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La clef dans "Barbe bleue" (Méliés, 1901): désir, conscience et liberté

Publié le 13 Novembre 2021, 11:42am

Catégories : #Ateliers audiovisuels

La clef dans "Barbe bleue" (Méliés, 1901): désir, conscience et liberté

A l'appui du cours sur la conscience et la liberté, et en vous référant à l' histoire de l'art  en ce qui concerne cette thématique (par exemple avec Les pantoufles de Samuel van Hoogstraten, 1658-1670) et àla gravure de Gustave Doré (illustration pour le conte Barbe Bleue de Charles Perrault - XIXème siècle), problématisez le rôle de la clef dans Barbe bleue en vous appuyant sur les textes de Bakounine et Bettelheim ci-dessous :

Gustave Doré, illustration pour le conte Barbe Bleue de Charles Perrault


« On répondra que l’Etat, représentant du salut public ou de l’intérêt commun de tous, ne retranche une partie de la liberté de chacun que pour lui en assurer tout le reste. Mais ce reste, c’est la sécurité, si vous voulez, ce n’est jamais la liberté. La liberté est indivisible ; on ne peut en retrancher une partie sans la tuer toute entière. Cette petite partie que vous retranchez, c’est l’essence même de ma liberté, c’est le tout. Par un mouvement naturel, nécessaire et irrésistible, toute ma liberté se concentre précisément dans la partie, si petite qu’elle soit, que vous en retranchez. C’est l’histoire de la femme de Barbe Bleue, qui eut tout un palais à sa disposition avec la liberté pleine et entière de pénétrer partout, de voir et de toucher tout,  excepté une mauvaise petite chambre, que la volonté souveraine de son terrible mari lui avait défendu d’ouvrir sous peine de mort. Eh bien, se détournant de toutes les magnificences du palais, son âme se concentra toute entière sur cette mauvaise petite chambre, elle l’ouvrit, et elle eut raison de l’ouvrir, car ce fut un acte nécessaire de sa liberté, tandis que la défense d’y entrer était une violation flagrante de cette même liberté. C’est encore l’histoire du péché d’Adam et d’Eve : la défense de goûter du fruit de l’arbre de la science, sans autre raison que telle était la volonté du Seigneur, était de la part du Bon Dieu un acte d’affreux despotisme ; et si nos premiers parents avaient obéi, toute la race humaine resterait plongée dans le plus humiliant esclavage. Leur désobéissance, au contraire, nous a émancipés et sauvés. Ce fut, mythiquement parlant, le premier acte de l’humaine liberté. »

M. A. Bakounine. Proposition motivée au comité central de la ligue de la paix et de la liberté, 3e point, 1867.

 

Dans La Barbe-Bleue, Perrault raconte qu'une grande fête eut lieu dès que le triste héros eut tourné le dos. Il est facile d'imaginer ce qui se passa entre la femme et ses invités en l'absence de Barbe-Bleue : l'histoire dit nettement que tout le monde prit du bon temps. Le sang sur l'œuf (1) et sur la clé symbolise que les héroïnes ont eu des relations sexuelles. On comprendra donc le fantasme d'angoisse qui leur montre le cadavre des femmes qui ont été tuées en raison de leur infidélité. À l'écoute de ces histoires, on est frappé par le fait que l'héroïne est fortement tentée de faire ce qui lui est interdit. [ ... ] Ainsi, sur un plan qui est facilement obscurci par les détails macabres de l'histoire, Barbe-Bleue est un conte relatif à la tentation sexuelle. Sur un autre plan, beaucoup plus évident, Barbe-Bleue montre les aspects destructifs du sexe. [ ... ] Barbe-Bleue est une histoire qui donne corps à deux sentiments qui ne sont pas nécessairement étrangers l'un à l'autre et qui sont certainement familiers à l'enfant: l'amour jaloux, d'abord, qui fait que l'on est prêt à détruire ceux qu'on aime, pour ne pas les voir devenir infidèles, tant on désire les garder éternellement; et, ensuite, les sentiments sexuels, qui peuvent être terriblement tentants, fascinants, et également très dangereux. [ ... ] Il est facile d’attribuer la popularité de Barbe-Bleue à son mélange de crime et de sexualité ou à la fascination qu’exercent les crimes passionnels… Les adultes ont de terribles secrets. En ce qui concerne l'enfant, je suis persuadé qu'il aime cette histoire parce qu'elle le confirme dans l'idée que les adultes ont de terribles secrets sexuels. Elle affirme également quelque chose que l'enfant ne connaît que trop bien de par sa propre expérience : que la découverte des secrets sexuels est si tentante que les adultes eux-mêmes n'hésitent pas à prendre les plus grands risques que l'on puisse imaginer. En outre, la personne qui tente ainsi les autres mérite un châtiment bien calculé.
Je crois qu'à un niveau préconscient (2) l'enfant comprend d'après le sang indélébile sur la clé et d'autres détails, que la femme de la Barbe bleue a commis un écart sexuel. L'histoire raconte que bien qu'un mari jaloux puisse croire que sa femme mérite d'être sévèrement punie et même tuée pour son infidélité, il a parfaitement tort d'entretenir de telles pensées. Rien de plus humain, dit l'histoire, de succomber à la tentation. Et le jaloux qui croit pouvoir se faire justice mérite d'être supprimé. L'infidélité conjugale, symboliquement exprimée par le sang sur l'oeuf ou sur la clé, doit être pardonnée. Si le partenaire ne comprend pas cela, c'est lui-même qui en souffrira.

 

Bruno Bettelheim, « Le cycle du fiancé-animal » in Psychanalyse des contes de fées, 1976, 1978 pour la traduction française, traduit de l'Anglais par Théo Carlier.

 

1. Allusion au conte de Grimm (L’Oiseau d’Ourdi) analysé précédemment par Bettelheim.
2. Préconscient : qui précède la prise de conscience

 

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