L'étymologie d'un mot constitue bien souvent un legs problématique. Le terme « autorité » semble ne pas échapper à la règle : auctoritas a le même étymon que le verbe latin augere, que les substantifs auctor, augur, augurium, et que l'adjectif augustus, qui désigne celui qui détient l'auctoritas. Ce détenteur, dans les textes latins, est celui qui est à la source, qui inspire et qui guide par ses conseils. Le mot auctoritas, lui, vient de la langue juridique romaine, où il a diverses significations. L'auctoritas apporte un augment nécessaire à la validité d'un acte émanant d'une personne ou d'un groupe qui ne peuvent à eux seuls donner plein effet à l'acte qu'ils font. C'est aussi la valeur, l'autorité qui s'attache à un acte juridique, à une loi, à une décision judiciaire. C'est enfin l'autorité de l'empereur.
2L'auctoritas assure un prestige personnel qui légitime le droit de commander : les qualités de l'homme, sa fonction, parfois une consécration religieuse ou l'appartenance à une lignée illustre contribuent à l'imposer. De même, l'autorité ajoute à une chose ou un acte un augment qui confère efficacité, aura, charisme. Les médiévaux ont pu qualifier d' « auctoritates » les textes des Écritures, ceux des Pères ou ceux des plus grands juristes, qui « font autorité » et sont tenus pour insurpassables et obligatoires. Le poids de ces auctoritates est déterminant : il recouvre le souci de se soumettre à des modèles précédents qui donnent autorité aux discours.
3Au Moyen Âge, le terme semble d'une richesse plus grande encore que la multiplicité de ses emplois dans les textes latins. L'autorité en vient à désigner très largement la possibilité qu'a un homme ou un texte d'agir sur les autres sans que ces autres agissent sur lui. Contrairement au pouvoir, l'autorité exclut la force ; elle est légale ou légitime par définition. Aussi le summum de l'autorité, pour l'homme du Moyen Âge, se confond-il toujours plus ou moins avec le divin, et toute autorité humaine revêt un caractère sacré, comme si elle était, par contrecoup, reconnue par le divin. D'où l'affirmation, voire la revendication, du caractère divin de toute autorité. Sa transmission devient problématique : de nouvelles autorités peuvent-elles s'imposer aux anciennes ? L'auctoritas dure et traverse les époques : existe-t-elle dans une personne déterminée ou indépendamment d'elle ?
4Nous n'avons pas cherché ici à rassembler des résultats théoriques. Nous aurions pu procéder, comme l'a fait Alexandre Kojève, à la décomposition du phénomène, en dégageant les types médiévaux d'autorité humaine : le vainqueur, auréolé de conquêtes militaires ; l'homme capable de bien juger et de prévoir les événements ; le père impartial et désintéressé ; le garant des traditions du passé, etc. Ce sont les multiples formes concrètes de l'autorité, les incarnations temporelles des prototypes divins ou héroïsés que nous avons voulu élire pour mieux appréhender la notion : figures de prophètes, de vieillards, de Pères de l'Église, de chefs militaires, de juges, de princes, de rois, de figures mythologiques, tout cet ensemble de grands noms qui constituent le groupe des auctoritates. Pourquoi et comment, au Moyen Âge, ces personnages sont-ils devenus des figures de l'autorité ?
5C'est dans les temps anciens, ou dans tout ce qui évoque le passé, que l'on trouve les auctoritates. Auteurs et penseurs médiévaux se réfèrent sans arrêt au passé : David, Salomon, Virgile, Constantin, Charlemagne, Boèce, Louis IX, Arthur,... Pour que ces figures constituent des modèles légitimants, pour que l'autorité ne soit pas force d'inertie mais force vive, ces modèles s'incarnent dans la représentation d'un passé commun qui crée et exprime l'identité : les autorités passées s'imposent aux autorités présentes selon une sélection permanente, que ce soit les auctoritates des Pères, les canons des conciles, ou les listes d'écrivains fameux. Les figures d'autorité participent étroitement d'une opération de reconstruction du passé.
6L'autorité entretient des rapports problématiques avec le domaine de la représentation. Les historiens et littéraires sont aujourd'hui sensibilisés aux domaines de l'emblématique, de la taxinomie et de la symbolique. Mais la représentation n'épuise pas la figure d'autorité, qui ne se résume ni à la couronne, ni au nimbe. L'autorité est une influence invisible qui s'étend autour de la personne. Si le pouvoir peut facilement être matérialisé dans une couronne faite de fleurs et de pierres serties sur un diadème, l'autorité est plutôt une couronne invisible, immatérielle, éternelle.
7L'autorité n'est pas un joug ; elle désigne le supplément que l'on accorde à une chose ou à un être, et auquel on croit. Elle dépasse le domaine du canonique ou du juridique : on pourrait multiplier les cas de faux ou d'imposteurs qui continuent d'exercer une autorité alors même que la supercherie est démasquée. L'auctoritas semble donner un surcroît d'être : sa reconnaissance par une communauté humaine en fait quelque chose de supérieur au pouvoir, et explique le combat qu'ont mené les souverains, depuis l'Antiquité tardive jusqu'aux temps modernes, pour asseoir, montrer leur autorité.
8Aussi les images d'inversion ou de renversement disent-elles également l'autorité. Telles ces processions de prophètes où l'âne accompagne le cortège. Telles ces promenades à travers la ville où un individu qui a contrevenu à l'ordre naturel est monté sur un âne, la tête tournée vers la queue, et humilié publiquement. Telle enfin cette image du cheval Fauvel, assis dans son jardin, couronné, qui illustre notre couverture. Autorité du sacré que l'on met pour un temps à distance ; autorité domestique à laquelle le mari a failli ; autorité royale que l'on révère pour sa marque exceptionnelle et prestigieuse. Les figures de l'autorité conduisent inévitablement à s'interroger sur le rejet de l'autorité : comment rompre l'ordre traditionnel ? Gouverner contre la tradition ? Légitimer ce qui ne l'est pas ? (...)
source : https://journals.openedition.org/questes/1615
Voir :
Le roman de Fauvel ou la critique du pouvoir (podcast)
Nous sommes au début du 14è siècle. C’est l’histoire d’un cheval que nous allons vous raconter.
L’histoire de Fauvel qui s’approprie la maison de son maître. Nous sommes sous le règne de Philippe le Bel puis de ses successeurs : les Rois Maudits. L’Occident affronte une période de crise. On assiste au déclin de la féodalité et des troubles graves secouent l’Eglise catholique.
Le " Roman de Fauvel " est une allégorie, un texte écrit entre 1310 et 1316. C’est ce que l’on appelle un " admonitio regum " : une mise en garde destinée au roi afin d’enseigner ce qu’est le bon et le mauvais gouvernement. En clair une critique de la corruption de l’Eglise et du système politique. Allons donc y voir de plus près et peut-être, qui sait, en prendre un peu de graine.
Invité : Thibaut Radomme, historien de l'art et archéologue – Médiéviste.
Le Roman de Fauvel est un poème satirique de 8000 vers, écrit entre 1310 et 1314 par Gervais de Bus, notaire de la chancellerie royale. Cet écrit constitue un violent réquisitoire contre la corruption et les abus des pouvoirs laïque et religieux dans la France de Philippe le Bel.
Fauvel est un équidé – âne ou cheval – dont le nom est l’acronyme d’une série de six vices reprochés au souverain et à son ministre Enguerrand de Marigny :
F comme Flatterie
A comme Avarice
U comme Vilenie (u typographié en v)
V comme Vanité
E comme Envie
L comme Lâcheté
Ce nom est également composé de « Faus » et « Vel », ce qui signifie fausseté voilée. Plus généralement, ce personnage de Fauvel cristallise tous les défauts de la société de l’époque : « Les rois mentent, les riches flattent, le clergé se livre au vice, les marchands mentent, les juges sont sans pitié, même les enfants sont déloyaux … »
Cette histoire a été mise en musique et en images (manuscrit 146 de la BNF). Un certain nombre de pièces musicales de ce manuscrit sont attribuées à Philippe de Vitry (1291-1361), compositeur, poète, théoricien de la musique, et fer de lance de l’Ars Nova.
source : http://www.musicanova-lyon.fr/programmes/le-roman-de-fauvel/
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