Ecouter une analyse philo du film
À voir évoluer reclus entre quatre murs une mère et son fils comme dans la première partie de Room, il est loisible d’imaginer Lenny Abrahamson cherchant à allégoriser le totalitarisme latent de la famille, à grossir la réalité du quotidien d’une mère au foyer pour mieux en déplorer les travers (l’amour oppressif, les corvées qui aliènent, le sexe machinal confinant au viol mais en apparence délesté de toute dimension morale). Une rhétorique que l’on rangerait alors volontiers dans la veine de Yorgos Lanthimos, et notamment de Canine (2009). Mais si cette vie se réduisant à sa substance la plus prosaïque singe bel et bien quelque part une forme de fascisme larvé dans les relations familiales - en principe inconditionnelles -, Room adopte petit à petit un regard plus terre-à-terre. Cette situation de claustration pour Ma pourrait certes n’être qu’un symbole revenant à aborder le risque d’une vie manquée. Pourtant, cet enfermement revêt à l’inverse chez Jack des possibilités infinies : c’est que le garçon n’a jamais connu le monde extérieur, ayant vu le jour lorsque sa mère était déjà captive. Inconsciemment, l’histoire du comte de Monte Cristo que lui raconte Ma lui permet de s’évader mentalement de cette prison. Or, très vite, le point de vue de la narration épouse exclusivement celui de Jack, et ce que l’on prenait initialement pour un pamphlet virulent contre la famille se mue en une initiation au monde qui, bien que délicate, s’avère envers et contre tout atteignable. Le petit homme va comprendre que la télévision - allusion aux ombres du Livre VII de La République - n’est pas juste une machine dont les images renvoient exclusivement à un imaginaire intangible, ou que la lucarne au travers de laquelle il aperçoit le ciel ne se situe pas aux confins du possible. Tout Room revient alors à appréhender ce qui se cache au-delà des parois de la chambre, dont le lit, l’armoire et les chaises sont perçus par Jack comme autant de planètes.
Cet univers vécu comme un enfer par la mère, et comme un cocon providentiel par l’enfant, est parfois pénétré par un geôlier-violeur. Celui-ci, possible représentation d’un père monstrueux et cruel - sorte d’ogre, outre son statut de déséquilibré -, accède au monde de Jack via une porte que seul un code permet d’ouvrir. C’est cette ouverture potentielle sur un nouvel espace que va peu à peu assimiler le garçon. Évidemment, Abrahamson, qui adapte ici un roman éponyme d’Emma Donoghue, s’en remet à l’allégorie de la Caverne pour filer la métaphore. Partant de la théorie des formes de Platon, il place le spectateur devant le vertige d’un monde distinct de celui que Jack considérait comme sa réalité. Cette problématique métaphysique et ontologique va donc opérer un revirement chez le jeune garçon, chez qui va se substituer un nouvel horizon des possibles, et donc une nouvelle abstraction illimitée. Malheureusement, si l’idée du scénario ne manque pas d’à propos et de pertinence, la mise en scène de cette échappée sous le signe de l’apprentissage (pour Jack) et de la résilience (pour Ma) se révèle quelconque. Un comble, pour une histoire qui supposait, sinon de l’emphase, une certaine musicalité dans le montage et le cadrage.
Résultat, la seconde partie hors les murs se montre creuse, impersonnelle, et au mieux conforme aux exigences artificielles de nombreux festivals indépendants. La tentative de monter en parallèle le traumatisme naissant de Ma, et l’éveil (façon L’enfant sauvage) de Jack auprès de sa grand mère ne fonctionne qu’à moitié, de même que toute l’importance accordée à la psychologie des personnages. Certains loueront peut-être la performance des acteurs, Brie Larson et Jacob Tremblay en tête. Mais il s’agit avant tout d’une manière de s’accommoder du cahier des charges des Oscars, au même titre que les précédents métrages d’Abrahamson (Frank, What Richard Did...) . Reste malgré tout une scène forte au bout du compte, lorsque des flocons de neige commencent à recouvrir en plan d’ensemble la cabane de jardin où Jack et sa mère étaient prisonniers quelques mois auparavant, purifiant dans le même temps symboliquement l’enfant et sa mère revenus sur les lieux pour s’exorciser. Pour la première fois du film, la caméra englobe un espace dans sa totalité, après avoir fragmenté les lieux et les corps sans relâche. Sans doute faut-il y voir là l’aboutissement d’une initiation douloureuse au monde, et donc d’une libération. Une envolée lyrique très juste, mais que le spectateur aura guetté avidement pendant près de deux heures.
source : https://www.avoir-alire.com/room-la-critique-du-film
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