Les trois Discours sur la condition des grands, écrits par Pascal à la fin de sa vie, étaient destinés, à un jeune homme de famille aristocratique. Ces discours visent à enseigner à la Noblesse la juste conscience de sa nature, de ses droits et de ses devoirs, de son rôle, en invitant à la modestie et à la charité.
"Il y a dans le monde deux sortes de grandeurs ; car il y a des grandeurs d'établissement et des grandeurs naturelles. Les grandeurs d'établissement dépendent de la volonté des hommes, qui ont cru avec raison devoir honorer certains états et y attacher certains respects. Les dignités et la noblesse sont de ce genre. En un pays on honore les nobles, en l'autre les roturiers ; en celui-ci les aînés, en cet autre les cadets. Pourquoi cela ? Parce qu'il a plu aux hommes. La chose était indifférente avant l'établissement : après l'établissement elle devient juste, parce qu'il est injuste de la troubler. Les grandeurs naturelles sont celles qui sont indépendantes de la fantaisie des hommes, parce qu'elles consistent dans les qualités réelles et effectives de l'âme et du corps, qui rendent l'une ou l'autre plus estimable, comme les sciences, la lumière de l'esprit, la vertu, la santé, la force. Nous devons quelque chose à l'une et à l'autre de ces grandeurs ; mais, comme elles sont d'une nature différente, nous leur devons aussi différents respects. Aux grandeurs d'établissement, nous leur devons les respects d'établissement, c'est-à-dire certaines cérémonies extérieures qui doivent être néanmoins accompagnées, selon la raison, d'une reconnaissance intérieure de la justice de cet ordre, mais qui ne nous font pas concevoir quelque qualité réelle en ceux que nous honorons de cette sorte. Il faut parler aux rois à genoux ; il faut se tenir debout dans la chambre des princes. C'est une sottise et une bassesse d'esprit que de leur refuser ces devoirs. Mais pour les respects naturels qui consistent dans l'estime, nous ne les devons qu'aux grandeurs naturelles ; et nous devons au contraire le mépris et l'aversion aux qualités contraires à ces grandeurs naturelles."
Pascal, Discours sur la condition des grands, « Les grandeurs d'établissement et les grandeurs naturelles », 1660.
NB :
Grandeurs détablissement : grandeurs qui ont été établies par les hommes.
Etats : ici, conditions sociales.
Questions :
Répondez aux questions suivantes :
Retrouvez la composition du texte : quelle est sa progression ?
Quel nom plus contemporain peut-on donner à ce que Pascal appelle les "grandeurs d'établissement" ? Donnez quelques exemples issus de votre expérience ou de vos connaissances personnelles.
Reformulez de manière plus moderne la phrase : "nous devons quelque chose à l'une et à l'autre de ces grandeurs"
Quels exemples donne Pascal de ce que nous devons aux grandeurs d'établissement ? Donnez d'autres exemples, plus contemporains.
Quelle différence Pascal fait-il entre "estime" et "respect" ?
Quelle est finalement la thèse de ce texte ? Où se trouve-t-elle exprimée ? En quoi cette thèse invite-t-elle les Grands à la modestie ?
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Corrigé de l'exercice
Retrouvez la composition du texte : quelle est sa progression ?
Ce texte est composé de 5 § de longueur très variable, mais sa structure est rigoureuse.
Les deux premiers § donnent la définition des deux grandeurs : d'abord la grandeur d'établissement, relative au pays dans lequel on se trouve, arbitraire sans doute dans son origine, mais qui, une fois instituée, doit être respectée ; puis la grandeur naturelle, liée au caractère et aux vertus de la personne, et qui n'est donc nullement relative.
Un § de transition montre que nous devons des marques de respect à l'une comme à l'autre, mais qu'il ne faut pas les confondre.
Les derniers §, plus développés, développent ces différences en donnant des exemples ; aux grandeurs d'établissement des marques extérieures de respect (gestes, formules de politesse) ; aux grandeurs naturelles, l'estime intérieure, c'est-à-dire morale. Un duc honnête homme aurait droit aux deux, mais un "grand seigneur méchant homme" ne mériterait que les marques extérieures, qui peuvent aller de pair avec le plus profond mépris.
Quel nom plus contemporain peut-on donner à ce que Pascal appelle les "grandeurs d'établissement" ? Donnez quelques exemples issus de votre expérience ou de vos connaissances personnelles : Les grandeurs d'établissement n'ont pas disparu avec l'abolition des privilèges et l'instauration de la République. Aujourd'hui, on peut parler des "marques extérieures de respect", dues à la fonction. On ne parle pas à un professeur, ou à un proviseur, comme à un camarade de classe ; dans le magistrat ou l'homme politique, on respecte la fonction...
Reformulez de manière plus moderne la phrase : "nous devons quelque chose à l'une et à l'autre de ces grandeurs" : nous devons respecter, mais sous des formes différentes, la fonction ou le rang d'une personne, et ses qualités humaines.
Quels exemples donne Pascal de ce que nous devons aux grandeurs d'établissement ? Donnez d'autres exemples, plus contemporains. "Il faut parler aux rois à genoux ; il faut se tenir debout dans la chambre des Princes" ; ou encore "on salue un duc". Aujourd'hui qu'il n'y a plus en France ni roi, ni Princes, ni ducs, les "grandeurs d'établissement" demeurent, par exemple lorsque l'on s'adresse à un supérieur. "Monsieur le Président" ou "Monsieur le Ministre", "Docteur" pour s'adresser à un médecin, "Maître" pour un avocat ou un notaire... Voir aussi les formules de politesse dans les lettres, et la subtile hiérarchie entre les "sentiments distingués" (pour un correspondant ordinaire), les "sentiments respectueux" pour un supérieur, ou les "marques de profond respect" pour quelqu'un de très haut placé dans la hiérarchie... Et il est indispensable de connaître ces subtilités pour ne pas passer pour mal élevé ou grossier !
Quelle différence Pascal fait-il entre "estime" et "respect" ? Pascal emploie le mot respect dans le sens des marques purement extérieures. On peut, sans hypocrisie, adresser des "sentiments respectueux" à quelqu'un que l'on considère, à part soi, comme un crétin ou un malhonnête homme : la formule s'adresse à la fonction, pas à l'individu ! L'estime, au contraire, est intérieure et morale. Elle ne peut s'accorder qu'aux qualités de la personne. on doit respecter un professeur inintéressant, un magistrat incapable, un ministre imbu de lui-même ; mais nul ne peut vous obliger à l'estimer !
Quelle est finalement la thèse de ce texte ? Où se trouve-t-elle exprimée ? En quoi cette thèse invite-t-elle les Grands à la modestie ? La thèse consiste justement dans cette distinction des deux grandeurs, et à la différence de ce qu'on leur doit. C'est un appel à la modestie des Nobles, qui croyaient volontiers que les respects adressés à leur nom ou à leur titre l'étaient à leur personne, et que s'appeler "Monsieur de..." les dispensait de faire preuve de qualités morales... A la même époque, Molière, dans Dom Juan, dressait le portrait féroce d'un "grand seigneur méchant homme".
source :
https://uoh.fr/document/1e2b3ff2/f4f4/4bc6/1e2b3ff2-f4f4-4bc6-b60c-bcd1e4cd7b22/index.html
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