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​​​​​​​L’hypocrisie, entre vice et vertu 

Publié le 23 Septembre 2020, 10:20am

​​​​​​​L’hypocrisie, entre vice et vertu 

L’hypocrisie est l’hommage que le vice rend à la vertu. 

L'une des plus célèbres pensées de La Rochefoucauld. On la trouve classée sous le n° CCXVIII dans la cinquième édition des Maximes et réflexions morales (1678), reproduite dans les Grands écrivains de la France, et sous le n° 223 dans un certain nombre d'éditions.

Rousseau, dans sa Réponse au roi de Pologne (1751 ou 1752), protestait énergiquement contre la vérité de cette maxime.

« C'est une chose très commode pour les vicieux, disait-il, que toutes les maximes qu'on nous débite depuis longtemps sur le scandale. Si on les vouloit suivre à la rigueur, il faudroit se laisser piller, trahir, tuer impunément, et ne jamais punir personne : car c'est un objet très scandaleux qu'un scélérat sur la roue. Mais l'hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu. Oui, comme les assassins de César, qui se prosternoient à ses pieds pour l'égorger plus sûrement. Cette pensée a beau être brillante, elle a beau être autorisée du nom célèbre de son auteur, elle n'en est pas plus juste. Dira-t-on jamais d'un filou qui prend la livrée d'une maison pour faire son coup commodément, qu'il rend hommage au maître de la maison qu'il vole ? »

On pourrait, répondre à Rousseau que celui qui veut gagner l'estime des autres en prenant le masque de la vertu, n'a pas nécessairement l'intention de faire un mauvais coup. Mais il y aurait à discuter à porte de vue sur un sujet aussi délicat.

Nous ne pensons pas que cette maxime ait été « dansée », selon la plaisante conception de Chamfort, se moquant du chorégraphe Noverre, mais elle a eu l'honneur d'être mise en vers par l'abbé Aubert, dans sa fable le Chat :

L'hypocrisie est un hommage
Que rend le vice à la vertu.

(Fables nouvelles, édit. de 1774, livre VI, fable x.)

On lit dans la Correspondance littéraire de Grimm, en février 1786, ce mot d'un éloquent prédicateur de ce temps :

« La vertu dans ce siècle est si décriée qu'il n'y a plus d'hypocrisie. »

Voilà une parole qui devait bien quelque chose à La Rochefoucauld !

 

source : https://www.dicoperso.com/term/395,10,xhtml 

 

De prime abord, ce vieux dicton peut paraître obscur.  Il signifie que l’hypocrite, en déguisant ses vices et en tâchant de paraître vertueux, reconnaît à sa manière la supériorité de la vertu sur le vice, puisqu’il préfère qu’on le prenne pour vertueux, alors même qu’il ne l’est pas et le sait très bien.

On peut toutefois se demander si dans un monde où les notions de vice et de vertu sont devenues bien floues, voire ont été quasiment abolies, il y a encore une place pour l’hypocrisie.  Dans ce monde qui n’est même plus immoral, mais amoral, où les notions de bien et de mal s’estompent à grandes enjambées, où tout se vaut et donc où rien ne devrait plus être qualifié de vicieux, il n’y a plus de place pour l’hypocrite, dans la mesure où il n’existe plus aucune façade, plus aucune barrière.  Pourquoi donc faudrait-il se déguiser ?

Définir l’hypocrisie, sur quel fondement ?

Et pourtant, aujourd’hui, l’hypocrisie est dénoncée en boucle par les uns et les autres sur tous les modes et dans tous les médias, particulièrement en ce qui concerne les affaires de scandales sexuels, dont l’actualité regorge: viols, pédophilie, harcèlement sexuel dans le monde professionnel, exhibitionnisme sur les réseaux sociaux ou divulgation de vidéos censées rester privées, que sais-je encore.  Sans vouloir limiter ici le champ d’application de l’hypocrisie à cette sphère bien particulière, on la prendra pour repère dans la mesure où elle fait justement l’objet de tant de discours publics.  Or, si elle est dénoncée à tout va, c’est que l’hypocrisie n’est pas morte, ni même à l’agonie !  Peut-être tente-t-elle de se cacher, il faut donc aller la débusquer et la mettre en lumière, ce à quoi s’attacheront avec toute l’énergie dont ils sont capables des détecteurs et décrypteurs d’hypocrisie. Or c’est là que se situe le dilemme: par rapport à quelle norme réelle ou supposée est-on hypocrite ? S’il n’y a aucun accord sur cette norme, comment pouvons-nous accuser un tel d’être un hypocrite? Il faudra bien se mettre quelque part d’accord sur ce que signifie l’hypocrisie et sur ce qui la définit précisément.  

Suffit-il de ne pas vivre en accord avec ce que l’on professe pour être dénoncé comme hypocrite?  Dans ce cas, tout pervers assumé arrêtant momentanément d’agir de manière perverse devrait être taxé d’hypocrite.  A l’opposé, il est courant de voir toute personne qui maintient fermement son attachement à des normes éthiques transcendantes, comme le Décalogue, soupçonnée d’emblée d’hypocrisie, pire, de « puritanisme », insulte suprême en France, d’autant que le terme renvoie au monde anglo-saxon, qu’on aime bien faire passer chez nous pour essentiellement hypocrite. Cela nous permet sans doute de nous dédouaner à bon compte de nos propres vices… Mais demandez donc à ceux qui utilisent les mots « puritain » ou « puritanisme » avec l’intention de caractériser la plus laide des hypocrisies, s’ils ont jamais lu un seul auteur puritain du dix-septième siècle – John Owen ou Richard Baxter, pour n’en citer que deux –, voire s’ils ont jamais entendu parler d’un seul auteur puritain de cette époque.  Ils en seront bien en peine (ne sachant déjà distinguer entre « puritanisme » et « victorianisme »). Est-ce faire preuve d’un esprit critique chagrin que de demander sur quoi exactement repose ce jugement moral par excellence qui consiste à dénoncer toute forme de puritanisme ?  Cela ne peut être assurément qu’au nom d’un idéal du beau et du bien infiniment supérieur à celui des puritains tels qu’on les imagine (ou fantasme) et qu’on dénonce. Mais à quoi exactement ressemble donc cet idéal de la vérité, du bien, de la transparence qu’on avance pour s’opposer à sa caricature supposée?

Lutter sincèrement, dans l’humilité devant son Dieu, contre telle ou telle tentation, contre des pulsions qu’on sait non seulement nocives pour soi-même ou pour son prochain, mais surtout détestables aux yeux du Seigneur que l’on sert, constitue-t-il en soi une tartufferie caractérisée, une tromperie vis-à-vis de soi-même et surtout des autres?  Certes, sans doute aux yeux du marquis de Sade, lui que certains milieux qualifient volontiers de « divin marquis » nous ayant appris, et bien d’autres à sa suite, à vivre au-delà du bien et du mal.  Les hypocrites seraient alors par définition les « attardés » qui se réfèrent encore à une norme transcendante, sans savoir ou pouvoir la mettre en pratique, tandis que ceux qui s’en sont libérés, eux, ne sauraient par définition jamais être taxés d’hypocrisie;  la nouvelle béatitude devenant alors : « bienheureux ceux qui ne connaissent ni le bien ni le mal ». Qu’il serait facile – et futile – de se réfugier derrière un tel faux-semblant.  Les affaires mises en exergue par les médias, les torrents d’indignation déversés à droite ou à gauche, témoignent bien de ce que quelque part, quelque chose comme la conscience est mis à mal.  Un prurit de pureté est à l’œuvre, qui mérite bien qu’on se demande quels en sont les tenants et les aboutissants car il s’oppose au relativisme global évoqué plus haut, dont il semble essayer de s’extirper.

Par ailleurs, peut-on être dénoncé comme hypocrite sans qu’aient été avancés des témoignages incontestables d’une contradiction insupportable entre vie cachée et paroles publiques, entre la réalité et l’apparence? Dans le cas contraire, ne se rend-on pas coupable de faux-témoignage envers son prochain ? Et que fait-on de ceux qui intervertissent les notions de bien et de mal en prétendant qu’elles ne peuvent être définies comme elles l’étaient jadis, et qui, au nom de cette inversion/perversion, commettent des crimes hideux tout en se réclamant de leur propre notion du bien (est bien ce que je considère bon pour moi)?  Quelle réponse donner à ceux et celles qui prétendent que ces notions de bien et de mal sont destinées à tourner comme une girouette au gré des vents changeants de la mode culturelle? On se justifiera à bon compte en soutenant qu’à l’époque on ne considérait pas cela comme si mal, c’était acceptable, aujourd’hui c’est devenu inacceptable – dont acte – le tout en espérant secrètement que, le vent ayant à nouveau tourné demain ou après-demain, la girouette nous indiquera que c’est redevenu acceptable, et que les lendemains printaniers qui sifflotent sont de nouveau avec nous.  Et puisqu’on en est à « décrypter », les décrypteurs professionnels s’efforceront de décrypter les hiéroglyphes du vice et de la vertu, les arcanes météorologiques des dépressions et des anticyclones qui les font venir ou les détournent de notre paysage sociétal et culturel.

Il est cependant un point que l’on ne soulève guère dans tous ces débats et invectives sur l’hypocrisie en matière sexuelle: on ne peut à la fois se faire le défenseur inconditionnel de notre héritage gréco-romain,  avec sa tradition d’homosexualité et d’éphébophilie depuis Le Banquet de Platon, tradition dont se sont réclamés nombre de littérateurs ou d’artistes au nom de cette même civilisation, au nom aussi d’une liberté jouissive sans entraves pour l’individu-roi libéré des vieux préjugés moralisants; et en même temps se réclamer de l’héritage judéo-chrétien, qui nous a tout autant marqués, n’en déplaise aux négateurs de mauvaise foi. Athènes ou Jérusalem, sur un certain nombre de sujets, il faut choisir. Les contorsions dialectiques prétendant réunir des thèses et des antithèses bel et bien irréconciliables en synthèses qui seraient acceptables pour la raison, ont amplement démontré leurs limites. (...)

https://www.foietviereformees.org/hypocrisie-vice-vertu-a-lumiere-de-levangile/

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