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Les expériences de pensée philosophiques dans "After the Dark" (John Huddles, 2014)

Publié le 14 Mars 2021, 10:37am

Catégories : #Philo & Cinéma

Les expériences de pensée philosophiques dans "After the Dark" (John Huddles, 2014)

After the Dark (2014) a été écrit et réalisé par John Huddles. Je préfère son titre alternatif, plus littéral et pertinent: The Philosophers. C’était son titre initial, avant que les producteurs ne se ravisent pour des raisons obscures et choisissent un titre peut-être plus commercial, mais beaucoup moins lié au contenu.

Un film d’action — j’exagère : on y trouve quelques scènes d’action… il ne faut pas s’attendre à The Avengers — mettant en vedette des philosophes ne semble possible que par l’entremise des expériences de pensée, qui sont en effet centrales, ici. L’intrigue se déroule pendant la dernière journée du calendrier scolaire, et elle a pour cadre un cours de philosophie donné par un enseignant avant-gardiste.

Le début du cours est consacré à la brève récapitulation de quelques expériences de pensée classiques; elles sont mises en images dans le film avec un humour plus efficace que celui, somme toute conventionnel, des scènes ultérieures.

Le singe savant

Le paradoxe du singe savant, tout d’abord, qui stipule qu’un chimpanzé qu’on laisserait taper à la machine à écrire pendant une période infinie en viendrait inévitablement à rédiger une oeuvre célèbre, comme le Hamlet de Shakespeare, entre autres exemples. La possibilité qu’un singe immortel parvienne à taper une oeuvre classique est donc non nulle, quoique très faible.

La référence au singe est artificielle (bien qu’on puisse y voir une allusion à l’hypothèse d’un animal savant): on pense surtout à un mécanisme abstrait qui taperait des lettres à l’infini. Ce paradoxe a donné lieu à des formalisations logiques complexes que je laisserai de côté ici.

Le dilemme du tramway

On assiste ensuite à une illustration cinématographique du fameux dilemme du tramway, inventé par Philippa Foot en 1967: supposons qu’un tramway hors de contrôle peut suivre deux voies — une première, qui sera empruntée si le témoin n’effectue aucune manoeuvre, provoquerait la mort de cinq personnes, tandis que la seconde (accessible en appuyant sur un levier) ne tuerait qu’une seule personne; quelle serait la meilleure décision? Vaudrait-il mieux s’impliquer en causant «volontairement» une mort, ou laisser cinq morts se produire puisqu’elles ne nous concernent pas?

After the Dark intègre au dilemme originel une variante introduite par Judith Jarvis Thomson en 1976: celle de l’homme obèse que l’on peut pousser sur une des voies pour que le tramway se bloque sans tuer les six personnages préalablement évoqués. Osera-t-on le sacrifier pour éviter une catastrophe encore plus considérable ?

Une fin (imaginaire) du monde

Si l’enseignant expose ses élèves à autant d’expériences de pensée, c’est, dit-il, pour «renforcer leurs esprits». Et ces expériences sont autant de pratiques en vue de l’expérience ultime, qui prend la forme d’un scénario post-apocalyptique: et si la société disparaissait à cause d’un cataclysme? Le groupe se projettera donc dans ce scénario, où un refuge ne pourra accueillir que dix personnes (ils sont vingt et un), avec suffisamment d’oxygène pour survivre un an. Qui sera choisi(e) et qui sera abandonné(e)?

Afin de les aider à faire leurs choix, les vingt et une personnes pigent une carte définissant leur habileté spéciale (le plus souvent: un métier). Les avis divergeront toutefois sur l’utilité des métiers (harpiste, chanteuse d’opéra, ingénieure, chirurgienne, etc.) dans un contexte post-apocalyptique.

"Nous sommes des philosophes de l'extrême."

À cette expérience de pensée principale s’en greffent quelques autres, semées par l’enseignant avec un plaisir pervers. Une étudiante — la meilleure, selon lui (on aura plusieurs fois l’occasion de constater sa préférence) — dit trouver l’expérience moralement inacceptable et menace de quitter le local… jusqu’à ce que le professeur la confronte à une situation désagréable: si elle quitte, il diminuera la note de son copain (qui fait lui aussi partie du groupe); comment vivrait-elle avec ce regret?

Le scénario post-apocalyptique sera revisité plusieurs fois, conservant en cela le caractère spéculatif de toute expérience de pensée. Dans sa première occurrence, les survivants expulsent le professeur du refuge; ils arrivent à survivre un an (voire un peu plus, étant donné qu’ils sont neuf plutôt que dix), mais ne pouvant sortir — l’enseignant est le seul à connaître le code — ils procèdent à un suicide collectif.

Dans la deuxième occurrence (dont je tairai l’issue), les participants connaissent non seulement leur habileté/métier, mais une facette supplémentaire du personnage qu’ils incarnent. Cette facette peut être leur orientation sexuelle, leur état de santé (une chirurgienne pourrait avoir été infectée par l’Ebola), un talent supplémentaire (la chanteuse d’opéra parle sept langues mais va développer un cancer de la gorge dans trois ans et perdra sans doute la voix), leur quotient intellectuel, etc. On mettra davantage l’accent sur la perpétuation de l’espèce, recomposant les couples à volonté.

Dans la troisième occurrence, un des personnages effectuera lui-même le choix des dix survivants.

 

source : http://blogue.nt2.uqam.ca/professeur-s/2015/08/24/after-the-dark/

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