Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu plus avant de renvoyer les images.
Le sang d’un poète, Jean Cocteau, 1930
Je suis votre miroir, la Belle. Réfléchissez pour moi, je réfléchirai pour vous.
La Belle et la Bête, Jean Cocteau, 1946
Avec ces gants vous traverserez les miroirs comme de l’eau. Il ne s’agit pas de comprendre, il s’agit de croire.
Francois Périer dans le rôle de Heurtebise. Orphée, Jean Cocteau, 1950
La symbolique des miroirs est riche et variée : tour à tour passage, fenêtre, révélateur ou encore piège, le miroir est objet mythique et plus encore objet magique. Les contes en ont fait bon usage : de Blanche-Neige[1] à Peau d’Âne[2] en passant par La Belle et la Bête[3], le miroir avait bonne place. Chez la première, il était porteur de la Vérité. Pour les deux autres, il était fenêtre sur le monde extérieur, leur montrant ce à quoi elles n’avaient pas ou plus accès : l’insaisissable… Tout le monde se souviendra aussi qu’il servit de passage dans le seconde volet dédié à la célèbre Alice[4]. Un thème récurrent dans bien des ouvrages et des œuvres comme dans le film Orphée de Jean Cocteau. Muni de gants magiques, Orphée, interprété par Jean Marais, avait le pouvoir de traverser les miroirs. Pour Alice comme pour Orphée, il était question de découvrir des mondes imaginaires imaginés où l’illusion n’a de rivale que la poésie de l’espace réflexif devenu espace « expérimentatif ».
Le miroir est aussi piège à oiseaux. C’est au milieu des volatiles qu’est née l’expression fort imagée du « miroir aux alouettes ». Ce qui était objet utile à la chasse s’est transformé en expression populaire. Un piège à « bécasses », une attitude malveillante, un jeu de dupes : le miroir est trompeur à ses heures et par son jeu subtil de reflets, il incline à nous montrer ce qu’il veut bien nous livrer. La vérité est voisine du mensonge! Comment être sûr alors que le miroir de la belle-mère de Blanche-Neige ne s’amusait pas à lui révéler une Vérité… arrangeante (et de ce fait arrangée) ?
Enfin dans nombre de civilisations, on confère au miroir des pouvoirs magiques. La divination par les miroirs utilisés en des époques reculées est encore d’actualité. La catoptromancie est réalisée avec l’aide d’une surface réfléchissante : un plan d’eau peut très bien faire l’affaire! Quelques écritures, quelques reflets étrangement bien ou mal placés selon le point de vue et la Vérité peut être révélée, une vérité placée sous le signe de l’interprétation aussi déformée que peuvent l’être ces miroirs qui se veulent divertissants. Les rituels ne s’arrêtent pas à une « voyance sacrée ». Dans les traditions populaires, les jeunes filles célibataires désireuses de découvrir le visage de leur futur époux devaient se placer face à un miroir, bougie en main pendant les douze coups de minuit. Certains écrits disent que le procédé doit avoir lieu à la nuit de Halloween, d’autres durant la dernière nuit de l’année. À l’épiphanie, vous pourrez de la même façon vous découvrir à l’heure de votre mort… Il est certain que le miroir fascine autant qu’il réfléchit. Et c’est de cette fascination que le miroir tire tous ses pouvoirs.
Comme précédemment dit, le miroir est un objet symbolique puissant et onirique. Le miroir : objet-passage, porte vers des infinis! Il laisse passer la lumière pour mieux la restituer dans ses images. On y passe des heures à se regarder tout au long d’une vie sans jamais les user. On y voit magie et poésie, temps qui passe et temps qui reste. Objet double du temps d’avant et du temps présent : vieilli et piqué par le temps, il prend sa revanche en réfléchissant nos traits vieillissants. Il se passe toujours quelque chose dans le cadre du miroir, en notre présence ou en notre absence. L’image est en mouvement même de la façon la plus imperceptible. Mais comment savoir sans regarder le miroir? Et c’est peut-être là que se cache sa magie, dans l’insaisissable. Il contient un monde en symétrie axiale identique en tout point au nôtre sans jamais être vraiment le nôtre.
Parcourir la Galerie des Glaces est une expérience architecturale puissante qui ne laisse jamais indifférent. À chaque heure, la Galerie se transforme : claire ou d’or, sa lumière est fascinante. En architecture, l’utilisation des miroirs est particulière. Il reste très peu de cabinets de glaces : ces endroits prestigieux étaient ornés de miroirs magistraux. À l’époque, le miroir était un privilège. Aujourd’hui, les miroirs sont partout à commencer dans nos salles de bain. Le culte du corps y est-il pour quelque chose? Quoi qu’il en soit, le miroir agrandit les espaces et les rend lumineux. Il ne dédouble pas l’espace, il ne le multiplie pas en surface. Il l’agrandit et le rend multiple dans sa perception : il l’ouvre sur un autre point de vue. Nombre d’artistes ont utilisé les miroirs pour la réalisation de leurs œuvres. C’est d’ailleurs avec plaisir que j’ai un jour découvert l’installation de l’artiste japonaise Yayoi Kusama. Infinity Mirror Room est un moment de grâce. Plongé dans l’obscurité, l’espace infini s’illumine de pois lumineux. Jeux de miroirs des murs au plafond et de miroir d’eau au sol, les lumières comme des lucioles en sont démultipliées à l’infini. Et notre reflet se perd au milieu de cet espace. Seul le contact de nos pieds au sol nous rappelle que nous touchons terre alors que notre esprit s’est déjà envolé dans l’immensité du cosmos.
Je vis en observant le monde sur le miroir de mon œil. La lumière le pénètre et constitue une image dans mon cerveau de ce que je perçois : vrai ou faux, qui peut le dire? Mes expériences, mon vécu, mes sensations font de moi un individu qui perçoit le monde d’une façon unique. L’accumulation de tous ces éléments formant ce que j’appelle ma mémoire a une influence considérable au quotidien sur la perception de mon environnement. « Les yeux sont les miroirs de l’âme » dit-on. Mes sens me renvoient dans un monde qui n’est ni plus ni moins que mon monde.
"Par la sensation je saisis en marge de ma vie personnelle et de mes actes propres une vie de conscience donnée d’où ils émergent, la vie de mes yeux, de mes mains, de mes oreilles qui sont autant de Moi naturels. Chaque fois que j’éprouve une sensation, j’éprouve qu’elle intéresse non pas mon être propre, celui dont je suis responsable et dont je décide, mais un autre moi qui a déjà pris parti pour le monde, qui s’est déjà ouvert à certains aspects et synchronisé avec eux. Entre ma sensation et moi, il y a toujours l’épaisseur d’un acquis originaire qui empêche mon expérience d’être clair pour elle-même" (Maurice Merleau-Ponty).
Si nous pouvions regarder en nous-mêmes, nous serions alors aspirés dans un abîme infini tel deux miroirs en face à face : une terrible confrontation qui n’en finirait plus, hypnotique et mortifère[5]. On peut comprendre alors que l’autre soit notre meilleure psyché, nous offrant une autre vue de nous mêmes, loin des reflets et proche des réflexions.
stephanie messal
1) Les Frères Grimm.
2) Charles Perrault.
3) Jeanne-Marie Leprince de Beaumont.
4) Through the looking-glass par Lewis Carroll.
5) Mythe de Narcisse dans les Métamorphoses d'Ovide.
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