Le 08/10/2021, le cinéma New Vox de langres proposait à 21h15 un Ciné Philo animé par Elsa Guest-Guiader, professeur agrégée de philosophie au Lycée Bouchardon de Chaumont.
Le procès du siècle est un film britannico-américain de Mick Jackson (2016), adapté de l’ouvrage History on Trial : My Day in Court with a Holocaust Denier, dans lequel l’historienne Deborah Lipstadt relate le procès qui l’a opposée en 2000 au négationniste David Irving. Au-delà du négationnisme, il pose entre autres les problèmes de la preuve, de l’encadrement et des définitions juridiques des droits fondamentaux comme celui de la liberté d’expression pour finalement atteindre la question philosophique fondamentale de ce que signifie la vérité.
Débat : Le film présente deux visions de la justice différentes. Le problème porte surtout ici sur la question de la liberté d’expression : faut-il autoriser l’expression de n’importe quelle opinion (même négationniste) ? La sincérité de Iving est bien posée par le juge. S’iI est « sincère », personne ne peut lui interdire, soutient le magistrat, de penser ce qu’il pense. Il s’agit certes de la liberté de conscience, de pensée mais est-ce qu’on peut toujours dire ce que l’on veut ? Or il est beaucoup question des livres ici et dès que l’on écrit, il y a des conséquences sociales et historiques, concernant des groupes et la communauté, avec des effets concrets sur les réactions des gens. Voir dans le film les réactions dans la rue, les violences qui s’agitent pendant ce combat de David contre Goliath. (Voir en annexe le document fourni sur le droit et la liberté d’expression).
Est ainsi abordé le problème de la vérité historique de la Shoah. La thèse de Lipstadt est que l’on peut parler à propos de la Shoah mais pas dire quelle a eu lieu ou non. Il faut donc dissocier la vérité historique et la liberté d’en parler.
Question : existe-t-il justement des documents visuels, des photos des chambres à gaz ? Non pas de ce qu’il en reste, des témoignages de rescapés mais des preuves visuelles de ce qui s’est passé ? Des supports où on voit la « preuve » de l’extermination ?
Oui, il y en a, voir en annexe le livre Images malgré tout de Didi-Huberman : on y voit la preuve des personnes mortes, exécutées dans le camp parce qu’elles ne pouvaient être gazées faute de de temps. Intervention : il existe un "Album d’Auschwitz" qui présente le récit accompagnant cet album. On y voit l’ arrivée d’un convoi sur la rampe d’Auschwitz avec un photographie des cadavres brûlés près d’un four crématoire.
Outre le statut de la preuve dans le film, Le problème de de Lipstadt ici serait d’être trop dans l’affect et de ne pas avoir les mots pour le dire. Le négationnisme se nourrit d’un discours qui ne veut pas nommer, dire le factuel. On peut être tenté de refuser d’en faire l’histoire. L’intérêt du film porte sur le passage par le légal, le judiciaire, il consiste à « en passer par là » : comment aborde-t-on le fait de la Shoah ?
On voit que le négationnisme cherche la procédure pour le soutenir. Ici se pose par principe la question du tiers ; or le négationniste se défend lui-même. Lipstadt arrive seule au tribunal et a besoin de quelqu’un qui prenne sa défense. C’est le propre de toute histoire : on fait mémoire de nos héros, on les représente, on leur fait une place. Or, ici certains insultent Lipstadt en lui disant qu’elle n’a pas sa place. L’enjeu de la justice tient bien à ce qu’il faut que des tiers vous donnent votre place car on ne se défend pas soi-même. Or Irving a déjà mis en marge tout le dispositif judiciaire en se défendant soi-même.
Le film insiste sur lourdeur judiciaire, le temps d’attente du verdict, la nécessité du secret. Cette présence de la forme est une garantie de la liberté. C’est pourquoi le juge est au-dessus des parties, incarne l’impartialité – d’où la révérence qu’on lui doit.
Question : le choix du mot Holocauste au lieu de Shoah est posé par Agamben comme problématique dans Ce qui reste d’Auschwitz alors que c’est le terme qui est utilisé constamment tout du long du film. N’est-ce pas un procédé curieux voire contradictoire avec le propos quand il s’agit de condamner le négationnisme ?
C’est peut-être une question de langage anglo-saxon, de convention. En tout cas, il y a là quelque chose qui est gênant en effet.
Rappelons que le travail des Sonderkommandos était d’éliminer tout ce qui avait trait aux déportés Juifs : ils voyaient ce qu’ils allaient subir et détruisaient toutes les traces. Huberman montre 2 photos du crématorium 5 d’Auschwitz prises par les Sonderkommandos mais ce sont de mauvaises photos car ces hommes doivent travailler en même temps, et avec la peur de se faire prendre !
C’est pourquoi, en définitive, la justice doit obliger à se confronter au réel de la Shoah. Le film invite à différencier la vérité et la justice : manière de dire que la question de la vérité échappe aussi à intuition judiciaire. On voit d’ailleurs que ce procès ne dit pas toute cette vérité que l’on a dans les témoignages de rescapés. De fait, la Justice est imparfaite et ne peut pas s’occuper de tout. Raison pour laquelle l’avocat anglais dit que dans le tribunal on ne fait pas de thérapie.
Commentaire des 2 photos de Images malgré tout :
Ce ne sont pas de bonnes photos mais elles témoignent d’une prise de risque incroyable. Didi-Huberman dit clairement en tout cas qu’il faut arrêter de dire qu’on ne peut pas se représenter la crémation.
Le dernier document, proposé dans son livre et fourni en annexe est l’extrait d’une autre photo : elle est retouchée mais on y voit de nombreuses femmes nues poussées vers les chambres à gaz dans les bois de bouleaux (Birken, bouleau en allemand, d’où le nom du camp de Birkenau).
Ici, c’est un agrandissement d’un coin minuscule dans un coin de la photo de départ mais cette manipulation est destinée à nous permette de voir cette scène.
Prise de notes pendant la séance par Frédéric Grolleau, chargé du cours « Initiation Philosophie et Cinéma », Université de Rennes 2.
La question de la justice et le support audiovisuel n’ayant été abordés ici qu’en surface, pour une approche plus objective des tenants et aboutissants du film, il est préférable de consulter l’instructive présentation qui en est faite sur Zérodeconduite :
Jugement à Nuremberg, Douze hommes en colère, La Controverse de Valladolid, Bamako…
En mettant en scène de manière ritualisée et condensée des confrontations autour de grandes questions historiques, sociétales ou philosophiques, les grands procès (qu’ils soient historiques ou fictifs) ont toujours constitué un matériau de choix pour les scénaristes et avant eux les dramaturges.
L’affaire dépeinte dans Le Procès du siècle ne fait pas exception, proposant une réflexion sur le rapport à la vérité et à l’Histoire qui ne manquera pas de faire écho au contexte actuel.
En 1996, David Irving, écrivain britannique à succès ayant basculé dans le révisionnisme, attaque en justice Déborah Lipstadt, universitaire américaine spécialiste de la Shoah. La charge de la preuve revenant à la défense (c’est le cas dans les procès en diffamation dans le système judiciaire anglais), les avocats de Lipstadt vont devoir rien moins que démontrer l’existence des chambres à gaz.
À l’heure de la post-vérité et des « faits alternatifs », on voit ce qui fait l’actualité de ce « Procès du siècle » : la critique d’une société du spectacle où le fracas des opinions a supplanté la recherche de la vérité. Le film montre bien comment Irving, jouant parfaitement de ses codes, parvient à saturer l’espace médiatique, en imposant par exemple à la une de tous les journaux anglais le slogan négationniste « no holes, no Holocaust » [« pas de trous, pas d’Holocauste », soit l’idée selon laquelle l’absence de trous visibles dans le toit des chambres à gaz d’Auschwitz prouverait qu’aucun Juif n’a été gazé dans le camp].
Malheureusement, un grand procès ne fait pas toujours un bon film, surtout quand celui-ci tombe dans les travers qu’il entend dénoncer. Car tout comme Irving, Le Procès du siècle cède aux facilités de la simplification, du bon mot et du spectacle à peu de frais. Le procès, qui occupe toute la seconde moitié du film, n’est ainsi que très partiellement reproduit à l’écran : Mick Jackson, le réalisateur, se contente d’en isoler des instants dramatiques, sans s’attacher à restituer la complexité de l’argumentation développée par les avocats de Lipstadt.
De même, le traitement du personnage principal, Déborah Lipstadt (Rachel Weisz), est en totale contradiction avec le message du film. Là où les avocats de l’universitaire américaine lui expliquent qu’elle n’est qu’un prétexte (l’enjeu du procès est bien de prouver, scientifiquement, l’existence de la Shoah), le film s’évertue à lui donner une place centrale dans la narration, consacrant de nombreuses scènes à ses états d’âme, sans vraiment nous en apprendre plus sur le du personnage.
Si l’on ajoute la propension du réalisateur à prendre le spectateur pour un idiot, surlignant les enjeux de l’intrigue par des dialogues explicatifs ou une mise en scène lourdement insistante (ainsi ce plan sur le visage ému d’un personnage suivant les images pourtant très fortes des tas de valise et de chaussure de déportés d’Auschwitz), on comprendra que le Procès du Siècle présente un intérêt cinématographique et pédagogique très relatif. Si le film permettra à la rigueur d’initier un débat sur la liberté d’expression (en cours d’Éducation Morale et Civique), il n’est pas assez consistant pour permettre d’aborder sérieusement la question du négationnisme. Tout au plus interrogera-t-il les professeurs d’Histoire sur leur propre pratique du métier : à l’heure où les derniers témoins disparaissent et où certains sont tentés de réécrire l’Histoire, comment s’assurer que la science ne cède pas face à l’idéologie ?
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