"Je suppose donc que toutes les choses que je vois sont fausses; je me persuade que rien n’a jamais été de tout ce que ma mémoire remplie de mensonges me représente; je pense n’avoir aucun sens; je crois que le corps, la figure, l’étendue, le mouvement et le lieu ne sont que des fictions de mon esprit. Qu’est-ce donc qui pourra être estimé véritable ? Peut-être rien autre chose, sinon qu’il n’y a rien au monde de certain. Mais que sais-je s’il n’y a point quelque autre chose différente de celles que je viens de juger incertaines, de laquelle on ne puisse avoir le moindre doute ? N’y a-t-il point quelque Dieu, ou quelque autre puissance, qui me met en l’esprit ces pensées ? Cela n’est pas nécessaire, car peut-être que je suis capable de les produire de moi-même. Moi donc à tout le moins ne suis-je pas quelque chose ? Mais j’ai déjà nié que j’eusse aucun sens ni aucun corps. J’hésite néanmoins, car que s’ensuit-il de là ? Suis-je tellement dépendant du corps et des sens que je ne puisse être sans eux ? Mais je me suis persuadé qu’il n’y avait rien du tout dans le monde, qu’il n’y avait aucun ciel, aucune terre, aucuns esprits, ni aucuns corps; ne me suis-je donc pas aussi persuadé que je n’étais point ? Non certes, j’étais sans doute, si je me suis persuadé, ou seulement si j’ai pensé quelque chose. Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n’y a donc point de doute que je suis, s’il me trompe; et qu’il me trompe tant qu’il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu’après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce ou que je la conçois en mon esprit."
DESCARTES, Méditations métaphysiques (1641), 2ème méditation
– Quel est le thème du texte? (de quoi parle le texte?) : après avoir remise en cause toutes ses certitudes, le sujet fait l’expérience de quelque chose dont il est impossible de douter.
– Quelle est la thèse du texte? (que veut démontrer l’auteur?) : La pensée implique l’existence. Si je pense, alors je suis un sujet.
Descartes découvre le raisonnement suivant :
Si quelque chose pense, quelque chose existe. Or, si je doute, je pense, donc j’existe.
– Quels sont les enjeux du texte? :
1/ Premier enjeu : fin du doute hyperbolique, systématique et volontaire. Une vérité indubitable a été découverte au sein de ce doute (donc : ce doute était méthodique, il constituait une méthode pour trouver cette première vérité). A partir de cette première vérité, il pourra retrouver toutes les autres.
2/ Second enjeu : Descartes fait l’expérience d’une vérité indubitable : Je pense, donc je suis
Problématique du texte :
En quoi l’acte même de douter supprime le doute sur mon existence ?
I. Première étape argumentative :
Prolongation du doute hyperbolique à la totalité des objets. Ce n’est pas dans le champ des objets que l’on trouvera de l’indubitable. (1er§).
→ Descartes applique le doute à la totalité des objets :
“Je suppose donc que toutes les choses que je vois sont fausses; je me persuade que rien n’a jamais été de tout ce que ma mémoire remplie de mensonges me représente; je pense n’avoir aucun sens; je crois que le corps, la figure, l’étendue, le mouvement et le lieu ne sont que des fictions de mon esprit.”
→ Un progrès néanmoins : la seule chose certaine est qu’il n’y a au monde rien de certain.
“Qu’est-ce donc qui pourra être estimé véritable ? Peut-être rien autre chose, sinon qu’il n’y a rien au monde de certain.”
II. Deuxième étape argumentative :
la méthode du doute est retourné du monde des objets vers le sujet lui même
→ Toutes les choses, extérieures à moi ou intérieure (qui viennent de ma mémoire et de ma sensation) sont révoquées en doutes. Que reste-t-il? Ce qui met en moi ces pensées, c’est-à-dire ce qui est à l’origine de mes pensées.
“Mais que sais-je s’il n’y a point quelque autre chose différente de celles que je viens de juger incertaines, de laquelle on ne puisse avoir le moindre doute ? N’y a-t-il point quelque Dieu, ou quelque autre puissance, qui me met en l’esprit ces pensées ? ”
→ Serais-je moi même à l’origine de mes pensées?
“Cela n’est pas nécessaire, car peut-être que je suis capable de les produire de moi-même.”
→ Puis-je alors douter de mon existence?
“Moi donc à tout le moins ne suis-je pas quelque chose ? Mais j’ai déjà nié que j’eusse aucun sens ni aucun corps. J’hésite néanmoins, car que s’ensuit-il de là ? Suis-je tellement dépendant du corps et des sens que je ne puisse être sans eux ? Mais je me suis persuadé qu’il n’y avait rien du tout dans le monde, qu’il n’y avait aucun ciel, aucune terre, aucuns esprits, ni aucuns corps; ne me suis-je donc pas aussi persuadé que je n’étais point ? ”
Troisième étape argumentative :
La pensée implique l’existence du sujet
→ Puis-je raisonnablement douter de mon existence?
“Non certes, j’étais sans doute, si je me suis persuadé, ou seulement si j’ai pensé quelque chose.”
→ L’hypothèse du malin génie elle-même ne peut me faire douter de mon existence. Au contraire, c’est grâce à elle que je découvre avec certitude l’impossibilité de douter de mon existence.
“Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n’y a donc point de doute que je suis, s’il me trompe; et qu’il me trompe tant qu’il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose.”
→ La pensée implique l’existence.
“De sorte qu’après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce ou que je la conçois en mon esprit.”
Ainsi, à la question « qui suis-je », Descartes peut répondre :
« Je connus de là que j’étais une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser, et qui, pour être, n’a besoin d’aucun lieu, ni ne dépend d’aucune chose matérielle. En sorte que ce moi, c’est-à-dire l’âme par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps, et même qu’elle est plus aisée à connaître que lui, et qu’encore qu’il ne fût point, elle ne laisserait pas d’être tout ce qu’elle est ».
DESCARTES, Discours de la méthode
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