Sujet de bac blanc lycée naval de Brest, janvier 2023, 4 H.
Proposition de traitement par Mlle Chloé Tual, T1.
Nous avons coutume de dire que choisir, c’est accepter de fermer une porte pour en ouvrir une autre. C'est-à-dire que choisir une solution plutôt qu'une autre nous ferait renoncer. Ainsi, notre vie étant parsemée de choix au quotidien, nous passerions notre temps à renoncer. « Renoncer »a souvent une connotation négative, synonyme d'abandonner, de cesser le combat. Il peut également signifier l'acceptation de la défaite. Chaque choix à son lot d'interrogations et de dilemmes, comme le souligne Corneille dans Le Cid où Don Rodrigue doit choisir entre l'amour et l'honneur de sa famille. Ce choix marquera les esprits par sa difficulté de prendre position qu'on appellera plus tard : un choix cornélien.
Ici, la notion de renoncement est explicite. Si Rodrigue choisi de venger son père en tuant le père de Chimène (la femme qu’il aime) il perdra son amour. S’il choisit l'amour, il renonce à son honneur. Néanmoins, le choix, l'action de choisir laisse entendre la notion de libre arbitre. En d'autres mots, la capacité de choisir telle ou telle solution traduit une certaine liberté.
Ainsi, l'homme choisit de renoncer en toute connaissance de cause, en toute liberté. Dans Matrix, Neo doit faire face mais aussi un choix difficile. Contrairement à Don Rodrigue, qui trouve un moyen de rétablir son honneur sans tuer le père de Chimène. Neo, lui, choisit la vérité et de renoncer au mensonge confortable, que lui offre la Matrice. Alors, même si Neo renonce à l'illusion de celle-ci, il gagne à savoir la vérité. L'idée de perte qu’insuffle, le mot « renoncement » n'a donc pas lieu.
Alors, si choisir c'est renoncer, peut-on au moyen de notre libre arbitre abandonner ? « Être libre, est-ce renoncer » y compris à la liberté elle-même ? Où choisir de renoncer nous rend-il plus libres ? Et si renoncer n'était qu'un mot, avec une vision pessimiste qui nous ramène à ce qu'on a perdu ? Et si, en fin de compte, renoncer pouvait se traduire par gagner ? Au même titre que le verre à moitié vide se traduit par un verre à moitié plein ?
C'est pourquoi, nous allons voir dans un premier temps que d'être libre, c'est renoncer. Puis, dans un deuxième temps, que certes nous renonçons, mais que nous avons tout à y gagner. L'homme a-t-il la liberté, est-il libre pour pouvoir décider si oui ou non, il doit persévérer dans sa démarche ou au contraire, se tourner vers d'autres objectifs ?
La liberté permet à l'Homme de choisir de renoncer.
Dès l'Antiquité, dans Antigone, de Sophocle, Antigone, fille d’Oedipe et Jocaste, fait un choix courageux. Après qu’Oedipe se soit crevé les yeux et se soit exilé de la cité, ses deux frères Etéocle et Polynice règnent en alternance. Cependant, les deux frères désireux d'avoir le trône seulement pour eux-mêmes, se battent au cours d'un sanglant combat. Les deux meurent et Créon (leur oncle) monte sur le trône. La première déclaration de Créon, en tant que roi, est de proclamer que Polynice ne sera pas enterré tandis qu’Etéocle sera inhumé avec tous les honneurs. Antigone refuse de se plier à ce décret et choisit de désobéir en enterrant quand même son frère. Elle préfère suivre la justice divine qui consiste à enterrer une personne sans quoi elle ne trouvera pas le repos plutôt que les lois de la cité. En faisant ce choix, Antigone sait pertinemment qu'elle renonce à la vie face aux décisions arbitraires de Créon. De plus, Créon est d'autant plus arbitraire par le choix des corps des deux frères. En effet, lors du combat fratricide d'une violence extrême, les corps n'étaient pas identifiables. Créon a donc choisi au hasard lequel des deux aurait le droit à un enterrement.
Si Antigone renonce à la vie pour une cause qu'elle estime juste, Adolf Eichman un dignitaire nazi,a pour sa part renoncé à son humanité. Dans son livre, Eichmann à Jérusalem, Hannah Arendt expose sa théorie de la "banalité du mal". Durant son procès, Eichmann plaide non coupable et affirme n'avoir fait que son travail bureaucrate, de fonctionnaire. C'est de manière glaçante que la technique permet ici à l'homme de prendre tellement de recul qu'il peut tuer des milliers de personnes sans sourciller. Ce dignitaire nazi est à l'origine de "la solution finale" : à l'évidence, il n'est pas seul mais reste un élément moteur du groupe. En prenant ce recul, il renonce à son humanité en choisissant d'être l'instigateur d'une tuerie de masse. Pour sa défense, il avance avoir suivi les préceptes de Kant qui stipule que la morale consiste à obéir aux lois de son pays. Néanmoins, Eichmann a mal compris et a suivi aveuglément les ordres sans se poser de questions. Ainsi, il utilise son libre arbitre en décidant de ne plus l'utiliser.
Or, décider de s'abstenir de faire un choix en reste un. Si être libre, c'est renoncer ou abandonner. être libre est-ce s’abandonner à ses passions ? Calliclès dans le Gorgias de Platon stipule que la véritable liberté serait de répondre à nos désirs. Ce qui s'apparente à la liberté dite naturelle. Pour lui, la force et la liberté sont intimement liées puisque, par sa force il peut faire plier autrui selon son bon vouloir. Mais elles représentent aussi des limites puisque, s'il tombe sur quelqu'un de plus fort que lui, il ne sera plus libre. Alors, la liberté est-elle éphémère ? Socrate va donner tort à Calliclès avec l'exemple des tonneaux. Quelqu'un qui contrôle ses passions (peur, colère, haine, etc.) possède un tonneau plein dans lequel il peut se servir avec modération. Tandis que Calliclès possède un tonneau percé qu'il est contraint de remplir pour combler ses désirs. Ainsi, en reprenant l'exemple du tonneau des Danaïdes, Socrate démontre à Calliclès que celui-ci est esclave de ses désirs et donc par définition non libre. Calliclès a donc l'impression d'être libre qui consiste à faire ce qu'il veut, quand il veut, comme il veut. Cependant, même si cette définition simpliste de la liberté peut paraître à Socrate limitée, Calliclès fait néanmoins un choix montrant sa "liberté d'indifférence" au sens positif puisqu'il agit et ne reste pas dans l'incertitude paralysante.
Certes, la liberté permet à l'Homme de renoncer, d'abandonner. Néanmoins, nous avons tout à y gagner; renoncer n'est pas synonyme d'échec puisque nous devons échouer et en tirer un nouvel enseignement. Dans la Bible, dans la Genèse au chapitreI,3, Adam et Eve sont dans le paradis et ont une liberté totale, sauf en ce qui concerne l'arbre du fruit défendu. Les deux protagonistes désobéissent, Eve est tentée par le serpent symbolisant les tentations. C'est ainsi qu'Adam et Eve mangent le fruit de la connaissance et donc de la conscience. D'où va résulter la prise de conscience de leur nudité et de leur faute puisqu'ils ressentent ensuite des regrets et de la honte. Dieu les chasse alors du paradis et condamne Adam à travailler la terre à la sueur de son front pour se nourrir et Eve à enfanter, et en plus dans la douleur. De par leurs choix, certes mauvais, ils ont pu apprendre de nouveaux sentiments (la honte) de nouvelles valeurs (celle de l'effort et du travail). La désobéissance peut s'avérer constructive. Le libre arbitre de chacun est différent. Cela permet de se construire une personnalité, une identité en tant que personne unique.
Nos choix sont donc déterminants de notre construction et de qui nous sommes. Dans Harry Potter et la chambre des secrets de JK Rowling, Harry ne se sent pas à sa place dans sa maison. À Poudlard, l'école des sorciers dispose de quatre maisons avec chacune leurs caractéristiques et critères. Ainsi, Harry se fait placer par le Choixpeau à Griffondor qui est représenté comme les « gentils » opposés aux Serpentard qui sont les « méchants ». Durant l'histoire, Harry à peur de ressembler à Voldemort, le tueur de ses parents. En effet, il se rend compte de plusieurs similitudes parmi lesquelles le pouvoir de parler Fourchelang (la langue de serpent) qui est réservé à la maison Serpentard et plus précisément à l'héritier du fondateur de cette maison. Face a cette peur, Albus Dumbledore, qui a pour rôle de guider Harry, lui fait remarquer avec justesse que ce ne sont pas nos attitudes qui nous définissent, ce sont nos choix : Harry avait choisi d'aller à Griffondor en première année contrairement à Voldemort qui lui était allé à Serpentard. De plus, le questionnement d’ Harry montre qu'il n'est pas comme Voldemort, car dans le cas contraire il n'y penserait pas. En choisissant, Harry s’affirme en tant que personne indépendante des similitudes de Voldemort.
Ainsi, l'Homme est capable de choisir dans le but que ce soit bénéfique pour lui. C'est ce qu'avance, Jean-Jacques Rousseau dans Le Contrat social. L’état de nature est ce qui pourrait précéder l'état civil qui forme nos sociétés. Dans l'état de nature, les Hommes sont libres de tous faire pour se préserver, y compris attenter à la vie d'autrui. Chaque Homme est dans une peur constante mais est relativement égal, ce qui n'empêche pas les alliances et la ruse. Thomas Hobbes va émettre dans l'ouvrage éponyme la théorie du Léviathan, qui ferait plus peur que la peur que les hommes éprouvent les uns pour les autres. Ainsi, la terreur maîtriserait les Hommes. Néanmoins, Rousseau explique que les Hommes n'auraient aucun intérêt à s'y plier. Il met en place un contrat social que les Hommes sont libres de contracter ou non. Le choix est logique, l'union fait la force et ensemble ils ont plus de chances de survie. Dans ce contrat, l'individu doit mettre sa force et sa liberté naturelle. En échange, il bénéficie de la protection du groupe et du droit positif. Les Hommes ne sont pas asservis comme dans le cas de Hobbes puisque les règles, les lois seront édictées selon le groupe. Par conséquent, la contrainte physique de Hobbes est remplacée par l'obligation morale de Rousseau qui est plus durable puisqu'elle crée du droit. De plus, si les Hommes bafouent les lois du groupe, ils en sont alors exclus et récupèrent leurs forces et leurs libertés naturelles. Ainsi de par ce choix qu’offre le contrat social, les hommes sont libres de choisir le reste de leur vie et gagne, développent de nouveaux savoirs (vivre en groupe), des sentiments comme la confiance et du développement, ou encore le commerce, l’art, la science, ce qui est impossible à l'état de nature où la peur prédomine.
Cependant, si nous nous fourvoyions depuis le début en pensant que nous étions libres de choisir ? Sommes-nous réellement libres de choisir telle ou telle chose ?
Dans Les Caves du Vatican d'André Gide, Lafcadio se questionne sur la causalité de ses actes. Il arrive à la conclusion que si l'acte est fait sans aucune raison alors cet acte est libre. C'est ce qu'on appelle l'acte gratuit. Lafcadio est dans un train en face de Fleurissoire, un vieil homme. C'est alors que sans aucune raison particulière, il se dit qu’il tuera l'homme si, dans un intervalle de 10 secondes, il n'y a pas de feu de circulation qui s'allume le long de la voie. Dans le cas contraire, il n’arrivera rien à Fleurissoire. Malheureusement pour lui, un feu jaillit dans la nuit. Néanmoins, l'acte gratuit dont se targue Lafcadio dépend quand même d'un élément extérieur même si son crime n'a aucun mobile, sauf celui d'agir librement.
Ainsi, Spinoza, bien avant André Gide, s'était interrogé sur la relation de la causalité et des actions. Dans la Lettre 58 à Schuller, il avance le déterminisme, qui est la croyance en des forces supérieures qui nous laisseraient peu de liberté. Pour Spinoza, l'action pour nous n’est qu’une réaction, car le fait de penser que c'est une action n'est que pur fantasme de la liberté. Ainsi, les Hommes se sentent libre car ils « sont conscients de leurs désirs et ignorant des causes de ces mêmes désirs ». Pour étayer sa pensée, il utilise l'exemple d'une pierre qui roule. Si elle roule sans entraves, elle est libre, même si elle ne sait pas pourquoi elle roule. Tandis qu'une pierre coupée dans sa course ne l'est plus. L'obstacle qui gêne la pierre est l'ensemble des affects et les passions du conatus qui consiste à "persévérer dans son être". De cette manière, Spinoza veut démontrer que l'homme subit les lois de la nature, et que le libre arbitre n'existe pas, qu’il n'est qu'une illusion.
De plus, la sensation de cette liberté peut être décuplée par l'ignorance de la personne. Par exemple, nous devons absolument choisir entre une porte A et une porte B pour nous enfuir pour de multiples raisons. Admettons que nous choisissions la porte A et que nous parvenions à sortir, mais que nous apprenions après-coup que la porte B était fermée : si nous avions eu cette information, pendant que nous voulions choisir, nous n'aurions même pas eu de choix...
Pour conclure, être libre ne se résume pas qu'à renoncer puisque faire un choix peut s’avérer mauvais - auquel cas, c'est bien renoncer à une meilleure option mais cela peut aussi faire un bon choix et, dans ce cas-là, l'individu a beaucoup à y gagner.
Toutefois, un mauvais choix peut également être instructif pour la personne. Cela devient une décision empirique : ainsi, le libre arbitre n'est pas une table rase.
Commenter cet article