La parole peut dire le vrai comme le faux. Mais le vrai ne se manifeste pas de lui-même d’où la nécessité de connaître les procédés rhétoriques au travers desquels il peut s’exprimer.
La parole n’est pas le langage ; c’est un usage personnel du langage : la force de conviction de l’orateur ajoute encore à la duplicité possible du langage. En effet, le langage tire une partie de sa signification du rapport avec le réel : les noms désignent les choses ; ces dernières constituent donc la signification des noms. Le plus simple pour expliquer la signification d’un nom peut d’ailleurs être de montrer l’objet qu’il désigne : si je ne sais pas ce qu’est un hêtre, montrer la chose sera probablement plus efficace que d’effectuer une longue description.
Cependant, les mots peuvent aussi désigner des choses qui n’existent pas dans la réalité sensible : des personnages de fiction comme Alice au Pays des Merveilles ou des idées abstraites comme la liberté. Le langage peut alors tromper en présentant comme existant dans la réalité des êtres qui n’existent que pour la pensée et le langage. Ce risque de tromperie, inhérent au langage peut être accru par le talent et la force de conviction de l’orateur.
Le langage ne permet pas seulement de décrire la réalité, par la parole, il permet aussi d’agir : le moyen plus sûr d’attraper un objet hors de ma portée sans me déplacer moi-même n’est pas de m’en remettre à la télékinésie mais de demander à quelqu’un d’autre de me le faire passer : « passe-moi le sel ». Dans l’usage courant du langage, nous échangeons des paroles pour poser aux autres des questions, les prier de faire quelque chose, voire leur en donner l’ordre si nous en avons le pouvoir.
Mais justement, si nous n’avons pas ce pouvoir et que nous ne sommes pas sûrs de leur bon vouloir, il faut agir sur leur pensée pour les amener à faire ce que nous voulons. La parole peut alors se faire séductrice voire mensongère. Elle s’avère alors un outil de manipulation puissant, notamment sur le plan politique. Mais ne prêtons-nous pas un pouvoir excessif à la parole ?
Les exemples précédents montrent que pour obtenir le sel sans bouger moi-même, il faut que je le demande à quelqu’un d’autre : le mot sel peut évoquer l’idée de sel et désigner la chose elle-même ; cette évocation n’est pas une invocation qui aurait le pouvoir magique de faire venir la salière jusqu’à moi. La parole semble ainsi impuissante à agir sur les choses. Or elle n’est pas toujours efficace sur les humains non plus.
Tout d’abord, dans bien des cas, le pouvoir de la parole ne vient pas d’elle-même mais de conditions sociales et politiques d’autorité, qui placent le locuteur en position de donner un ordre par exemple. Dans le cas où le pouvoir de la parole repose sur l’habileté seule du locuteur, ce dernier n’est pas du tout sûr de réussir : l’étudiant de la vidéo est presque convaincu, presque seulement ; ses convictions résistent. L’étude des procédés rhétoriques peut d’ailleurs aider à résister à leur efficacité puisqu’on en comprend le fonctionnement.
Nous ne sommes donc pas condamnés à être manipulés par la parole des autres. Cette parole peut même être impuissante au point de d’échouer à nous convaincre de la vérité : malgré les preuves scientifiques, les
discours contre la théorie de l’évolution de Darwin prospèrent et les scientifiques échouent à convaincre (ou ex. du climato-scepticisme). La séduction est-elle alors toujours condamnable ? La parole dans la mesure, où elle s’adresse à autrui, ne doit-elle pas aussi s’adapter à lui pour se faire entendre ?
Commenter cet article