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« Des délits et des peines » de Cesare Beccaria (1764)

Publié le 17 Mars 2021, 11:09am

Catégories : #Philo (Notions)

 « Des délits et des peines » de Cesare Beccaria (1764)

Publié en 1764, le livre récuse la tradition pénale et prône l'abolition du gibet.

LA THÈSE

Dans son ouvrage de moins de 100 pages paru anonymement à Livourne en juillet 1764 (Dei delitti e delle pene), Cesare Beccaria accuse le droit de punir traditionnel qui remonte à Rome. Brisant tout lien entre péché et crime, réclamant la décriminalisation du suicide et de l'homosexualité, il propose de remplacer l'arbitraire des délits et des peines par leur légalité. Le code pénal en harmonisera de manière proportionnelle atrocité et sévérité. Le crime est moins un péché qu'une infraction sociale. La peine non infamante en sera la réponse politique et non pas la rétribution expiatoire du péché. L'« inutile profusion des supplices » rejoint les oubliettes de l'histoire avec la torture judiciaire, car l'aveu dans la douleur viole la dignité de l'individu.

Partisan d'une pénalité utilitaire qui corrige avec certitude et réinsère le condamné, il réclame sine die l'abrogation de la peine capitale qui n'est ni un droit ni un moyen d'intimider les criminels. Dangereuse car mal proportionnée aux crimes qu'elle sanctionne, elle n'a jamais « rendu les hommes meilleurs ». A l'opposé, sa « cruauté » est socialement nuisible. Contrairement à la durée éprouvante des travaux forcés que Beccaria oppose à la brièveté du gibet, la peine de mort rend irréparable l'erreur judiciaire. Plutôt que punir le crime, mieux vaut le prévenir avec des bonnes lois et un régime social égalitaire. L'abolition de la propriété privée et la suppression du paupérisme par la répartition des richesses éteindront les vols nés « de la misère et du désespoir ».

CE QU'IL EN RESTE

Le succès intellectuel de Beccaria s'est rapidement traduit dans celui de son ouvrage, best-seller des Lumières, vade-mecum pénal des souverains éclairés. En 1786, le grand-duc Pierre-Léopold de Toscane s'en inspire lorsque - première mondiale - il supprime la peine capitale. Aux États-Unis, l'ouvrage inspire les pères fondateurs de la démocratie américaine. En France, les rédacteurs du Code pénal (1791) le suivent partiellement en abolissant les supplices, en généralisant le système carcéral comme institution démocratique de la pénalité en république, tout en maintenant la peine capitale. Après l'échec abolitionniste de 1908, celle-ci sera finalement supprimée en 1981 grâce à la ténacité d'un lecteur de Beccaria, le garde des Sceaux Robert Badinter. Adulé ou combattu, Beccaria annonce le régime pénal de l'État de droit né de la Révolution. Son humanisme augure le processus inéluctable d'aujourd'hui : l'abolition universelle de la peine capitale que l'Union européenne a mise à l'ordre du jour après l'avoir imposée à chacun de ses États-membres. Son projet reste une source d'inspiration progressiste pour le droit criminel contemporain respectueux des droits de l'homme. Dans le contexte dramatique post-11 septembre 2001, sa critique libérale de l'excès pénal est primordiale pour endiguer les dérives sécuritaires de l'État de droit et répondre par la loi à la violence aveugle du terrorisme.
 

CESARE BECCARIA
Né en 1738, mort en 1794, lecteur boulimique de Hume, des encyclopédistes, de Montesquieu et de Rousseau, le marquis Cesare Beccaria est la grande figure du réformisme pénal des Lumières. Éduqué chez les Jésuites de Parme, docteur en droit, membre de l'Accademia dei pugni, foyer milanais des Lumières dans la péninsule, il est un fonctionnaire zélé dans l'administration viennoise à Milan dès 1770 jusqu'à sa mort. Scandalisé par le supplice de Jean Calas, ce protestant roué vif à Toulouse car accusé à tort d'avoir tué son fils pour en empêcher l'apostasie, Beccaria rédige fiévreusement son brûlot pénal. Homme d'un seul livre d'importance, compagnon de route des philosophes mais timide dans les salons parisiens qui l'invitent à l'automne 1766, Beccaria élargit le problème de la modération pénale en prônant au nom les Lumières la suprématie de la raison, l'éducation populaire et la sécularisation des normes morales pour les droits de l'homme.

source : 
https://www.lhistoire.fr/classique/%C2%AB-des-d%C3%A9lits-et-des-peines-%C2%BB-de-cesare-beccaria

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