Non pas un simple état des lieux/lieues mais un coup de maître
Loïc Depecker avait autrefois fait paraître aux éditions Paris ; Bruxelles : l’Alliance parnassienne (2004) un Arthur Rimbaud, journal qui n’avait sans doute pas reçu le succès escompté.
Ce “Rimbaud de soleil et de glace” empruntait lui aussi ses lettres de noblesse à celles du gamin de Charleville qu’on appellerait plus tard, pour son aptitude à la pérégrination urbi et orbi, “L’Homme aux semelles de vent”.
Un irrésistible attrait pour les ailleurs qui amène celui qui va révolutionner les règles académiques de la poésie du Parnasse à s’installer jusqu’en Ethiopie, notamment au service de la maison Mazeran, Bardey et Cie, là où, perclus par la maladie, l’insupportable chaleur et les soucis financiers il renoncera à toute velléité poétique en s’exténuant à la tâche pour gagner son pénible pain quotidien.
C’est ce “journal” tenu par le sieur Rimb à partir d’ avril 1891, lorsqu’il repart pour Marseille atteint de la gangrène qui l’emportera, que Loïc Depecker modélise en fonction des témoignages de ses contemporains et des lettres du poète, auxquels il mêle cum grano salis tels ou tels vers afin de les “contextualiser” (nous mettons des guillemets) et de les éclairer ainsi d’un jour nouveau — ou en tout cas plus prosaïque.
S’ouvre alors sous nos yeux la vie même de l’adolescent fugueur et éternel rebelle, que l’auteur resitue et restitue avec maestria, en n’hésitant pas à nous soumettre des écrits souvent factuels et ô combien anecdotiques, ignorés du grand public et des amateurs du poète, qui donnent à penser l’âpreté de son existence — et pour tout dire, loin des fulgurance de sa jeunesse : son énigme — , une fois le rejet du dire poétique/esthétique assumé.
Imbriquant étroitement les textes véraces de référence et les ressentifs fictionnels sinon fictifs de Rimbaud au gré de ses errances, Loïc Depecker propose là plus que de retracer le cheminement géographique de l’auteur des Illuminations: il nous emporte sans coup férir dans son cheminement psychologique voire mystique, ses contradictions et ses humeurs féroces en diable.
Spectaculairement habité par l’alchimie du verbe rimbaldien ici en acte, ce n’est pas un simple état des lieux/lieues, c’est un coup de maître.
frederic grolleau
Loïc Depecker, Journal de Rimbaud, Hermann, collection : Vertige de la langue, 20 mai 2020, 252 p. — 25,00 €.
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