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HLP 1ère : Humanités et humanité

Publié le 8 Septembre 2020, 19:29pm

Catégories : #HLP (Humanités Lettres Philo)

HLP 1ère : Humanités et humanité

Contre les fake news, les conflits et autres bouleversements humains, il nous faut revenir à la recherche de la vérité. Cette tâche impose de nouer des liens entre toutes les formes de pensée.

Les humanités font notre humanité

Pourquoi parler des «humanités» aujourd’hui, au moment où l’humanité, dans tous les sens de ce beau mot, semble perdue de vue, et jusqu’à l’humanitaire pourtant minimal («sauver les corps»), qui est désormais pris à partie en Méditerranée et qui erre de port en port sur les rives de l’Europe elle-même ? Quel lien peut-il y avoir souterrainement entre cette crise de l’idée d’humanité et ce retour fragile des humanités, dans notre paysage intellectuel, scolaire et universitaire ? Pourquoi cela se produit-il dans les domaines les plus inattendus au premier abord puisque l’on parle sans bien savoir de quoi il s’agit des humanités «numériques», «médicales» ou «environnementales», tout comme on parle aussi, et sans y réfléchir encore assez, de la démocratie numérique, sanitaire ou environnementale ? Sans doute y a-t-il d’ailleurs un lien, pour le meilleur ou le pire, le vague ou le précis, une confusion ou une boussole entre tout cela : les humanités, dans tous ces domaines, et la démocratie. Il faut y réfléchir. Quel sens peut-on donner en tout cas à ce signe, à supposer qu’il ne soit pas seulement un symptôme critique, ou un masque idéologique ?

C’est ce pluriel, les humanités, qui est le plus significatif à nos yeux. C’est que «les humanités» désignent la diversité irréductible et vitale des manières que l’humanité a de se comprendre elle-même, à travers le langage et la culture. Ce sont toutes les disciplines humaines que désigne ce pluriel, dans leur lien le plus profond. Les humanités, ce sont d’abord les savoirs humains opposés à la Renaissance au savoir des choses «divines» et avec une référence cruciale à l’Antiquité, comme au moment où les hommes ont tenté et ont réussi une première fois ce défi. L’humanisme donc.

Mais ce qui est crucial, en effet, c’est que les hommes se comprennent toujours de plusieurs façons. C’est de cela que nous retrouvons le besoin vital aujourd’hui, c’est ce qu’on veut nous arracher. On parle de «fake news», et c’est au cœur de notre actualité critique. Les hommes ont d’abord besoin, en effet, des faits. De la vérité. Et ils en sont capables. Les politologues et les idéologues qui produisent à tour de bras des fake news, eux-mêmes les dénoncent chez les autres. Ils font appel à notre besoin de vérité dont Pascal disait dans les Pensées qu’il est irréductible à tout le scepticisme, même si celui-ci est son épreuve du feu. Les hommes recherchent donc la vérité. Mais cela ne leur suffit pas et ils ne le font jamais seulement pour le savoir des faits.

Car on a besoin non seulement des faits, mais de la formulation des problèmes et de l’expression des émotions, en lien avec les faits et les savoirs. C’est l’unité même, nécessaire, de chaque moment historique et de la culture. Les faits, aujourd’hui, ce sont à nouveau des bouleversements humains, on peut même dire anthropologiques. Il y a donc les savants, qu’il faut remettre au centre du jeu. Mais il y a aussi les questionnements, la philosophie si l’on veut, mais aussi dans chaque discipline lorsqu’elle y rencontre (de manière critique) des problèmes sur les principes, les sciences humaines et sociales, et les œuvres de l’art qui expriment nos sentiments et nos passions. Tout se passe aujourd’hui comme si ces aspects des humanités, donc de l’humanité, ne communiquaient plus, comme si tout travaillait à leur isolement. Retrouvons leur lien. Relions les faits, les problèmes et les récits, car sinon on nous imposera des mensonges, des guerres et des fascinations. Perdre la diversité des humanités, c’est perdre la réalité de l’humanité.

C’est un combat qui passe aussi dans nos classes et dans notre enseignement. Ici et maintenant. Ou bien on laisse à ce mot un sens vague qui servira de repoussoir et chacun reviendra à un savoir ou à un non-savoir fermé qui arrangera bien le pouvoir manipulant les images et les émotions. Ou bien on reconnectera réellement la science, la réflexion et les œuvres autour des problèmes réels du présent, par exemple, et de manière cruciale l’environnement, la santé et le numérique. Dans l’enseignement comme dans la culture, il faut retrouver ce lien, sans avoir à l’inventer de toutes pièces, mais en partant de ce qui se fait et se dit dans chaque domaine, mais qui ne se connecte plus.

C’est notre responsabilité face aux problèmes d’aujourd’hui. Par exemple les faits, mais aussi les problèmes et les vies exprimées et passionnées des «migrants» qui sont aussi les nôtres dans un même monde. Ces différentes dimensions, sans lesquelles l’humanité se réduira à l’humanitaire ou à moins encore, face à l’inhumanité revenue et triomphante. Pour cela, il faut aussi revenir aux différents moments des humanités, où les révolutions dans le savoir sont passées par les réflexions critiques, les œuvres et le style. Reconnectons les humanités dans tous les sens, à travers des disciplines qui ne sont pas des territoires fermés, mais des angles différents et complémentaires sur une expérience humaine qui n’est plus alors un chaos ou un désert, mais un dialogue et une histoire.

 

Frédéric Worms, Libération, juin 2018

source : 

https://www.liberation.fr/debats/2018/06/14/les-humanites-font-notre-humanite_1659147 

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