"Oh ! je fus comme fou dans le premier moment…"
Question d’oral : Par quels procédés d’écriture Victor Hugo parvient-il à communiquer le sentiment d’une souffrance qui l’a conduit jusqu’aux limites de la folie ?
Introduction :
- Présentation du texte : le recueil, le 4° livre Pauca Meae, le sens de ce titre et l’organisation des poèmes dans ce livre.
- Lecture du poème.
- Position du sujet (reprise de la question) : Le sentiment dominant exprimé par ce poème : une souffrance allant jusqu’à la folie.
- Annonce d’un plan : centré sur ces deux mots-clés.
I – L’expression de la souffrance :
- champ lexical de la souffrance : le verbe souffrir ( 2 fois au vers 4) ; le verbe éprouver (2 fois au vers 5) ; le verbe pleurer (vers 2) et son double complément insistant sur la profondeur du désespoir : « trois jours amèrement » (vers 2).
- champ lexical de l’horreur : terrible (v.6) ; « horrible » (v.7) ; un peu plus loin l’oxymore « affreux rêve ». A ce champ lexical, on peut ajouter l’impression violente produite par la précision crue du vers 6 qui suscite efficacement l’imagination du lecteur : « Je voulais me briser le front sur le pavé » ; noter la phonétique du vers : verbe de volonté suivi des digraphes /br/ et /fr/ qui produisent des sons durs.
- champ lexical de la révolte et du refus : je me révoltais (v.7), je n’y croyais pas (v.9) ; elle ne pouvait pas m’avoir ainsi quitté » (v.13) ; « c’était impossible » (v.15).
- mise en relief des mots-clés par la syntaxe et la versification : procédés de répétition : « souffert ma souffrance » (v.4) ; « Tout ce que j’éprouvais, l’avez-vous éprouvé ? » (v.5)
localisation sous l’accent tonique à l’hémistiche : fou (v.1), pleurai (v.2), prit (v.3), révoltais (v.7) ou à la rime : amèrement (v2) ; souffrance ( en antithèse avec espérance, v.3-4) ; éprouvé (v.5) ; terrible / horrible (v.7-8).
- Fonction expressive de l’exclamation : 11 points d’exclamation dans le poème. Des interjections : oh ! (v.1 et 17) ; hélas ! (v.2) ; Non ! (v.9). Des phrases impératives (quatrain final). Ces exclamations sont un moyen de donner par endroits à la phrase la brièveté et la violence de la plainte, du cri.
- Fonction expressive de l’interrogation rhétorique (passage des vers 3 à 5) : Hugo s’adresse à certains de ses lecteurs qui auraient pu vivre la même souffrance que lui, c’est une façon de quêter une aide, une consolation, de lutter contre la solitude où sa souffrance le condamne.
L’ensemble de ces procédés contribue à développer la tonalité pathétique du texte : le poète expose sa souffrance et souhaite provoquer chez le lecteur une sympathie, une compassion.
II – L’expression de la folie :
a)Une succession désordonnée de sentiments divers (étude du plan du texte) : la désorientation du locuteur est d’abord sensible au caractère décousu du discours, qui met bout à bout des sentiments ou des nuances de sentiments divers, des mouvements intérieurs parfois contradictoires et généralement inaboutis :
n les 5 premiers vers expriment l’abattement, la tristesse, une quête pathétique de compassion
n le vers 6 laisse percer tout d’un coup une pulsion violente de mort ou d’automutilation
n les vers suivants, reliés-séparés des précédents par un « puis » (v.7) expriment au contraire une volonté de réagir, une révolte, qui débouche sur un début de réflexion métaphysique (v.10-11). : Dieu a-t-il permis cette mort et dans ce cas il est un Dieu mauvais, ne l’a-t-il pas autorisée et dans ce cas Léopoldine est vivante ?
n Mais cette réflexion tourne court, ou plus exactement, elle se continue sur un autre registre, celui de la vision, de l’hallucination introduite par « Il me semblait » (vers 12)
n Enfin, après un saut de ligne, le passage du discours indirect au discours direct, de l’imparfait au présent installe progressivement le locuteur dans la folie hallucinatoire.
L’impression d’ensemble produite par le mouvement du texte est celle d’un discours quelque peu désordonné consécutif au choc subi par le locuteur, désordre mental qui s’aggrave progressivement pour arriver jusqu’à une sorte de folie hallucinatoire.
b)Les instruments stylistiques utilisés par V.H pour exprimer cette marche à la folie.
Certains choix stylistiques contribuent fortement à suggérer cette impression de désordre mental que nous venons d’analyser.
► l’alternance de la narration et du discours direct : le texte est un récit au passé (passé simple / imparfait) mais à trois reprises, la narration est interrompue pour laisser la place au discours direct: v. 3-5 (le narrateur s’adresse au lecteur) ; v.9 – 10 – 11 (ce n’est plus Hugo le narrateur qui parle mais Hugo le personnage qui en quelque sorte parle tout seul, réfléchit à voix haute) ; enfin au vers 17, à partir de « Silence ! elle a parlé… », c’est toujours Hugo le personnage qui s’adresse à un destinataire anonyme, qui semble être présent à ses côtés dans sa maison. Cette alternance permet de dramatiser le texte et participe à l’effet de discontinuité qui mime la marche à la folie.
► la valeur expressive de l’imparfait et de la coordination dans les vers 6 à 9 : tous les verbes de ce passage (je voulais, je me révoltais, je fixais mes regards, je n’y croyais pas, je m’écriais) désignent des mouvements intérieurs et sont conjugués à l’imparfait. Il s’agit d’un imparfait de répétition qui indique au lecteur que ces mouvements de l’âme, pensées obsédantes, pulsions soudaines ou révoltes, ne ce sont pas produits seulement une fois mais se sont répétés pendant une longue période indéterminée. La multiplication des coordonnants : « puis », « et » (3 fois) concourt au même effet cumulatif.
► la syntaxe répétitive des vers 12-16 : cette longue phrase commence par la proposition principale « Il me semblait » suivie de cinq propositions conjonctives introduites par « que ». Cette structure anaphorique convient bien à renforcer le sens du texte qui, à cet endroit, décrit l’installation progressive de l’idée fixe. La répétition existe tout autant dans le sens du texte que dans sa forme : v.13 : idée du refus de la réalité ; v.14 : hallucination ; v.15 : répétition du refus ; v.16 : de nouveau l’hallucination. L'impression produite est celle d'un mouvement cyclique, d'une pensée qui tourne en rond, du retour obsessionnel de certaines idées fixes dans l'esprit troublé du poète.
► le saut de ligne après le vers 16 : dans ce poème sans strophes, constitué d’une suite d’alexandrins en rimes plates, Hugo a ménagé un saut de lignes qui isole le « quatrain » final. Il marque sans doute par là le moment du saut dans l’imaginaire.
► La valeur expressive du discours direct et du présent dans le « quatrain » final : On peut rapprocher ce saut de ligne de deux autres indices stylistiques : le passage de l’imparfait au présent ; le passage du style indirect au style direct . Dans les vers précédents le saut de ligne, « Il me semblait que… » rapporte des pensées de l’auteur par le moyen de propositions subordonnées. Dans les vers suivants, le style direct fait son apparition, sans guillemets mais annoncé par les deux points et confirmé par le remplacement de l’imparfait par le présent de l’impératif et de l’indicatif. Cette progression mime le saut dans l’imaginaire : nous ne sommes plus dans la supposition (verbe « sembler ») mais dans la conviction que Léopoldine est encore vivante. L’usage du présent sert à exprimer la présence réelle de la jeune fille (« elle vient »). Le discours direct par lequel Hugo s’adresse à un personnage imaginaire (« tenez » ; « attendez » ; « laissez-moi ») donne corps à l’hallucination, dramatise la scène. Cette fin confirme une tendance à la « théâtralisation » du récit, déjà présente à travers les divers effets d’oralité apportés par le discours direct tout au long du texte.
Conclusion :
- Récapituler ce qu’on a démontré : un poème dramatique et touchant, d’une grande force ; nous avons essayé d’analyser de façon détaillée les moyens littéraires de cette expressivité.
- Elargir : ce texte est un bon exemple d’une poésie « lyrique », c’est à dire d'une poésie en prise sur l’expérience personnelle de l’auteur. Ici, le poète confie ses sentiments au lecteur par l’intermédiaire du poème, la création littéraire l’aide à faire son deuil. C’est ce qu’on comprend parfaitement quand on lit le livre IV des Contemplations : placé au centre du recueil, il permet à Hugo de reconstituer les étapes de sa souffrance, de la révolte initiale qui transparaît dans le poème que nous venons d’étudier jusqu’à l’acceptation exprimée par le célèbre poème « A Villequier ».
source : http://www.matisse.lettres.free.fr/contemplations/laohjefucommefou.htm
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