« Le contraire d’un fait quelconque est toujours possible, car il n’implique pas contradiction et l’esprit le conçoit aussi facilement et aussi distinctement que s’il concordait pleinement avec la réalité. Le soleil ne se lèvera pas demain, cette proposition n’est pas moins intelligible et elle n’implique pas plus contradiction que l’affirmation : il se lèvera. Nous tenterions donc en vain d’en démontrer la fausseté. »
David Hume, Enquête sur l’entendement humain, section IV.
Autrement dit
Il existe une différence fondamentale entre les énoncés des mathématiques, qui sont vrais dans tous les mondes possibles (car déduits « par la seule opération de la pensée »), et les associations de faits (tel phénomène engendre tel autre phénomène), qui peuvent toujours être infirmées par l'expérience. L'habitude pourtant nous pousse à confondre les deux, et à considérer comme nécessaire une connexion que nous avons toujours constatée par le passé. Ainsi, parce que nous voyons le soleil se lever tous les matins, nous en inférons, à tort, qu'il se lèvera demain en toute certitude. Mais ce n'est là qu'un audacieux pari, car rien ne prouve que les choses se passeront demain comme elles se sont toujours passées. Premier doute sceptique portant sur les vérités empiriques : l'expérience ne saurait fonder aucune certitude.
Toutes les poules sont bêtes
Cette critique du raisonnement inductif est célèbre; on sait qu'elle a tiré Kant de son « sommeil dogmatique ». C'est nous qui, à partir d'observations maintes fois répétées, établissons un lien de causalité entre l'heure matinale et le lever du soleil, laisse entendre ici Hume; mais ce lien ne réside pas dans les faits eux-mêmes. Un cataclysme pourrait tout aussi bien faire exploser le soleil (ou alors la Terre)… Bertrand Russell ironisera à son tour sur notre tendance à transformer nos observations particulières en lois universelles : la poule associe rapidement les pas du fermier à la nourriture qu'il lui apporte… jusqu'au jour où celui-ci vient lui tordre le cou ! Au-delà du soupçon formulé contre les prétentions de la science — laquelle doit désormais assumer sa part de croyance —, Hume nous invite à nous méfier des généralisations que nous tirons abusivement de quelques faits singuliers : celles-ci en disent souvent davantage sur nous-mêmes que sur les faits en question.
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