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exercice sur le Droit à partir de "L'homme qui tua Liberty Valance" (J. Ford, 1961

Publié le 8 Mai 2020, 10:12am

Catégories : #Exercices philo

exercice sur le Droit à partir de "L'homme qui tua Liberty Valance" (J. Ford, 1961
 
indiquez en une trentaine de lignes quelle est la valeur philosophique du droit qui peut se dégager de "L'homme qui tua Liberty Valance" (J. Ford, 1961) au regard de toute constitution
 
 

Proposition de traitement par Mlle Laura Felderhoff, lycée Albert-Ier de Monaco, mai 2020 :

Lorsqu’on se penche sur ce Western non conventionnel, on remarque tout de suite une dualité entre l’application de la justice par la force et l’application de la justice par la parole et les lois. En effet, au début du film les deux personnages principaux Ransom Stoddart et Tom Doniphon incarnent tout les deux ces valeurs qui leur sont propres.
La question qui nous est posée suppose que le film ne nous transmet qu’une seule valeur philosophique du droit. Mais, au-delà d’une simple valeur, on peut y trouver une véritable transition dans les mœurs et l’organisation de cette petite ville. On peut donc se demander si la force et l’ordre se contredisent forcément. Si ces deux principes, par le biais de la constitution d’une nouvelle vie politique et juridique, ne peuvent au contraire pas se valoriser l’un l’autre.

Tout d’abord on peut comparer nos deux personnages principaux à la célèbre 10ème fable de la Fontaine "Le loup et l’agneau". En effet, Tom pourrait être comparé au loup, animal guidé par le droit du plus fort où, pour se faire respecter, il faut être habile de ses bras et non de son esprit. Au contraire, Ransom serait le jeune agneau arrivé d’une contrée lointaine, innocent et fragile voulant mettre en place une société non-violente . On pourrait donc s’attendre, tout comme pour la morale de la fable, que ce soit Tom qui s’impose. Cependant, ce film s’approche plus de la reprise réalisée par Marc Chagall dans son tableau du même nom où c’est finalement l’agneau qui « gagne ». Dans le film ce sont finalement bien les idées politiques de Ransom qui finissent par rythmer la vie de la petite ville de Shinbone.

Mais en y regardant de plus près, on se rend compte que la dualité entre force et ordre s’efface peu à peu car ces deux personnages évoluent. Ransom en pointant son arme sur Liberty Valance (même s’il ne le tue pas) se rend compte que l’usage de la force ne peut être évitée. Il est lui aussi animé par cette envie de vengeance et donc laisse place à une part de violence que lui enseigne Tom. Cette transition est illustrée par la scène où dans la salle de classe, il efface sa première phrase  :« L’instruction est la base de la loi et de l’ordre » pour réécrire à la place : « Quand la force menace, vouloir se faire entendre est vain ».

Mais, malgré l’usage de la force, Ransom parvient à se faire entendre. En effet, Tom le cowboy solitaire « sans foi ni loi » finit par accepter l’ordre apporté par le jeune avocat. Il lui laisse notamment la gloire apportée par le mythe de la mort de Liberty Valance. Les deux valeurs finissent donc par fusionner pour former un monde où lois, force et justice se mêlent. Cela nous rapproche donc de la vision de Pascal dans les Pensées de 1670 : on peut penser notamment au droit de l’épée, qui mélange force et savoir dans la quête de pouvoir.
Le terme de constitution est aussi au cœur de ce film. En effet, ici, il ne prend pas la définition d’un texte fondamental mais bien celle de l’acte par lequel se forme un corps complexe (ici, politique et juridique). Cette notion d’évolution est très importante car, tout au long du scénario, la valeur philosophique du droit évolue en même temps que celles des personnages. Tant au point de vue de leur instruction (lapsus de Nora entre République et Démocratie  : « le peuple est le patron ») qu’au point de vue de leur organisation. La scène de l’assemblée territoriale dans le saloon en est une illustration. La scène démarre dans un brouhaha où seuls la force et les cris dominent et elle se finit sur un groupe unifié et organisé prêt à faire des concessions entre force et discipline.
 

Pour conclure, ce western ne suit pas le schéma classique de la violence à laquelle on est habitué dans ce genre de film. Les valeurs y sont renversées dans l’illustration de la mise en place d’une constitution. La valeur philosophique du droit y est changeante et adaptative en fonction des situations. Il n’y a pas de réelle distinction entre bien et mal. Comme l’énonce Ransom face à sa classe, la loi fondamentale du pays peut être modifiée ou complétée par les amendements. Cela montre bien que la valeur de droit est en permanente évolution autour du rapport à la force physique et à la force de l’instruction.
On pourrait ainsi se demander si Ransom, en instruisant ce « peuple enfant » (d’après Gérard Bras) n’exerce pas une sorte de force cachée, une supériorité purement égoïste.

 

Proposition de traitement par Mr Alexandros Savchuck, lycée Albert-Ier de Monaco, mai 2020 :

Répondre à cette question exige que nous définissions précisément le terme constitution : « Loi fondamentale, ensemble des lois fondamentales qui, dans un pays, règle l'organisation et les rapports des pouvoirs publics et, éventuellement, détermine les principes qui régissent les relations des gouvernants et des gouvernés. » (Larousse)

Or, ce qui apparaît évident dans le film, c’est que les différents protagonistes n’ont pas la même conception de la loi. En effet, il faut comprendre ces différents points de vue à la lumière des textes fondateurs de la république américaine, à savoir la déclaration d’indépendance de 1776 (où l’on retrouve l’idée de l’égalité entre les êtres humains ainsi que l’existence de « droits naturels ») mais aussi de la Constitution ratifiée en 1789, qui elle dans son préambule utilise la première personne du pluriel pour désigner le peuple américain. (« We the people in order to form a more perfect union…..).
Le film fait apparaître clairement les inégalités qui existent entre les petits fermiers terrorisés, la population autochtone (les Indiens eux même chassés par les fermiers blancs) et les gros propriétaires. Autour de ce « peuple » gravitent deux figures antinomiques : la figure politique du sénateur Ransom Stoddart et celle du fermier modeste (Tom Doniphon). En marge, il y a la figure du hors-la-loi, c’est-à-dire Liberty Valance. Paradoxalement, Tom et Liberty partagent une vision commune de ce qu’est la loi car, pour tous deux, il s’agit de la loi du plus fort, le recours à la violence même s'ils ne l’utilisent pas aux mêmes fins. Tom l’utilise pour réparer les torts et punir les méchants. En revanche, pour Ransom, la loi est toute politique. Il ambitionne de transformer la ville de Shinbone (on notera également ici l’ironie du nom : os/ossements évoquant peut-être la mort), territoire sauvage sans droit ni loi en territoire américain (territoire politique doté de lois qui régissent la communauté).

Mais alors pourquoi choisir un personnage aussi ambigu que Ransom, qui au nom de la loi (sa loi ?) débarrasse la communauté de son hors-la-loi en utilisant la même violence que celle qu’il dénonçait auprès des habitants pour se faire élire ? Le droit ne serait -il pas absolu ? Il serait plutôt ici à géométrie variable, au gré de celui qui le représente. Cela est d’autant plus déconcertant pour le spectateur que l’assassinat de Liberty Valance repose sur un mensonge et que le véritable auteur en est Tom Deniphon, qui choisit lui de rester fidèle à ses croyances et à sa conception du droit jusqu’au bout. Il est intéressant de relever que Tom est le personnage le plus moral de ce trio.
En d’autres termes, celui qui incarne le droit (au sens propre car il est à l’origine un avocat) est un menteur hypocrite. Ses aveux tardifs - lors de l’enterrement de Tom - jettent une ombre au tableau. La fondation de la communauté sur le droit repose en effet alors sur un mensonge, ou plutôt un mythe dans lequel la communauté a besoin de croire pour exister. Mais enfin, ce mythe a servi la carrière personnelle de Ransom et on peut se demander dans quelle mesure la communauté constituée vit désormais mieux qu’auparavant.

 

Il faut donc comprendre le destin de ces protagonistes comme une allégorie de la république américaine fondée sur le droit – mais dont l’histoire raconte le massacre systématique des Indiens au nom de la communauté.

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