analyse du film sur cinétis (59 mn) :
https://www.youtube.com/watch?v=hnoEqppZLDs
exercice sur Secret Beyond the Door :
https://www.pedagogie.ac-nantes.fr/cinema-audiovisuel/enseignements/enquetes-sur-un-secret-1370713.kjsp?RH=PEDA
L’argument :
Celia Barrett est une héritière richissime qui attend le grand amour pour enfin se marier. Lors d’un voyage au Mexique, elle rencontre Mark Lamphere et tous deux tombent amoureux l’un de l’autre. Celia épouse Mark et découvre un être étrange qui lui a tout caché de sa vie passée...
Souvenez-vous : dans Merci pour le chocolat, Isabelle Huppert offre à son beau-fils cinéphile une cassette vidéo du Secret derrière la porte avant de se débrouiller pour qu’il disparaisse définitivement de la surface de la terre. Perverse Huppert, qui reprend dans ce drame de Chabrol le rôle ingrat et ambigu tenu par Michael Redgrave dans Secret beyond the door. Pour les deux personnages, le drame est le même : leur passé ne passe pas, il est toujours là, il se répète indéfiniment à l’insu de leur entourage. C’est aussi le drame de Mae dans Le démon s’éveille la nuit. Peut-on, chez Lang ou chez Chabrol, échapper au fatum de la répétition ? Ces personnages sont-ils délibérément mauvais, ou fatalement mus par des pulsions vieilles comme une petite enfance mal digérée ?
On fait grand cas de "la psychanalyse" au sujet de ce film superbe, d’une matière riche, imprévue et volontiers baroque. Certes, il a été réalisé trois ans après La maison du docteur Edwards de Hitchcock, et les références explicites à la psychanalyse ne sont pas rares. Notons néanmoins que Fritz Lang et la très charmante Joan Bennett font preuve d’un humour et d’un détachement envers les interprétations freudiennes (lors de la fantastique visite des "chambres des douleurs" notamment, clou du film et grand moment de cinéma) qui permet de voir dans ce film une œuvre noire beaucoup plus subtile et ironique que l’"explication" freudienne d’un destin. Peut-être même est-ce l’intérêt de l’intrusion du Secret derrière la porte dans Merci pour le chocolat : loin d’expliquer la névrose très imaginative (et cinématographique) de son personnage, Fritz Lang bien avant Chabrol préfère... le cinéma. Il préfère raconter plutôt qu’expliquer. La "triste mythologie" du maître viennois devient un réservoir inépuisable, libérateur, coloré des fictions les plus folles. Il préfère les plaisirs de l’intrigue façon Hitchcock (à plusieurs reprises, on soupçonne Mark de vouloir réaliser le "crime presque parfait") aux pensums névrotiques façon Tennessee Williams.
Il faut donc voir ou revoir le minois mi-circonspect et mi-naïf de Joan Bennett, ses fabuleux tailleurs pantalons à pois, la suite hallucinante de ces chambres collectionnées par l’époux timbré et se laisser aller à une intrigue avec laquelle Lang joue à nous faire peur. Le secret derrière la porte - avec La femme au portrait, mais en mieux - c’est la récréation que nous a laissée Fritz Lang dans une œuvre particulièrement sombre : profitez-en, il n’y en a pas beaucoup...
max robin
source : https://www.avoir-alire.com/le-secret-derriere-la-porte-la-critique
Descente aux Enfers
Fritz Lang aurait-il été influencé par Hitchcock ? Entre Rebecca, Spellbound, ces deux œuvres du maître anglais du suspense réalisées en 1940 en 1945 et Le Secret derrière la porte, réalisé par le cinéaste viennois exilé aux États-Unis, existe-t-il un rapport insoupçonné ? Dans les années quarante, les maîtres du grand écran se passionnent pour la question de l’inconscient. La psychanalyse ferait-elle fureur à Hollywood ? Elle n’est, à l’époque, en tout cas plus réservée à un cercle d’initiés. Tandis que les enfants de Freud se penchent sur les névroses et autres troubles de l’âme humaine, les scénaristes s’amusent et se passionnent pour des histoires tordues et saugrenues. L’écran de cinéma s’ouvre à une autre dimension et dans les salles obscures, les spectateurs plongent au cœur de cet espace mouvementé du rêve, fait de folie, de meurtre et de refoulement.Sorti sur les écrans en 1948, Le Secret derrière la porte s’apparente à une variation psychanalytique très librement adaptée du conte de Barbe Bleue. Celia, jeune américaine riche et oisive, quitte New York et part pour un voyage d’agrément au Mexique. À Mexico, elle tombe sous le charme d’un architecte, Mark Lamphere, qui rapidement, la demande en mariage. Lors de leur lune de miel, le comportement étrange de son époux éveille les soupçons de Celia. Elle découvre peu à peu la face cachée d’un homme à la personnalité complexe et s’effraie de certaines pratiques fétichistes et plutôt inquiétantes. L’époux s’avère être un drôle de collectionneur : son bien-aimé reconstitue, à partir de leur mobilier d’origine, les chambres dans lesquelles de célèbres meurtres ont été commis. Mais dans l’insolite demeure des Lamphere, que se cache-t-il derrière la porte de la septième chambre, étrangement close ? À Celia d’en trouver, aux sens propre et figuré, la clé…
Entre le clair et l’obscur : conscience coupable et schémas inconscients
Dans la filmographie de Lang, Le Secret derrière la porte est une œuvre riche et intrigante. Sans jamais s’apparenter à un film noir, l’œuvre de Lang baigne dans une atmosphère envoûtante et semble pourtant évoquer toutes les prémices d’un meurtre : par la tension suscitée, le spectacle d’un crime est comme promis sans jamais paraître sous nos yeux. Contrairement à d’autres œuvres de Lang centrées sur de véritables assassins, ce film jette un trouble et nourrit le mystère sur l’accomplissement d’un meurtre. Tout porte à croire qu’il s’agit d’une histoire de crime sans nulle vision de sang. Véritable tour de force de Lang qui ne se préoccupe nullement d’enquête. Si procès il y a, il n’est ici que purement rêvé et imaginaire. Ce que Lang interroge n’est donc pas l’acte coupable mais le désir de meurtre. L’accusé n’est pas une figure d’assassin à la « M » ou tel le professeur Wanley dans La Femme au portrait, mais un criminel en puissance. Le crime n’est plus une affaire d’état, de société, un fait divers : le désir de meurtre devient une affaire privée, concentrée sur un homme et une femme qui cherchent désespérément à former un couple. Nul avocat ou autre représentant de la loi ici puisque la Loi est intérieure. Ainsi, aux méandres des rues citadines, des scènes en extérieur, se substituent les couloirs labyrinthiques d’un manoir familial, dont les clair-obscurs sont lourds de mystères prêts à être divulgués. Le Secret derrière la porte renoue avec certaines pratiques de l’esthétique expressionniste dans l’importance accordée aux jeux d’ombres et de lumières, dans ses scènes fantastiques qui rappellent des films comme Le Cabinet du Docteur Caligari. Fritz Lang est loin du réalisme. L’irréalité qui s’en dégage en fait une œuvre qui oscille entre le drame, le film noir, le thriller et le film fantastique. Insaisissable et envoûtant, ce film est définitivement inclassable.
Une œuvre palimpseste
Le Secret derrière la porte s’apparente dès lors moins à une banale affaire de meurtre qu’à un règlement de compte avec un passé douteux : à ses risques et périls, et peut-être aussi par amour, le personnage principal incarné par Joan Bennett se décide à tirer certaines choses au clair. L’intrigue est orchestrée par une voix off, celle de ce personnage féminin central. L’intérêt du spectateur est alors guidé par le point de vue de cette femme, qui va se plonger dans le passé et l’inconscient d’un homme. Puisque l’être aimé n’est autre qu’un parfait inconnu, chaque moment présent est une menace. Le danger pointe dès la scène de la première rencontre. Celia est spectatrice d’un combat de rue à Mexico où deux hommes se battent au poignard pour une femme. Son visage demeure fasciné par la brutalité et la violence de ce spectacle d’une lutte à mort tandis que sa voix off fait entrer en scène un autre personnage : elle sent la présence d’un homme (encore hors champ) dont le regard n’est pas dirigé sur le combat de rue mais posé sur elle. Ce jeu de regards croisés permet de poser les premiers nœuds de l’intrigue tout en révélant de manière déguisée la complexité de leur relation. L’un cherche l’autre tandis que l’autre pressent sa présence comme un gouffre irrésistible auquel il ne peut échapper. Le regard réveille et révèle les consciences. Il fait remonter à leur surface des souvenirs jusqu’alors enfouis et refoulés. Un détail, un soupçon poussent sans cesse le personnage à regarder plus loin, à dévier son propre regard de sa cible initiale.
Celia est troublée par la présence absente de son époux dont les départs précipités et inexplicables éveillent ses soupçons. Elle croit le rejoindre en s’installant dans la maison familiale des Lamphere : dans cette sombre demeure, les figures féminines rôdent tels des souvenirs glissant le long des murs. Nouvel élément de ce décor baroque, Celia va rassembler les pièces éparses d’un passé morcelé et reconstruire un décor tragique, à l’image de ce mari architecte qui, à partir de leur mobilier d’origine, compose une série de pièces mortuaires. La concentration de l’action dans un espace intérieur, l’enchevêtrement de couloirs, de portes, de pièces, les projections d’ombres confèrent au film un caractère baroque, renforçant ainsi son étrangeté. Lors de la fameuse séquence au cours de laquelle Celia s’apprête à ouvrir la porte de la chambre n°7 (séquence digne d’une véritable descente aux Enfers), le faisceau lumineux de la torche électrique qu’elle tient projette son ombre qui glisse sur les parois. Dépersonnalisée, un trouble est jeté sur son identité : dans cet espace désormais fantastique n’est-elle pas devenue elle aussi une ombre, une défunte ? La chambre qu’elle s’apprête à visiter, espace intime et privé, n’est rien d’autre qu’un royaume de morts que son corps, ombre et lumière, explore.
Répétition et révélation
Jouant sur un certain symbolisme (celui par exemple des fleurs), utilisant des procédés du film noir qu’il mêle d’une dose de fantastique et de quelques schémas tout droit sortis d’un conte (conduite par la voix off du personnage incarné par Joan Bennett), l’une des premières scènes du film est composée d’un plan assez long sur une eau trouble, introduisant le spectateur dans un espace non réaliste et symbolique), Fritz Lang construit son film sur un principe de répétition et de redoublement. Celia Lamphere pénètre ainsi deux fois dans la chambre interdite, Mark Lamphere n’est en réalité pas hanté par deux femmes (la secrétaire jalouse, Miss Robey et la sœur de Mark, Caroline) mais quatre : deux sont décédées. L’intrigue se noue tout entière à partir de ces figures de défuntes. Dans l’avant-dernière séquence du film, un incendie réactualise le souvenir d’un incendie passé. La complexité du scénario joue sur ce principe de redondance, de reproduction d’un événement, de redoublement des êtres : dans la très belle séquence onirique du procès rêvé, Mark Lamphere joue à la fois le rôle de l’accusé et du procureur. Ce principe de répétition est à la fois le moteur de l’action et le vecteur de suspens : c’est lorsque l’on apprend qu’un événement presque identique a déjà eu lieu que l’on tremble. Tout le suspens de Lang repose dans ce film sur la crainte d’une réduplication. Entre onirisme, fétichisme et suspense, Lang brode un film surprenant dont l’énigme, à demi résolue, reste encore obscure dans nos mémoires et n’a pas fini de nous troubler.
Marie Bigorie / Critikat
source : https://transmettrelecinema.com/film/secret-derriere-la-porte-le/#mise-en-scene
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