbolise à lui seul la grande complexité du genre humain dont l statut reste indéterminé entre l'animal et l'ange. Pan est aussi celui au travers duquel s'exprime la Nature, chaque bruissement de feuille, chaque souffle dans un arbre est interprété comme le chant de sa flûte mythique. Mythique en effet, car ne l'oublions pas, pan est un mythe et, en tant que fils d'une muse et descendant de Mnémosyne, il incarne le sens de tout mythe : la mémoire ; et en tant qu'emblème de la Nature, il porte en lui ses valeurs. En somme, Pan est un mensonge, à la fois vecteur d morale et être au caractère divin.
Pan n'est autre qu'un mythe, certes, mais qu'en est-il de la Nature elle-même ? Le mythe est la création de l'homme, une invention des sociétés humaines. Un mythe est, à tous égards culturel, depuis sa conception jusqu'à son récit. Dès lors, la Nature est-elle, elle aussi un mensonge ? N'existe-t-elle pas ? N'a-t-elle jamais existé ? Pourquoi alors persévérons-nous dans ce culte de l'erreur ?
Quelles sont les valeurs qu'elle véhicule ? Pourquoi refuser de finaliser la Nature ? Qu'en est-il de la Nature humaine ? N'est-elle, elle aussi qu'un mythe ?
Enfin, si la Nature est un mythe alors nous l'avons divinisée. Mais dans quel but ?, pourquoi est-il périlleux de considérer notre mère nourricière comme une personne ? De l'ériger en loi ? Bannir la technique qui l'achève n'est-ce pas en revenir à un certain paganisme ? Dès lors, dédiviniser la Nature ne permettait-il pas de mieux la découvrir ?
La Nature est un mensonge bien naturel
La Nature n'existe pas, ou plus.
Mais qu'importe de savoir si oui ou non elle a jamais existé puisqu'elle reste inaccessible. Elle est perdue. Tout ce qu'aujourd'hui nous appelons Nature n'est en fait qu'une forme plus ancienne de culture, la campagne, les forêts ne sont autres que des productions humaines qui n'ont plus rien de ce surgissement spontané qui faisait de la physis grecque une Nature. Le comble de l'artifice est ce qui nous paraît être le plus naturel car l'homme intensifie son action pour se rapprocher de cet idéal naturel, sans voir qu'il ne fait que s'en éloigner un peu plus à chaque instant. Toute vision même de la Nature l'est à travers nos yeux cultivés, comme par les filtres de la culture selon l'expression qu'emploie Levi-Strauss (Anthropologie structurale), cette perception pourrait se résumer à celle de la nature d'un enfant ; et puisque l'on aborde le problème de la nature humaine, elle semble aujourd'hui être la coutume, mais, si cette seconde nature a remplacé la première, dont il ne nous reste plus que ce désir qui fait notre misère, peut-on encore parler de première nature ? Une nature temporaire, une essence passagère ? La nature n'existe pas, elle est création de l'esprit humain.
La culture ayant déçu, elle a crée la nature.
Rousseau présente l'état de nature dans le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes comme une hypothèse purement normative dont la véracité n'est même pas feinte. Cette fiction normative construite en totale opposition par rapport à l'état civil dans lequel nous vivons lui permet de décrire une nature bonne. Alors que les hommes vivent en société et sont souvent sujets à conflits, disputes…, l'état de nature est décrit comme celui où l'homme vit seul et où la nature subvient à ses besoins généreusement. Pour Nietzsche (Aurore), c'est pour se consoler d'une société qui l'a déçu qu'il se sert encore de cette culture pour former par antinomie un état idéal satisfaisant, il définit la nature par rapport à la culture. " O Nature, il n'y a point ici d'homme adroit et fourbe pour s'interposer entre toi et moi " écrit Rousseau (Confessions XII) et c'est cette hypothèse d'une bonne nature qui lui permet de critiquer la société. Ce discours a des fins idéologiques, la nature est une idée, production de la culture.
Parler de nature, c'est parler de politique, parler de soi.
Théoriser le passage de la nature à la culture comme l'ont fait Rousseau et Hobbes permet à l'un comme à l'autre de critiquer la société ou de justifier l'Etat. Parler de Nature, c'est bien parler de culture puisque c'est à partir de la culture qu'ils ont définit la nature, et parler de culture, de société a indubitablement des fins politiques. La Nature est donc un mensonge puisqu'elle n'existe plus, et toutes les représentations que nous nous en faisons ne peuvent avoir comme référentiel que la culture, elles permettent à chacun de soutenir une hypothèse normative et de proposer des valeurs pour les sociétés humaines. Dire de la Nature qu'elle est un mythe ne serait-ce pas alors refuser de la finaliser ?
Reconnaître que la Nature est un mythe, c'est refuser de la finaliser
La Nature, dieu et les hommes atteints du même " délire " ?
Finaliser la Nature traduit la volonté humaine de tout interpréter, de projeter ses impressions sur la Nature et, parce que l'homme a le sentiment d'agir toujours en cherchant à atteindre un but, il pense que la Nature en fait autant. Cette critique du finalisme que fait Spinoza dans L'Ethique se fonde sur la liberté divine, notamment lors de la création ex-nihilo. " Berechit "dit la Torah, c'est-à-dire " au commencement " pour bien souligner qu "avant il n'y avait rien, sinon Dieu, l'être unique, unique comme le un que représente la lettre aleph, première lettre de l'alphabet hébreu, la seule qui soit avant le bet (Berechit ). " Dieu est cause immanente et non transitive de toute chose " souligne Spinoza pour nier encore une fois ce finalisme qui renverse les causes et les effets et voudrait reconnaître à la Nature une pensée, une volonté, alors que sa seule loi est nécessité. La Nature, Dieu et les hommes seraient alors tous atteints du même délire de finalisme, dire que la Nature est autre chose qu'un mythe reviendrait à la finaliser, à nier la liberté divine et reviendrait à dire qu'avant la première création il y avait eu une création !
Parler de Nature humaine serait nier nos talents de caméléons.
De la même manière, admettre une nature humaine, serait reconnaître un plan caché, nier, non pas la liberté de l'homme, mais sa perfectibilité, sa caractéristique principale, seul don que Dieu lui ait fait lors de sa création que raconte Pic de la Mirandole (De la dignité humaine) : celui de faire varier toujours en lui sa nature, de s'adapter. "Qui alors n'admirerait ce caméléon que nous sommes ? " La Nature humaine ne saurait donc être vraie, il ne s'agit là encore que d'une fiction. Ces deux fictions celle d'une nature et celle d'une nature humaine toutes deux perdues cultivent un mythe. Le mythe de la nature.
Le mythe de la nature : celui de l'éternel retour.
La nature symbolise l'éternel retour, celui de Perséphone qui après avoir été enlevée par Hadès et avoir mangé la grenade des Enfers ne peut revenir et rester auprès de sa mère Demeter, à la surface. Elle est contrainte de retourner au royaume de son mari tous les six mois. Ainsi, à chaque départ, c'est l'automne, à chaque retour, c'est le printemps. Mais jamais elle n'est aussi belle qu'avant son premier départ et tous gardent le souvenir mélancolique de cette beauté perdue. L'éternel retour de Perséphone marque les saisons que régit sa mère déesse céréalière, et cette beauté perdue est comme la Nature. Le mythe de l'éternel retour, mythe de l'éternel détour puisqu'à chaque fois, elle retourne d'où elle vient, symbolise notre aspiration à retrouver cette nature perdue. Ce mythe nous entretient dans l'idée que nous pouvons la retrouver au lieu de nous laisser nous en dégager. Car en fait, l'éternel retour n'est qu'un éternel tour que nous nous jouons à nous-mêmes croyant comme Ulysse pouvoir retrouver cet idéal dont nous avons un vague souvenir, mais cet idéal, nous l'avons quitté et ce n'est qu'une illusion de croire que nous pourrons le retrouver. A notre retour, il ne sera plus le même et, déçus nous repartirons encore à sa recherche. Le mythe de la nature nous entretient donc dans uns constante mélancolie à l'égard de ce qui nous échappe et nous échappera toujours. Il place la Nature sur un plan idéal, il la personnifie et la divinise.
Le mythe le plus dangereux qui soit
Accorder des droits à la Nature.
La personnifier c'est s'inscrire dans un respect de la Nature et donc lui accorder autant de droits qu'à une personne. Certes, elle ne peut se défendre, mais par analogie avec la situation de l'enfant, on lui accorde tout de même des droits. Mais n'y a-t-il pas tout de même une différence entre un enfant qui est un adulte en devenir et qui pourra un jour se défendre et la Nature qui, elle, ne se manifestera pas ? C'est dans ce respect et cette personnification que s'inscrit Jonas quand il énonce dans Le Principe responsabilité cet impératif qui ressemble aux impératifs catégoriques kantiens : " Agis de telle sorte que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité d'une future vie humaine. " N'y a-t-il pas alors une grande hypocrisie à prétendre défendre la Nature lorsque c'est en fait l'homme que l'on défend ?
Diviniser la Nature méthodiquement.
C'est en effet ce que propose Kant en expliquant que la Nature est une tout et que nous ne pouvons la concevoir que comme un tout. En revanche, la seule connaissance que l'on puisse avoir est celle de l'expérience, mais on ne peut faire l'expérience de la Nature dans sa totalité. Faudrait-il pour autant renoncer à connaître la Nature ? Introduire le divin permettrait de mieux appréhender la Nature. Donc l'hypothèse de diviniser la Nature, de poser un être suprême trouve une application pratique dans la physique. Cependant, n'y a-t-il pas un danger à diviniser la nature ?
Il faut dédiviniser la Nature.
Diviniser la Nature, ce serait faire avec Heidegger la critique de la technique car celle-ci depuis Descartes achève la Nature, non plus au sens de parachever, porter au bout, mais au sens de tuer. Cette critique laisse croire à un certain paganisme et à un rejet de la technique que dénonce Levinas dans Heidegger, Gagarine et nous. Lévinas s'oppose à cette thèse du sacré filtrant à travers le monde, à travers la Nature. Il reconnaît au judaïsme par l'intermédiaire d'Abraham la force d'avoir détruit les idoles, d'avoir fermé la porte à l'obscurantisme et d'avoir pu découvrir le vrai visage de l'homme à nu, que son essence transcende. Il fait du judaïsme un proche de Socrate car lui aussi se désintéressait de la Nature, de la campagne pour se consacrer à l'Agora, la ville, là où se trouvent les hommes. Enfin, Lévinas dénonce le mythe de la Nature qui cherche à nous attacher à la Terre, alors qu'elle n'est source que d'une opposition entre les cosmopolitiques et les nationalistes. Ceux qui se disent citoyens du monde se disent tout de même citoyens de quelque part et ne sont donc que des nationalistes à l'échelle planétaire. Le vrai dépassement n'est possible que grâce à la technique qui dédivinisera la Nature et nous permettra de nous arracher comme Gagarine, premier à être réellement détaché du monde . cette anabasis n'est-elle pas la condition de la liberté ?
La Nature est un mythe, à la fois un mensonge que l'on perpétue parce qu'il est une réaction normale aux déceptions de la culture, comme un poumon artificiel ; et un danger. Danger tout d'abord parce qu'il nous entretient dans cet état de mélancolie et l'attente de ce prétendu retour, un mythe donc qui nous joue un tour ; et danger car diviniser la nature empêche l'homme de s'en affranchir et le borne à refuser la technique. Ce mythe traduit le besoin de l'homme depuis l'Antiquité de tout identifier à lui, de tout rapporter à lui, de se faire la " mesure de toute chose " ; ainsi, il interprète les bruits des sources , des arbres… jusqu'à Baudelaire qui dit de la Nature qu'elle nous parle, qu'elle " laisse parfois sortir de confuses paroles "(Correspondances). Le mythe de la Nature se perpétue et tient l'homme prisonnier de sa propre culture.
source :
http://www.klubprepa.fr/Site/Document/Document.aspx?IdDocument=5009&IdProgMat=8
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