Prise de notes par mlle Zoé Letard :
Position de Platon et de l’idéalisme (cf séance 4)
- Critique par Nietzsche sur cet idéalisme et de l’arrière-monde = le monde des Idées chez Platon (topos noetos), l’idéalisme découle de cette conception qui fait de l’esprit le détenteur d’une forme de vérité ultime. La vérité serait moins corporelle, sensitive ou perceptive, qu’elle ne serait intellectuelle, mentale ; mais c’est l’esprit chez Platon qui détermine l’ordre du réel et la primauté de la réalité (cf sôma sêma, le corps est le tombeau de l’âme). Cette conception est reprise dans beaucoup de pensées philosophiques, notamment chez Descartes : l’esprit qui donne son sens à la réalité
Proposition du texte de Nietzsche qui permettrait de comprendre la critique adressée à l’ idéalisme = Le Crépuscule des Idoles, comprendre la position de la critique de Nietzsche (article qui le commente)
- thèse : Nietzsche défend la primauté du corps, c’est-à-dire l’idée que c’est le vitalisme, la vie de l’instinct, la stase désirante qui est plus importante que la construction de l’élaboration théorétique ou intellectuelle. Elle passe par une mise en avant, une exagération des données corporelles. C’est cet appel à l’instinct, à une forme de violence désirante, qui doit l’emporter. Nietzsche dénonce l’intellectualisme de Platon en montrant que cet idéalisme est une manière de nier des éléments corporels au profit d’une mise en avant de l’intellect.
C’est ce que Nietzsche appelle le refus du monde qui est le nôtre, le monde devant nous, présent par le biais des sensations et du corps, pour se réfugier dans un monde du dessus, intelligible, celui dont parle Aristote, et qui devient un monde en arrière. La localisation cosmologique est normalement au-dessus de notre tête, mais il est du point de vue de la nature de l’être (au sens ontologique donc) en retard. C’est le monde où se réfugie l’esprit quand il n’arrive plus à assurer la partie du corps (qui peut être vue comme une part maudite).
Mais pour Nietzsche, on dit qu’il nie les valeurs de la morale judéo-chrétienne (morale d’abstinence, se méfier des élans du corps, du cœur). Lui montrerait plutôt que la véritable négation des valeurs serait dans l’adoration pour un monde de l’intellect pur, où c’est l’esprit désengagé du corps qui déciderait du sens des choses, et donc de la réalité. (rappel : valeur, en philosophie = ce qui est désirable de manière universelle). Serait appelé vrai, réel, ce qui serait conforme aux exigences de l’esprit et non pas les émanations du corps, qui seraient une sorte de remous où l’être humain se perdrait infiniment. Le véritable nihilisme pour Nietzsche, c’est l’hypostase religieuse, le fait de croire qu’il y a au-dessus de notre tête un paradis dans lequel nous retournerons une fois débarrassé du corps = exercice de purification (catharsis d’Aristote). C’est donc ici et maintenant pour Nietzsche (latin hic et nunc) qu’il faut se réaliser par les jouissances assumées de tous les élans corporels = critique de l’idéalisme, du rationalisme : thèse = dans l’idéalisme, on est dans une vénération confite du passé et des valeurs, idoles du passé. Le rationalisme refuserait quant à lui la force de désir qui serait une force du futur. Nietzsche parle aussi dans ce cas de transmutation des valeurs = convertir le positif en négatif, etc
Cette modification du sens des choses, des valeurs, ce retour au corps se fait en passant par une remise en question de l’esprit. La dénonciation de ce qui est bon, beau, bien dans les valeurs judéo-chrétienne, qui sont une négation du corps pour Nietzsche, tout cela porte le nom de perspectivisme = réflexion sur une perspective à venir, qui n’est plus pensée selon les termes de la géométrie ou de la morale classique. Nietzsche se risque à dire que tout ce qui est déviant, qui s’oppose à la rectitude morale, a désormais plus de valeurs que le reste. La vérité, la droiture, sont souvent un soupçon de quelque chose qui correspond à une orthodoxie, un ordre mis en place par l’Etat, par le gouvernement, etc : des forces qui semblent vouloir canaliser le corps collectif, au détriment des exigences du corps individuel.
Texte de Leibniz sur "les petites perceptions" (Les nouveaux essais sur l'entendement humain, 1703-1704)
- Réponse à l’empiriste John Locke. Leibniz soutient une thèse qui s’oppose à ce que Descartes élabore, à savoir la thèse d’une conscience subjective (cogito) qui fait que la perception serait purement intellectuelle (pas besoin des données corporelles, des sensations pour définir la réalité). Descartes, en substance (ex. morceau de cire), soutient le sillage de l’idéalisme platonicien. L’esprit, la chose pensante, est ce qui nous permet de voir réellement les choses telles qu’elles sont. Mais les choses ne sont pas ce qu’elles sont uniquement parce qu’elles sont ce qu’elles sont quand on les saisit par l’un des 5 sens (les yeux du corps) : Les yeux de l’esprit ne sont pas dépendants de la matière puisqu’ils sont une réappropriation intellectuelle de ce qui se présente à nous = est-ce que nous voyons réellement ce que nous voyons dans le sens où ce que nous voyons est inscrit dans une réalité objectivable, sans contradiction ? est-ce que nous voyons tous la même chose ? Les différences inter-individuelles peuvent jouer sur une représentation qui ne serait pas vraiment objective.
Équivocité philosophique de la vision
- Qu’est-ce que voir veut dire ? est-ce que nous voyons tous la même chose ? pouvons nous voir différemment ? y a t-il une vraie opposition entre la vision corporelle et la vision intellectuelle ? vivons nous dans le même monde ? y a t-il une vision parallèle ?
Conséquence de la "Caverne" de Platon ; la question part de la vision individuelle ou collective : la question de voyeurisme comme dévoiement de la vision. Dévoyer : sortir de son axe initial et se transformer en autre chose qu’elle n’est pas censé être (connotation négative, immorale). Est-ce que le voyant = celui qui voit, ne se dévoie-t-il pas en ne voyant pas ce qu’il devrait voir ? Si oui, comment peut-on lui apprendre à mieux voir ? = éducation du regard
CF générique Rear Window, 1945, Hitchcock. Titre français : Fenêtre sur cour = arrière de l’arrière-monde ; lecture possible de la culture platonicienne du générique. Exercice de commentaire sur une images fixe, un photogramme (on isole dans une séquence une posture d'un acteur, une capture d’écran du film). Cf site du Centre national du cinéma avec un dossier présentant un commentaire sur l’affiche du film. Visuellement, elle indique le contraire de ce qu'on voit dans le film. Elle prend le contre-pied du générique
- générique : panoramique sur ce que voit le personnage principal du film depuis son appartement où il est immobilisé, à savoir les fenêtres des appartements dans la cour commune, qui sont celles de ses voisins.
Retour à Leibniz, Les nouveaux essais sur l’entendement humain : « il y a mille marques qui font juger qu'il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sans aperception et sans réflexion, c'est-à-dire des changements dans l'âme même dont nous ne nous apercevons pas » = quand nous sommes dans le monde réel, nous percevons bien un certain nombre de choses qui surgissent face à nous, face à notre conscience. Ses perceptions sont les nôtres, elles font que nous sommes capables d'en juger.
- Le thème de l'infini traverse tout le texte
- Juger n'est pas simplement sentir, mais c'est ressentir ( sentir à deux fois) - ex : respecter : spectare du latin regarder et re qui signifie « à deux fois ». Quand on y regarde à deux fois, ça veut dire on ne fait pas que voir, on focalise l'attention, on donne un sens à ce qu'on n'avait pas observé auparavant.
Comment se fait le passage de la simple sensation à une reconstruction du sens de la sensation ?
- le sens sensitif, sensoriel : aisthesis = ce que le corps peut permettre d'enregistrer.
- le sens comme signification, c'est à dire le sens rationnel, intellectuel = l'interprétation ou l'orientation du sens corporel en tant que reformulation
= L'homme est une machine à signifier une image symbolique à partir d'identifications. Il crée des symboles parce qu'il est capable de dépasser le sens sensoriel, visuel, olfactif, etc. pour lui conférer un sens idéel (qui correspond à une logique analytique)
Leibniz donne des exemples de la promenade à la mer, en forêt, et auprès d’une cascade.
- «il y a mille marques qui font juger que... » : un tas d’indices, des éléments auxquels on ne prête pas attention. Si on le faisait, alors on aurait à chaque instant une quantité incommensurable de possibilités de prendre conscience de manière plus aiguë de ce qui nous entoure. Au lieu de simplement recevoir passivement les informations comme nous disent les empiristes, on devrait être capable de leur donner une signification plus intellectuelle. Mais, ce qui permettait de juger chez Descartes (voir le morceau de cire), c'était une inspectio d'esprit : un jugement intellectuel. L’esprit continue de la reconnaître parce que la définition de la cire suppose justement la prise en considération de toutes les modifications sensibles possibles, de son volume, son support, sa densité, etc. Chez Descartes, le jugement est analytique, on ajoute quelque chose à la signification de la chose.
-percevoir, c'est forcément faire un effort pour orienter son attention sur telle ou telle chose
- se demander, quand on voit la cire, ce qui fait que c'est de la cire : quelle est de la substance cire dans la vision de la cire, que devient la cire si on enlève sa couleur, son odeur ou sa solidité = essentialisation de la chose perçue qui passe par une élaboration idéaliste, rationaliste et intellectuelle
Leibniz pense l’exact opposé. Il soutient qu’il y a une forme de jugement mais celui-ci découle de perceptions qui sont en nous, sans réflexion. C’est sans réflexion et aperception que nous réalisons ces jugements.
Perception Et Aperception
- perception : fait de percevoir. Part du corps avec les 5 sens
- aperception : contraction pour désigner l'auto-perception (perception de soi par soi). C’est le fait de s'apercevoir soi-même en tant que personne. Il s’agit d’un travail de flexibilité de la conscience sur elle-même. La conscience ne fait pas que flécher un objet qui la frapperait et qu’elle chercherait à interpréter mais elle se réfléchit en faisant cela = conception de la phénoménologie (1920, Husserl et ses Méditations cartésiennes : reprise critique des Méditations métaphysiques de Descartes). Husserl est annoncé par Leibniz dans son texte, qui critique sévèrement Descartes déjà 2 siècles auparavant. Il dit que Descartes a fait une erreur en supprimant le corps dans la perception de la conscience et en définissant la perception de la réalité uniquement par un esprit pur. Mais pour Husserl il n’y a pas d’esprit pur, il y a d'abord un esprit qui dépend d’un corps. Cela ne veut pas dire que le corps est impur, mais qu'il faut réhabiliter la dimension du corps dans la conception faite de la réalité ambiante
Thèse reprise par le philosophe français vers 1960 Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception : il y a une conscience corporelle ou au moins corporée, que Ponty nomme « la chair du corps » : ce n'est pas au sens charnel mais une présence dans le monde.
Début de la phénoménologie en 1807 avec Hegel et La phénoménologie de l'esprit. Pour les phénoménologues, la conscience est jetée dans le monde mais doit composer avec les éléments des cinq sens, avec la perception. Il est faux de penser qu’il n’y a de vérité que dans l’aperception
Retour sur Leibniz
- nous passons notre temps à percevoir des choses sans nous en apercevoir
-si on était plus attentif et vigilant, on pourrait enfin se concentrer sur des choses qui, parce qu'on avait l'habitude qu'elles soient là, nous ont échappé. Vision très moderne qui montre bien la différence entre voir et regarder. Tout le monde peut voir les choses, mais regarder suppose une attention. Exemple de la cascade : marcher dans une forêt pendant 10 min en entendant un bruit sourd. Puis soudain apercevoir lors d'un détour qu'il y a une cascade. On entendait la cascade mais sans l'avoir encore aperçue = vue de loin mais pas encore regardée. Quand on arrive face à la chose-même, la cascade, on passe de la perception à l'aperception. On se rend compte sans s'en rendre compte que l'on avait déjà aperçu la chose qui nous occupe maintenant. Cela revient à sous-entendre qu'il y a dans la conscience des éléments qui lui échappent. Donc, qu'il y a dans le fait de percevoir la réalité une structure inconsciente qui prend sa place et dans laquelle le corps domine. Exemple des ailes moulin qui tournent : elles font un bruit que l'on a ni entendu ni aperçu, parce que l'on a l'habitude de vivre près de ce moulin. Exemple de la mer : ce que Leibniz va appeler le mugissement de la mer.
- thèse: si on était plus attentif à ce qu'on perçoit, si on se concentrait pour se focaliser sur les objets de la réalité qu'on essaye d'identifier; cela demanderait un travail de la mémoire = il y a des perceptions qui nous traverseraient corporellement, qui nous frapperaient (cf un marteau qui nous frappe) : bruit de la mer quand on est frappé, quand on est au rivage. C'est là un crime cartésien de lèse-majesté. Descartes soutient qu'il ne peut y avoir de perception de jugement des choses qu'élaborées en toute conscience par le cogito. Donc, le corps et les sens nous induisent en erreur. Il y a bien des perceptions qui se mettent en place en nous, mais sans qu'on le sache, sans qu'on s'en aperçoive. Et si on le faisait, alors ça changerait tout et on serait évidemment dans une autre compréhension du monde.
“Pour entendre ce bruit comme l’on fait, il faut bien qu’on entende les parties qui composent ce tout, c’est-à-dire les bruits de chaque vague, quoique chacun de ces petits bruits ne se fasse connaître que dans l’assemblage confus de tous les autres ensemble, c’est-à-dire dans ce mugissement même” = truisme : bruit des vagues. Quelque chose qui n’est pas étonnant au bord de mer. On entend bien le bruit des vagues qui forment la mer par l'effet d'addition ou de sommation mais on n’entend pas le bruit de chaque gouttelette d’eau associée aux autres, pour former les vagues qui, elles, forment la mer. Ce qu’on aperçoit est un contenant global de l’océan. Même problème que chez Aristote,= : à partir de combien de grains de sable a-t-on un ta de sable ?
Si je me pose la question de savoir où commence et finit la vague, qu'est ce qui fait la spécificité de la mer par rapport au rivage, j'enregistre ces informations sans forcément savoir comment ces molécules s'associent les unes aux autres, que ces éléments corpusculaires forment une totalité = percevoir à notre insu cette différence sous sa forme habituelle de paysage du bord de mer. Bien que nous percevions déjà corporellement la différence entre la terre ferme et le rivage.
Calcul intégral, inventé par Leibniz = processus d’addition de petites unités qui, dans la quantification globale, finissent par former un tout. Paradoxe : on peut calculer le tout, mais on ne sait pas toujours comment paramétrer les sous-unités de l'ensemble. Leibniz applique cette logique mathématique à la perception de la réalité = on ne pourrait pas entendre la globalité de la mer si on ne percevait pas les sous- unités moléculaires qui permettent à ces vagues de faire sens, donc d'exister. Pour autant, on ne dispose pas de l'acuité perceptive qui permettrait de saisir chaque gouttelette d’eau des vagues. Les petites perceptions sont trop fines pour que l’esprit puisse y accéder. En revanche, mon esprit est ainsi fait pour qu'il puisse être confronté à de plus vastes ensembles, qui procèdent par sommation successives de ces micro-unités qui, à la fin, forment un grand tout que l’on peut entendre, percevoir. Et si ce qui vaut pour la mer, la cascade ou les ailes de moulins, valait pour notre propre conscience, qu'en serait-il ? Comment est-ce qu’on accède à soi-même ?
Dans ce cas-là, le cogito cartésien vole en éclats = on croit être un tel sujet identifié avec une conscience, des souvenirs, etc. Mais comment sommes-nous constitués? Par quelles vagues successives, existentielles de souvenirs plus ou moins maîtrisés, advient-on à nous-même ? Cf le personnages de Fight Club, dans le fauteuil avec une arme dans la bouche. Il faut prendre conscience de l'être que l’on est en s'étonnant. On doit apprendre à s'étonner de la sommation qui nous constitue, mais qui nous échappe.
“Quoique chacun de ces petits bruits ne se fasse connaître que dans l’assemblage confus de tous les autres ensemble” = ensemble holistique, c'est-à-dire que tous les micro-éléments n'ont pas assez de densité pour nous apparaître. Mais dans leur addition ils deviennent quelque chose qui est saisissable.
“C’est-à-dire dans ce mugissement même, et ne se remarquerait pas si cette vague qui le fait était seule. Car il faut qu’on en soit affecté un peu par le mouvement de cette vague et qu’on ait quelque perception de chacun de ces bruits, quelque petits qu’ils soient ; autrement on n’aurait pas celle de cent mille vagues, puisque cent mille rien ne sauraient faire quelque chose.” = une vague est constituée de 100 000 petites choses anecdotiques qui ne sont pas paramétrables et quasiment insaisissables à l'œil nu ou à l'oreille. Mais ces anecdotes ne sont pas “rien”, si elles l’étaient, alors cela ne ferait pas une intégration de différentes parties qui fonderaient un tout incontestable. D’où viennent ces unités et comment s’associent-elles ? Comment puis-je percevoir le tout mais pas chacune des parties du tout ? Il faut imaginer les conséquences sur la manière dont des individus séparés dans une logique atomistique vont devoir apprendre à se fédérer pour vivre dans un corps collectif social.
Le texte des "petites perceptions" laisse entendre les individualités (individuum : ce qui est séparé du reste en latin) qui, lorsqu’elles se rencontrent, forment une totalité harmonieuse. Cela vaut aussi pour la nature. les gouttelettes d'eau forment des vagues, qui forment la mer, etc. Qu'en est il pour les consciences individuelles? Qu'est ce qui fait que les individus peuvent vivre dans la même réalité en ne lui donnant pas le même sens ? Ex: il existe des gens qui ne s'offusquent pas de défendre les vertus du terrorisme, alors que ce n'est pas une perception partagée. Mais c'est une conception qui leur paraît tout à fait louable et offre une valeur supérieure par rapport à d'autres.
Exemple du sommeil : cf lien avec Néo et Truman. “On ne dort jamais si profondément qu’on n’ait quelque sentiment faible et confus” = La faiblesse et la confusion s'opposent à la clarté et la distinction, chez Descartes, qui sont les critères de l'évidence, elle-même marque du cogito qui y valide son existence contre les sens qui sont trompeurs.
“et on ne serait jamais éveillé par le plus grand bruit du monde, si on n’avait quelque perception de son commencement qui est petit” = le réveil d’une personne endormie n’est pas soudain mais est souterrain. Il y a tout un ensemble microscopique d’indices qui font juger que l'on était en train de se réveiller, mais sans le savoir. On se réveille précisément parce qu’un bruit continu prend de plus en plus d'ampleur et nous fait changer de perception de la réalité. Ex : une goutte d’eau qui tombe une fois ne fait rien, mais si elle tombe en continu pendant des heures dans un rythme synchrone, alors son bruit devient infernal.
Exemple de la corde (cf film éponymé d'Hitchcock) : “comme on ne romprait jamais une corde par le plus grand effet du monde, si elle n’était tendue et allongée par des moindres efforts, quoique cette petite extension qu’ils font ne paraisse pas” = imaginer une corde très épaisse, sur un bateau de marins. Elle résiste à toutes les intempéries possibles et est très résistante, et est très difficile à couper même avec un outil acéré et adapté. Cette même corde va pouvoir se délier plus facilement et aller jusqu'à se rompre si, au lieu de la trancher dans un geste brutal, elle frotte en continu contre une surface. On se base sur des choses invisibles à l'œil nu, inaudibles, mais qui exercent par ce mouvement synchrone, une oscillation pendulaire infinie, une véritable usure physique de la corde.
Conclusion Nouveaux essais sur l’entendement humain
- La perception est une élaboration corporelle pas simplement intellectuelle. Cette élaboration corporelle suppose tout un travail du temps, suppose tout un travail de mémorisation inconsciente des données qui sont enregistrées dans une chambre noire qu'est le corps. C’est sans nous en rendre compte que nous nous sommes reliés à la réalité. On parvient à objectiver cette réalité uniquement si on est capable d'y faire attention. La tension (sens physique/matériel, cf la corde qui frotte) devient l'attention au sens “être attentif” = si on était attentif à la tension, on ferait plus attention et donc on se rendrait compte davantage des choses qu'on enregistre sans l'objectiver. Socrate disait que si on pose les bonnes questions, en s’étonnant (thaumazein), on serait capable effectivement de décrypter des choses banales (bruit d'une fontaine, bruit de la mer). On ne le fait pas parce que l'accoutumance est l'ennemie de la pensée philosophique car elle nous endort = léthargie, cf Médée
Matrix et Truman Show
- Faire de la philosophie, c'est se demander ce qu'on a sous les yeux quand on l'observe. Comment se fait le décalage entre une réalité illusoire d’un trompe-l'œil généralisé, où les marionnettistes de la caverne abusent du héros principal à force de prestidigitations diverses et variées, et d’un niveau au pluriel? (plusieurs niveaux de lecture dans la caverne). Parce que soudainement, le héros devient attentif à son environnement.
- Cf Truman qui se regarde dans le miroir et qui voit tomber un projecteur du ciel. Avant, il ne faisait que voir les choses mais va ensuite se mettre à regarder: il nourrit un doute cartésien. Il commence à investiguer le réel et à se demander ce qu'il y a derrière les apparences. Idem chez Néo. Le fait d'avoir connaissance de valeurs immorales liées à Morpheus et aux résistants, l’amène finalement à considérer que ce qu'il a sous les yeux n’est pas la réalité ultime = métaphore de traverser le miroir pour trouver la vérité objective.
Cycle du cercle et de la transparence : connotés par l'œil, le cône visuel. Conception de la perspective, les illusions d'optique (Escher), échos à Inception de Christopher Nolan, à l'escalier de Penrose (symbole de l'infini en topologie mathématique). Depuis l’ allégorie de la Caverne platonicienne, celle de la République dans l'Antiquité grecque, il y a une remise en question fondamentale du sens de la perception de la réalité opérée par les philosophes, et notamment le prisme de la vision= lecture de philosophie politique et morale. Tout homme est voyant par principe, c'est une qualité de la vie en commun avec les autres espèces. Les hommes n'appartiennent par ailleurs pas à l'espèce qui verrait du mieux. Cf Protagoras, mythe de Prométhée: l'humanité a été créée imparfaite et c'est par adjonction d'éléments empruntés au divin et qu’on a pu créer la culture, la justice et l’art politique
- être voyant au sens rimbaldien avec La lettre du voyant de mai 1871 qui soutient la thèse que le poète est celui qui doit être voleur de feu (Prométhée), et que le voyant (leibnizien), ce n'est pas simplement celui qui voit les choses avec les yeux du corps, c'est celui qui apprend à regarder, à focaliser son attention et donc être critique par rapport à ce qu'il a sous les yeux = Néo décode autrement les choses et découvre une nouvelle alchimie.
- La poésie de Rimbaud est une remise en question du Parnasse de Théophile Gautier. La poésie classique académique est bouleversée par un nouveau langage ( cf pensée nietzschéenne). Le voyant est celui qui décide de décoder le sens de la réalité mais, en n'étant pas soumis aux perceptions corporelles, en réélaborant, reconstruisant et réinterprétant ces perceptions n'est-il pas condamné et destiné à devenir voyeur ? = dans le voyeurisme, il y a autre chose que la vision.
- La vision est le fait par le canal optique de saisir une information et donner un sens à une reconstruction intellectuelle, une affirmation, sur la réalité. Dans le voyeurisme, il y a bien l'idée d'une culpabilité (domaine de la psychanalyse) liée aux faits qu'on est en train de voir un “petit rien” (gouttelette anecdotique de Leibniz), mais en train de voir quelque chose qu'on n'aurait pas dû voir ou qu'il n'aurait pas fallu voir de cette façon-là. Dans le sens large de la voyance, le fait de voir quelque chose en sachant qu'on est en train de le voir n’ a pas de condamnation morale spécifique. Tout un chacun peut voir le même spectacle.
ex 1 : voir les vagues n’est pas du voyeurisme mais c’est de la vision.
ex 2: ce qui se passe dans la chambre parentale et qu'on observe par le trou de la serrure, c'est du voyeurisme.
- La vision qui provient de la Caverne se retrouve dans la déformation politique que nous subirions. Les hommes qui vivent dans les espaces socio-politiques seraient influencés dans leur vision par le code du langage, par les coutumes qui sont les leurs, qui les empêchent de voir réellement. Il faudrait déconstruire ces coutumes, déconstruire ce langage ( idem poésie de Rimbaud) pour accéder à la réalité véritable. La vérité serait ce qui ne ment pas parce que c'est ce à quoi on accède en évidence (le thaumazein), parce qu'on a su s'étonner de ce qui n'étonne pas les autres. Est-ce que notre vision dans la société caverneuse est une vision estropiée avec un risque duplice de manipulation ( du grec diplous, de 2 natures qui s’opposent : la duplicité) ? Est-ce que cette vision ne nous convainc pas de manquer la réalité et de nous faire devenir une sorte de voyeur qui ignore l’être ?
- La question du miroir, de la transparence est une question essentielle, qui est débattue dans Hitchcock
- cf article du Monde sur le sens de la vue, basé sur la métaphore, de la vue, de la vision, du regard, de l'éblouissement, etc. et qui essaie d'expliquer en quoi la philosophie de Platon est une méditation sur le sens de l’éblouissement. Il y a un travail d'accommodation qui est essentiel et qui fait que la vue aura une grande importance dans l'élaboration de la philosophie
- terme de Spinoza “les yeux de l'âme”
- La phénoménologie explore d'autres manières de penser qui ne sont pas liées simplement à la métaphore de l'œil et qui supposent le passage par les sensations qui ont été laissées de côté.
Commentaire du passage de Dracula, Francis Ford Coppola, 1992
- statut de la pupille et de l'œil.
les oeuvres d’Escher
- dans ces représentations graphiques, travail sur les perspectives et les illusions d'optique.
ex : escalier infini.
Bilan, relation entre sensation et perception
- La sensation permet à l'individu de se repérer grâce à la perception où il se trouve. Cette sensation renvoie à plusieurs éléments.
1) les organes sensoriels, la manière dont la conscience subit des informations dans l'organisme qu'elle doit retranscrire.
2) La sensation comme un événement physique (on entend un bruit, on perçoit une image qui le représente), on parle en biologie de stimuli, qui sont censés provoquer sur les organes sensoriels une action qui va modifier la posture de l'individu qui les reçoit.
D’un point de vue philosophique, on a un débat sur la relativité de ces processus de sensations, parce que les individus ne ressentent pas tous la même chose dans le même espace temps par rapport à leur histoire, par rapport à leur culture, etc. Dans la perception, on retrouve la question de l'environnement culturel dans laquelle on se trouve ; au-delà du ressenti physique, la perception est un processus par lequel l'individu organise et interprète les sensations qui sont les siennes : on reconstruit les sensations pour donner un sens aux sens = capacité que nous avons à accorder une signification à ce qui est alentour.
- débats philosophiques sur le fait de savoir si cette identification est spontanée, immédiate et innée ou si elle est l'objet d'un conditionnement culturel qui nous échappe.
- la perception passe par 4 étapes:
1) la tension, réaction à un stimulus provoqué par un objet, une personne.
2) l'interprétation, identification ou reconnaissance de l'objet ou de la personne
3) la compréhension, différenciation par rapport à une autre personne, un autre objet
4) la mémorisation, enregistrement et inscription du phénomène dans sa mémoire.
-La mémoire est une notion fondamentale dans l'identité de la personne.
-Leibniz: “l'attention suppose de la mémoire”.
- qu'est ce qui fait que je n’ai plus l’habitude de m’interroger de savoir si je perçois le rivage ou la mer =
c’est parce que j'ai mémorisé ces informations la première fois.
- plusieurs caractéristiques dans cette perception
1) la caractériser comme immédiate, si elle a lieu inconsciemment = un processus où la raison prend le dessus. Il faut évidemment interroger le sens que cette perception va élaborer et sur le fait qu'il y aura une dimension sélective liée à cette perception par le fait que certains individus retiennent des informations, d'autres non.
Du point de vvue de la philosophie culturelle, deux éléments découlent de cette dimension sélective d’informations. La perception est influencée par les préjugés en tant qu’opinion préconçue, et les stéréotypes, qui sont les cas établis dans lesquels on va ranger dans des cases des éléments importants.
- La perception a un caractère relatif qui nous interroge sur la valeur de vérité qu'il faut lui attribuer.
- lien entre ce que le film The Circle laisse entendre et la série Black Mirror, sur le danger des réseaux sociaux
- double commentaire sur le sens d'une vision dévoyée
1er acte : question de la transparence (Truman Show, Matrix): la vision idéale serait une vision qui pourrait, comme dans Le Passe-Muraille, traverser tous les obstacles pour avoir accès à la chose même. D’un point de vue étymologique, c’est une vision enthousiaste (du grec en dieu. Employé dans l'Antiquité grecque pour décrire les manifestations de la possession divine (par Dionysos, dans le cas des Bacchantes). Son emploi au sens religieux se rapporte à la croyance en l'inspiration divine ou à une ferveur et une émotion intense).
- Cet enthousiasme visionnel a des conséquences du point de vue de la philosophie politique et morale, les choses deviennent plus accessibles dans cette vision sans obstacle. Parmi ces choses, il y aurait aussi les autres êtres humains et donc le fantasme totalitaire d'une transparence de la vision où plus rien ne fait écran (cf la vision du générique Fenêtre sur cour d’Hitchcock). Cette transparence permettrait de fusionner dans une réalité collective et commune que nous pourrions tous valider et dans laquelle nous nous connaîtrions parce qu’il n’y aurait plus rien de caché.
- Cf George Orwell, 1984 : logique totalitaire. Dans un monde où rien n'est dissimulé, il n’y a plus qu’une seule réalité qui nous y réunit parce que chaque citoyen peut surveiller chaque autre citoyen.
- Il peut cependant y avoir une différence fondamentale entre les films:
Dans Truman, il y a un voyeurisme des téléspectateurs envers le show, dont le personnage principal n'était pas au courant. The Circle met en avant les acteurs des réseaux sociaux, ici dans une entreprise américaine qui développe une mini caméra pour voir en temps réel tout ce qui arrive à la personne filmée et que ce soit communiqué à l'ensemble des gens qui adhèrent au réseau. On a affaire à du voyeurisme qui suppose que tout le monde voit en même temps ce qu'il est possible de voir = interroge le sens de la notion morale, est-ce encore du voyeurisme ? On peut parler de “surveillance généralisée" qui prend le dessus sur le voyeurisme.
- le schéma politique du respect de la vie privée passe par le droit à la déconnexion.
- le vocabulaire de connexion, de déconnexion, cf Néo qui dépasse la Matrice et est rendu à lui-même dans un réalité fondamentale
- Cf la question de la géolocalisation : fantasme de voir en temps réel les moindres faits et gestes de chacun de mes concitoyens, parce que tous les citoyens que nous sommes forment une sorte de vague leibnizienne (métaphore creuse). Et en même temps, il faudrait que chacun sache exactement où se trouve l'autre pour la traçabilité totale informatique généralisée = on insiste beaucoup sur la transparence de la vision qui devient quelque chose de très dangereux.
- Voir la séquence du film où Jim Carrey découvre qu'il est vu à son insu par des millions de personnes, mais sans l'avoir voulu et désiré en chiasme avec l'héroïne de The Circle qui, elle, veut que tout le monde la regarde.
La négation de la vie privée au profit d'une publicité au sens où elle est rendue publique de manière permanente = définition du totalitarisme. On passe de la totalité de Leibniz au régime du totalitarisme. C'est un système où on prétend effectivement totaliser l'ensemble des individus et des compétences pour que rien ne soit marginal et que l’on soit dans le contrôle permanent et absolu de toutes représentations.
Cf Le système totalitaire, Hannah Arendt, 1972 : l'idéal du dirigeant totalitaire, ce n'était pas simplement de concentrer les individus dans des camps pour former un modèle de citoyen corvéable qui ne s'opposerait à aucune des directives du système en place. L'idéal du dirigeant totalitaire était de pouvoir contrôler jusqu'aux rêves des individus= contrôle total du psychisme de l'individu
Aspect positif du film The Circle : les micro-caméras peuvent se promener partout et annulent en fait la dimension de la vie privée ; elles sont un symbole de connaissance ouverte et de partage avec l'ensemble des individus.
Aspect négatif : la caméra en question ressemble à un œil mais plutôt machinique et qui broie dans cette surveillance totale la liberté des individus.
Fenêtre sur cour, Hitchcock, 1954
Chaque fenêtre d’appartement est une ouverture sur la vie privée. C'est l’une des premières réflexions dans le cinéma américain aussi aboutie sur la censure, sur le voyeurisme, sur ce qu'on a le droit de voir ou pas. Le personnage du reporter utilise son appareil photo avec un zoom qui lui permet de bien voir dans son œil. De même avec une paire de jumelles pour grossir la vue et avoir accès à tous les détails qui échappent à tout un chacun. Le journaliste est emmuré chez lui comme dans une micro-Caverne et il va commencer à pouvoir utiliser son regard. Notamment en ce qui concerne l’un des autres appartements où, après une dispute, la femme du voisin n’apparaît plus. Le héros commence à imaginer dans sa tête qu'il est probable que cet homme ait exécuté son épouse et donc commence à avoir des soupçons qu’il partage avec ceux qui le visitent mais personne ne le croit. Il va vouloir trouver la vérité et se met à penser que ce qu'il a sous les yeux n'est pas la réalité foncière.
L’affiche du film dit pourtant le contraire de ce qu'on voit dans le générique. Il y a un effet d'accentuation sur la dimension de voyeurisme (jumelles). Ce qu’il y a derrière les deux personnages, est une surimpression dans leur dos de ce qu'ils sont censés voir au-devant d'eux.
Cf article sur la différence entre voir et regarder dans Fenêtre sur Cour par rapport à la morale, à la censure,
la servitude volontaire, Étienne de la Boétie, 1574
- Soutient que la plupart des individus qui permettaient aux tyrans de se maintenir, le faisaient volontairement parce que, de manière assez spontanée, la plupart des individus acceptaient une domination qui les privait de liberté parce qu'ils en tiraient une forme d'avantage. Thèse de la Boétie, proche de Montaigne : il y a un conditionnement qui fait que les individus sont habitués à ne pas manifester un droit critique. C’est une éducation à la servitude qui amène ces personnes à ne pas contester un pouvoir qui les écrase = critique de l'Etat et de l'administration.
- Leibniz (1703) avec le poids des habitudes sur nos perceptions de la réalité, est dans la continuité de la condamnation des attitudes qui est déjà mise en avant par la Boétie. Si nous sommes manipulés par le pouvoir politique et si nous l'acceptons, c'est parce que l'habitude a pris le dessus sur notre nature première qu’est la liberté. Nous préférons une logique de domination qui nous rapporte une forme de sécurité.
- cf Kant, 1784, Qu’est-ce que les Lumières ? Comparaison de trois types d'êtres humains : les mineurs, les majeurs et les tuteurs. Montre comment, à cause d'une certaine éducation et d'une manipulation par de mauvais professeurs/ formateurs, les individus refusent de penser du moment qu'ils sont dans un certain confort.
Séquence 1 Dracula, Coppola, 1992 : réminiscence de sa bien-aimée
- le rôle de l'iris et de la pulsion scopique
- Le comte Dracula de Coppola n’est pas le méchant vampire qui, lui, vient égorger les individus. C’est un vampire romantique qui a subi une malédiction et a été séparé de la princesse qu’il aimait. Il l’a retrouve au fil du temps dans la réincarnation dans une autre femme = réflexion sur la réminiscence. En tant que vampire, il a l’envie de la mordre jusqu’à ce que l'amour ressurgisse en elle mais s'y refuse car, dans cette logique, il ferait d’elle sa soumise avec ce acte, alors qu’ il souhaite qu'elle le reconnaisse comme son élu, qu'elle vienne vers lui en toute liberté par la réminiscence . Donc, il doit refuser à sa nature de grandir en la refoulant.
- “J'ai traversé les océans du temps pour vous”
Séquence 2, l'absinthe
- Travail sur la pupille du vampire, qui se dilate et devient rouge, avec les crocs qui apparaissent et suit une scène romantique avec un regard tendre. Dans cette pupille, il y a une vision qui se fait très philosophique et qui est une reconnaissance de son âme sœur. Il s’agirait d’un regard avec une valeur de vérité par rapport à la perception d'une réalité qui ne serait pas en fonction du temps. Cf Platon, l'oeil comme support de l’âme dans Alcibiade majeur.
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