Sujet de bac blanc lycée naval de Brest, janvier 2023, 4 H.
Proposition de traitement par Mr Alix HELIES, T1.
Tout à chacun éprouve différents stades, différentes phases d'un sentiment de liberté quoique parfois inexistant au sein de son être. Telle est la liberté produit de ma conscience : cette même liberté d'ailleurs peut être ressentie et perçue à différents niveaux dû au fait qu'elle n'influe pas toujours de la même manière ce que je suis et mes actions.
En effet malgré le fait que je puisse être limité par différents facteurs, je suis souvent libre de choisir ce que ma conscience me dicte. Cependant, l'expérience ordinaire témoigne parfois de l'impossibilité de suivre ma volonté et, en ce sens, je ne puis faire ce que je veux. Cela reviendrait à considérer qu'il existe diverses couches qui déterminent la nécessité de ma liberté, à différentes échelles et dans un cadre donné.
Si l'on considère cela, quels sont les niveaux de liberté ? Et en quoi permettent-ils l'exercice de notre liberté ? Pour autant, existe-t-il réellement différentes manières d'effectuer notre liberté si l'on considère qu'il n'y en a qu'une ou bien même aucune ? Cela revient à nous demander : "la liberté comporte-t-elle des degrés ?"
Pour y répondre, nous tâcherons dans un premier temps de définir les premiers degrés de la liberté dans le cadre de l'esprit, pour ensuite affronter les limites de notre liberté qui vont caractériser notre capacité et notre pouvoir d'action, lesquels s'inscrivent dans un autre degré de liberté. et finalement nous ferons machine arrière en remettant en doute l'existence de ces degrés de liberté et le concept de liberté en lui-même.
Tout d'abord, ma liberté est dictée à mon être comme la seule contrainte que mon esprit, que ma conscience me fixe. Ce sentiment que l'individu ressent à tout moment est un fait de ma conscience. L'homme est libre s'il pense et s'il en a la volonté. René Descartes corrèle d'ailleurs la liberté et la volonté dans son Discours de la méthode de 1637 à travers cette idée que « la liberté de notre volonté se connaît par la seule expérience que nous en avons ». En ce sens, Descartes décrit ce premier degré de la liberté comme une connaissance immédiate de la volonté, une connaissance effective qui se fait sans preuve. Selon Descartes, ce sentiment intérieur et spontané régit chaque être conscient : la liberté est sous cet angle incontestable.
Si l'on adopte cette idée d'une liberté incontestable comme le dit Descartes, nous pouvons suivre notre conscience, et cela sans forcément suivre la raison et la morale. Et c'est d’ailleurs ce que Descartes à omis de dire. Cela voudrait dire que ma volonté régit une forme de liberté d'autonomie. Cet autre degré de la liberté est notamment représenté par le personnage de Lafcadio dans Les caves du Vatican d'André Gide. En effet, le personnage de Lafcadio s'étant auto-régi par son autonomie, c'est-à-dire en se créant et en s'attribuant ses propres lois, va décider de pousser un homme en dehors du train dans lequel ils étaient tous deux, lui donnant ainsi la mort. Ce meurtre illustre parfaitement « l'acte gratuit » en même temps que le ait de prouver et de tester les limites du libre arbitre ainsi que la liberté d'agir.
Notre liberté, en plus d'être une connaissance immédiate de son être, est déterminée par nos choix. Ce sont ses choix, produits de notre libre arbitre, qui viennent s'inscrire dans un degré de la liberté même si l'on décide de ne pas en faire : il s'agit de la liberté d'indifférence représenté par le fameux âne de Buridan qui, placé à un point équidistant d'une source de nourriture et d'eau, préfère se laisser mourir sur place plutôt que de faire un choix. Cet exemple montre une paresse de notre liberté plutôt que la capacité d'assumer le choix. En ce sens, notre liberté est parfois régie voire soumise par des contraintes externes mais aussi internes, nous menant ainsi à un degré supplémentaire de liberté
Mais que représentent ces nouvelles contraintes dans le cadre de l'accomplissement de notre liberté ? Sont-elles nécessaires ? Et si oui, pourquoi ?
Notre liberté est autant régie par nous-mêmes que par des lois. Ces lois, en tant que contraintes à ma liberté individuelle totale, vont au contraire garantir ma liberté et l'inscrire dans un nouveau degré de liberté : la liberté en société, en collectivité.
La loi et la justice sont nécessaires à ma liberté, Jean-Jacques Rousseau dans ses Lettres écrites de la montagne (1764), écrit que « la liberté sans la justice est une véritable contradiction ». Cette citation met en avant le fait qu'il est nécessaire d'établir une clause qui sera la soumission totale et inconditionnelle de tous vis-à-vis de chacun : la justice permet la liberté. Rousseau inscrit ainsi l'égalité comme degré de la liberté dans son contrat social : en instaurant un lien réciproque entre le souverain et son peuple, l'individu tisse sa liberté et place son exercice dans le cadre collectif, en obéissant aux lois.
Malgré ces contraintes de soumission aux lois, Hegel, dans son ouvrage Principes de la philosophie du Droit de 1820, reconnaît un degré supplémentaire de liberté comme une réalisation de l'esprit absolu. Selon lui, l'individu atteint la liberté en réalisant sa propre volonté dans le monde et en se conformant aux lois de « l'esprit universel ». À l'image de Rousseau Hegel inscrit l'exercice de la liberté à travers la participation à la vie en communauté. Cependant, il souligne également que la liberté est limitée par les exigences de la raison et de la justice.
Contrairement à Rousseau et à Hegel qui considèrent que les contraintes de la liberté viennent des lois ou d'une institution politique ou morale, Kant défend l'idée d'une liberté transcendantale, une liberté d'un point de vue intellectuel. Dans sa Critique de la raison pure écrite en 1781, l'auteur définit la liberté comme « l'autonomie de la volonté». Il corrèle la nature et la liberté transcendantale et les distingue l'une de l'autre comme « la conformité à des lois et l'absence de loi » : Kant prend ici l'exemple de la nature et considère la liberté en tant qu'indépendance à l'égard des causes déterminants du monde sensible grâce au point de vue intellectuel. En ce sens, l'ensemble de ce qui arrive à l'être humain est à l'origine un déterminisme absolu. C'est ce que défend Kant à travers l'idée que « tout dans le monde arrive uniquement d'après les lois de la nature » : cela vient alors remettre en question tous les degrés de la liberté vu précédemment puisque, ici, il n'y a pas de degré de liberté car nous ne sommes pas libres de nos choix.
Pourquoi pouvons-nous remettre toutefois en doute notre liberté et son existence sur plusieurs échelles ? Vivons-nous dans le mensonge de notre liberté ?
Si l'on suit le philosophe anarchiste Mikhaïl Bakounine, nous sommes, en tant qu'individus vivant en société, domptés par « la loi des plus faibles». En effet, en rejetant l'état de nature qui nous dicte que l'homme ne doit être dominé par rien ni personne (ni dieu ni maître) , nous ne sommes pas libres. Cela vient du fait de considérer que le seul degré de la liberté possible serait l'anarchie (du grec “an” et “arkhé”, l'absence de pouvoir). Le conte de Barbe Bleue représente d'ailleurs la vision anarchique de Bakounine, qu'il reprend en considérant l'acte de la femme de Barbe Bleue d'entrer dans la pièce interdite comme : « un acte nécessaire de sa liberté ». Selon l'auteur, nous devons désobéir aux lois (pièce interdite) pour être libres. Mais étant donné que nos sociétés modernes actuelles sont toutes régies par des lois, l'individu moral (et non le “hors-la-loi”) ne possède en ce sens pas de liberté, donc les degrés de liberté sont à remettre en question.
En plus de Bakounine qui réfute notre devoir d'obéissance aux lois comme condition de notre liberté, Baruch Spinoza quant à lui réfute notre capacité à faire des choix : notre libre arbitre. Dans sa célèbre Lettre 58 à Schuller, Spinoza remet en cause notre capacité à faire des choix et à prendre des décisions car il considère que les hommes sont « ignorants des causes qui les déterminent » en parlant de nos désirs. Spinoza défend là un déterminisme dans lequel tout est déterminé d'avance selon un enchaînement de cause à effet. En ce sens, notre liberté ne résiderait pas dans le fait de faire des choix mais au contraire s'opposerait à une contrainte. Spinoza déconstruit ainsi la thèse du libre arbitre, principal degré que comporte notre liberté.
Cependant, malgré la considération en tant qu'existence de notre liberté, la question de la réelle nécessité de la liberté ne s'est pas posée : en ce sens, est-ce que la liberté serait contingente ? C'est ce que les maîtres du soupçon, Freud Marx, Nietzsche, vont mettre en lumière à travers leurs différentes thèses.
Ces trois philosophes vont remettre en question l'affirmation existentielle de la liberté en posant au contraire qu'elle n'est pas : Marx en développant la thèse que l'existence sociale détermine notre conscience et toutes nos actions futures donc notre libre arbitre ; Freud en développant la thèse de l'inconscient qui, à tout moment, ne nous rend pas maîtres de nous-mêmes. Et enfin Nietzsche, qui développe la thèse qu'il n'y a pas forcément quelque chose qui agit lorsque l'on pense, en considérant le je comme une croyance grammaticale que l'on devrait remplacer par « ça pense » et en parlant d'un processus interne à déterminer. En ce sens il n'y a pas de degré de liberté puisque celle-ci n'existe pas du fait de l'échec de notre libre arbitre au sein de notre être.
Ainsi nous avons exploré les différents degrés que comporte notre liberté, d'abord en tant que pouvoir de faire et de penser grâce à notre volonté et sans forcément sous l'influence de contraintes externes. Puis, nous avons mis en lumière les limites de notre liberté au travers les lois qui limitent son accomplissement sur différentes échelles. Et finalement, ces degrés de liberté ont été remis en question ainsi que l'existence de la liberté elle-même à travers les thèses des maîtres du soupçon.
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