image : Rembrandt , La Leçon d'anatomie du docteur Tulp, 1632. Texte 1: Pascal explique ici quelles sont les limites du modèle géométrique. Ce sont aussi les limites de la démonstration : "Cette véritable méthode, qui formerait les démonstrations dans la plus haute excellence, s’il était possible d’y arriver, consisterait en deux choses principales l’une, de n’employer aucun terme dont on n’eût auparavant expliqué nettement le sens; l’autre, de n’avancer jamais aucune proposition qu’on ne démontrât par des vérités déjà connues ; c’est-à-dire, en un mot, à définir tous les termes et à prouver toutes les propositions. […] Certainement cette méthode serait belle, mais elle est absolument impossible : car il est évident que les premiers termes qu’on voudrait définir, en supposeraient de précédents pour servir à leur explication, et que de même les premières propositions qu’on voudrait prouver en supposeraient d’autres qui les précédassent; et ainsi il est clair qu’on n’arriverait jamais aux premières. Aussi, en poussant les recherches de plus en plus, on arrive nécessairement à des mots primitifs qu’on ne peut plus définir, et à des principes si clairs qu’on n’en trouve plus qui le soient davantage pour servir à leur preuve. D’où il paraît que les hommes sont dans une impuissance naturelle et immuable de traiter quelque science que ce soit, dans un ordre absolument accompli. Mais il ne s’ ensuit pas de là qu’on doive abandonner toute sorte d’ordre. Car il y en a un, et c’est celui de la géométrie, qui est à la vérité inférieur en ce qu’il est moins convaincant, mais non pas en ce qu’il est moins certain. Il ne définit pas tout et ne prouve pas tout, et c’est en cela qu’il lui cède; mais il ne suppose que des choses claires et constantes par la lumière naturelle, et c’est pourquoi il est parfaitement véritable, la nature le soutenant au défaut du discours. Cet ordre, le plus parfait entre les hommes, consiste non pas à tout définir ou à tout démontrer, ni aussi à ne rien définir ou à ne rien démontrer, mais à se tenir dans ce milieu de ne point définir les choses claires et entendues de tous les hommes, et de définir toutes les autres ; et de ne point prouver toutes les choses connues des hommes, et de prouver toutes les autres." Pascal, De l’esprit géométrique (1658). Texte 2 : “Toute l'initiative expérimentale est dans l'idée car c'est elle qui provoque l'expérience. La raison ou le raisonnement ne servent qu'à déduire les conséquences de cette idée et à les soumettre à l'expérience. Une hypothèse est le point de départ nécessaire de toute démarche expérimentale. Sans cela on ne saurait faire aucune investigation ni s'instruire; on ne pourrait qu'entasser des observations stériles. Si l'on expérimentait sans idée préalable, on irait à l'aventure ; mais d'un autre coté, également, si l'on observait avec des idées préconçues, on ferait de mauvaises observations et l'on serait exposé à prendre les conceptions de son esprit pour la réalité. […] La méthode expérimentale ne donnera donc pas d'idées neuves et fécondes à ceux qui n'en ont pas; elle servira seulement à diriger les idées chez ceux qui en ont à développer. L'idée c'est la graine, la méthode, c'est le sol qui lui fournit ses conditions pour se développer. De même qu'il ne poussera jamais dans le sol que ce qu'on y sème, de même il ne se développera par la méthode expérimentale que les idées qu'on lui soumet. La méthode par elle-même n'enfante rien”. Claude Bernard, Introduction à la médecine expérimentale (1865). Texte 3: “Dans la formation d'un esprit scientifique, le premier obstacle c'est l'expérience première, c'est l'expérience placée avant et au-dessus de la critique qui, elle, est nécessairement un élément intégrant de l'esprit scientifique. Puisque la critique n'a pas opéré explicitement, l'expérience première ne peut, en aucun cas, être un appui sûr. Nous donnerons de nombreuses preuves de la fragilité des connaissances premières, mais nous tenons tout de suite à nous opposer nettement à cette philosophie qui s'appuie sur un sensualisme plus ou moins franc, plus ou moins romancé, et qui prétend recevoir directement ses leçons d'une donné clair, net, sûr, constant toujours offert à un esprit toujours ouvert. Voici alors la thèse philosophique que nous allons soutenir: l'esprit scientifique doit se former contre la nature; contre ce qui est, en nous, hors de nous, l'impulsion et l'instruction de la Nature; contre l'entraînement naturel, contre le fait coloré et divers. L'esprit scientifique doit se former en se réformant”. G. Bachelard. La formation de l'esprit scientifique (1938). Texte 4 : ”Que toute notre connaissance commence avec l'expérience, cela ne soulève aucun doute. En effet, par quoi notre pouvoir de connaître pourrait-il être éveillé et mis en action, si ce n'est par des objets qui frappent nos sens et qui, d'une part, produisent par eux- mêmes des représentations et d'autre part, mettent en mouvement notre faculté intellectuelle, afin qu'elle compare, lie et sépare ces représentations et travaille ainsi la matière brute des impressions sensibles pour en tirer un connaissance des objets, celle qu'on nomme expérience ? Ainsi chronologiquement aucune connaissance ne précède en nous l'expérience et c'est avec elle que toutes commencent. Mais si toute connaissance débute avec l'expérience, cela ne prouve pas qu'elle dérive toute de l'expérience, car il se pourrait bien que même notre connaissance par expérience fût un composé de ce que nous recevons des impressions sensibles et de ce que notre propre pouvoir de connaître (simplement excité par des sensations) produit de lui-même : addition de l'esprit que nous ne distinguons pas de la matière première jusqu'à ce que notre attention y ait été portée par un long exercice qui nous ait appris à l'en séparer”. Kant. Introduction à la Critique de la Raison pure (1781). Texte 5: “Les concepts physiques sont des créations libres de l'esprit humain et ne sont pas, comme on pourrait le croire, uniquement déterminés par le monde extérieur. Dans l'effort que nous faisons pour comprendre le monde, nous ressemblons quelque peu à l'homme qui essaie de comprendre le mécanisme d'une montre fermée. Il voit le cadran et les aiguilles en mouvement, il entend le tic-tac, mais il n'a aucun moyen d'ouvrir le boîtier. S'il est ingénieux, il pourra se former quelque image du mécanisme, qu'il rendra responsable de tout ce qu'il observe, mais il ne sera jamais sûr que son image soit la seule capable d'expliquer ses observations. Il ne sera jamais en état de comparer son image avec le mécanisme réel, et il ne peut même pas se représenter la possibilité ou la signification d'une telle comparaison. Mais le chercheur croit certainement qu'à mesure que ses connaissances s'accroîteront, son image de la réalité deviendra de plus en plus simple et expliquera des domaines de plus en plus étendus. Il pourra aussi croire à l'existence d'une limite idéale de la connaissance que l'esprit humain peut atteindre. Il pourra appeler cette limite idéale la vérité objective”. Einstein. L'Evolution des idées en physique (1938). Texte 6 : “ Combien il serait louable chez un prince de tenir sa parole et de vivre avec droiture et non avec ruse, chacun le comprend : toutefois, on voit par expérience, de nos jours, que tels prince ont fait de grandes choses qui de leur parole ont tenu peu compte, et qui ont su par ruse manoeuvrer la cervelle des gens : et à la fin ils ont dominé ceux qui se sont fondés sur la loyauté. Vous devez donc savoir qu'il y a deux manières de combattre : l'une avec les lois, l'autre avec la force : la première est propre à l'homme, la seconde est celle des bêtes : mais comme la première, très souvent ne suffit pas, il convient de recourir à la seconde. Aussi est-il nécessaire à un prince de savoir bine user de la bête et de l'homme.[…] Puisque donc un Prince est obligé de savoir bien user de la bête, il doit choisir le renard et le lion, car le lion ne se défend pas des rets, le renard ne se défend pas des loups. Ceux qui s'en tiennent simplement au lion n'y entendent rien. Un souverain prudent, par conséquent, ne peut ni ne doit observer sa foi quand une telle observance tournerait contre lui et que sont éteintes les raisons qui le firent promettre. […] Et jamais un Prince n'a manqué de motifs légitimes pour colorer son manque de foi. De cela l'on pourrait donner une infinité d'exemples modernes et montrer combien de paix, combien de promesses ont été rendues caduques et vaines par l'infidélité des princes : et celui qui a su mieux user du renard est arrivé à meilleure fin ”. Machiavel, Le Prince (1513)
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