Analysez ces quatre vignettes à l'appui du cours sur l'Inconscient :
Analyse :
J.-M. Apostolidès, Les métamorphoses de Tintin, 1984, pp. 175-177.
"L'angoisse de Tintin devant la figure paternelle est perceptible dans le rêve qu'il fait dans Les Cigares du Pharaon (1934). Tintin vient de pénétrer dans la pyramide de Khi-Oskh, le lieu interdit par excellence, puisque c'est là que le Père dissimule l'arsenal de sa puissance (les cigares). Le héros approche de la connaissance oedipienne lorsqu'il tient en main un "cigare du Pharaon" dont on apprendra plus tard qu'ils sont intouchables. Il n'aura pas le temps de briser l'objet pour en découvrir le secret, il ne le fera qu'à la fin de l'aventure sous l'œil approbateur du maharadja. Au moment où il pourrait résoudre l'énigme du Père, Tintin est victime d'un narcotique. Avant de sombrer dans l'inconscience, ses fantasme lui révèlent une partie de la vérité, le secret de son rapport au Père.
La première image montre Tintin s'imaginant embaumé avec Milou ; il voit la réalisation de la menace que le Père fait peser sur lui à la suite de sa transgression ; il y a des choses que l'enfant ne doit pas connaître, des scènes auxquelles il ne peut pas assister sans punition.
Image 2, les vapeurs du narcotique, de couleur verte (emblème de la renaissance dans la religion égyptienne), se répandent. Tintin, à quatre pattes comme un chien (c'est-à-dire régressant vers un stade antérieur), perçoit deux personnages. Le plus gros est sans doute le Pharaon qui va s'emparer de lui. plus en retrait, Anubis, le dieu-chacal, celui qui préside aux funérailles et à l'embaumement. Il tient un parapluie, objet polysémique qui condense une signification culturelle et une autre, individuelle : il évoque à la fois le crochet qu'Osiris porte lors du Jugement et l'instrument phallique du professeur Siclone. A gauche, Dupont fume un cigare, il porte un serpent "phallique" à son chapeau et une toge masculine. À droite, Dupond est davantage féminisé. Il allume le cigare de son collègue dans un geste de soumission ; s'il n'a pas d'attribut masculin, il porte par contre une toge de reine qui précise sa féminité. En retrait, Philémon Siclone vient redoubler l'image du père en apportant une boîte de cigares, symbole de puissance et de sexualité. Nous interprétons cette scène comme un substitut, acceptable par la censure, de la scène primitive ; les Dupondt roulent de gros yeux, comme les parents sévères des fantasmes enfantins ; leur regards menaçant s'adressent à Tintin, voyeur de la scène.
Image 4, le voyeurisme du héros entraîne immédiatement sa punition ; le jugement est rendu, on exécute la sentence. Une boîte de cigares flotte au-dessus de la scène comme un rappel de la Loi. Nous distinguons dans cette image deux scènes condensées, celle de gauche étant antérieure à celle de droite. Tintin y est d'abord porté par deux êtres qui le descendent dans son tombeau. L'un des deux porteurs est Rastapopoulos, vêtu à l'égyptienne, l'autre est un réinterprétation "tintinienne" du dieu Anubis puisque la tête de chacal est remplacée par celle de Milou. Ici, le compagnon du héros est devenu son juge car il roule de gros yeux comme les autres personnages. L'équilibre des forces est renversé, l'animal domine l'homme, tout en ayant conservé ses caractéristiques humaines. La première version de l'album indique clairement où Tintin est descendu, dans la mer, dont la couleur verte est semblable à celle de la fumée du narcotique. La seconde partie de la scène redouble la première en la précisant. Le Père condamne le héros à revenir à l'origine, à la Mère. On aperçoit Tintin, redevenu bébé, hurlant d'angoisse dans un sarcophage-berceau. Les bandelettes de la momie sont devenues des langes qui emmaillottent le nourrisson. A son chevet, un Siclone redoutable l'observe plutôt qu'il ne le berce, et il ne simule pas sa satisfaction de tenir le Fils à sa merci."
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