A partir du cours vidéo sur l'Art, du document audiovisuel (Music : Stephan Pompougnac - Pour faire le portrait d'un oiseau (Yves Montand) /Video : Frank Panucci - Mashing Up Prelinger Archives), et du poème de Prévert ci-dessous, analyser la forme et le fond du support soumis afin de proposer une partie de dissertation répondant au sujet : "Comment fonctionne l'oeuvre d'art ?"
"Pour faire le portrait d'un oiseau"
Pour faire le portrait d’un oiseau
Peindre d’abord une cage
Avec une porte ouverte
Peindre ensuite
Quelque chose de joli
Quelque chose de simple
Quelque chose de beau
Quelque chose d’utile
Pour l’oiseau
Placer ensuite la toile contre un arbre
Dans un jardin
Dans un bois
Ou dans une forêt
Se cacher derrière l’arbre
Sans rien dire
Sans bouger…
Parfois l’oiseau arrive vite
Mais il peut aussi bien mettre de longues années
Avant de se décider
Ne pas se décourager
Attendre
Attendre s’il le faut pendant des années
La vitesse ou la lenteur de l’arrivée de l’oiseau
N’ayant aucun rapport
Avec la réussite du tableau
Quand l’oiseau arrive
S’il arrive
Observer le plus profond silence
Attendre que l’oiseau entre dans la cage
Et quand il est entré
Fermer doucement la porte avec le pinceau
Puis
Effacer un à un tous les barreaux
En ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l’oiseau
Faire ensuite le portrait de l’arbre
En choisissant la plus belle de ses branches
Pour l’oiseau
Peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
La poussière du soleil
Et le bruit des bêtes de l’herbe dans la chaleur de l’été
Et puis attendre que l’oiseau se décide à chanter
Si l’oiseau ne chante pas
C’est mauvais signe
Signe que le tableau est mauvais
Mais s’il chante c’est bon signe
Signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucement
Une des plumes de l’oiseau
Et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.
Jacques Prévert, Paroles, 1945.
Analyse du poème :
Ce texte énumère des descriptions sans nommer les choses mais en les qualifiant. Comme si l’auteur laissait le soin aux lecteurs d’apporter leurs touches personnelles sur cette toile en construction pour en faire un résultat à la fois individuel et collectif.
« Peindre d’abord une cage » : Cette directive n’induit pas les dimensions de la cage par rapport à la toile. C’est la liberté de création. Si « quelque chose de simple, de beau, d’utile » se trouve à l’intérieur de la cage ou autour ?
C’est un sentiment de liberté d’expression, tout comme de « peindre une porte ouverte ».
Jacques Prévert utilise la métaphore dans son état subjectif qui tend vers la transfiguration à travers de la succession des « choses ». C’est un crescendo.
L’auteur réussit à nous faire découvrir non pas une poésie écrite d’encre mais de touches de peinture. Ce qui donne de la couleur aux mots.
Il sublime notre imaginaire jusqu’à l’exacerbation de notre fantaisie et susciter des vocations de poète ou de peintre, voire les deux !
Ce texte est une villégiature intellectuelle, un langage onirique qui mélange les genres. Il procède du surréalisme par son innovation et du pointillisme par la multiplicité des « choses » suggérées.
Jacques Prévert nous invite encore une fois dans son univers chatoyant et pédagogique.
source : http://www.retorica.fr/Retorica/22-poe-prevert-portrait-dun-oiseau-etude-20-mots-200-mots-2016-11/
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Plan :
Il semble y avoir un schéma narratif (cf. reproduction 1). Les deux grands moments seraient donc : 1) Avant la capture de l’oiseau et 2) Après la capture. Mais on peut aussi choisir une progression en quatre parties :
1) la préparation du piège
2) L’attente
3) La réalisation de la peinture
4) La critique du résultat final
Ces plans mettent en évidence que le peintre représente tout sauf l’oiseau lui-même : c’est un élément qu’il ne maîtrise pas. Le résultat final correspond à une cage peinte puis soigneusement effacée, à un arbre, une belle branche, et à un vrai oiseau posé dessus, qui chante. Sur le mode de la recette de cuisine, l’auteur présente sa méthode pour concevoir un chef-d’œuvre. Mais l’univers réel qu’il semble présenter est progressivement transformé en univers poétique par le poète, et cet univers interfère (=se mélange imparfaitement, se confond mal ) avec le monde réel : les sensations se brouillent. Nous sommes dans un univers féerique, où l’inanimé devient animé et où la réalité est remplacée par une vision onirique (= de rêve).
Vocabulaire :
Champ lexical des sensations physiques : « sans bouger », « silence », « doucement », « toucher aucune des plumes », « vert », « fraîcheur du vent », « bruit des bêtes », « chaleur de l’été », « ne chante pas », « chante », « arrachez tout doucement » « sans rien dire » « observer ». Ce champ lexical évoque la douceur, la quiétude, la tranquillité d’un après midi d’été.. L’auteur nous invite à ne pas trop agir, mais à se laisser aller à la rêverie. Il mélange les impressions comme on mélange des couleurs : « la poussière du soleil » est une expression où l’on retrouve à la fois des connotations de chaleur, de lumière et de soif ( trois sens : vue, toucher et goût).
Champ lexical de la peinture (reproduction 4) – L’auteur nous décrit le travail de l’artiste, peintre ou poète : il ne s’agit pas de reproduire la réalité, mais de l’imaginer, de la transformer en images, en sons, en œuvre. L’idée du chef-d’œuvre est ici amplifiée par le choix du critique d’art : c’est l’oiseau lui-même qui, séduit par la beauté du tableau, se mettra à chanter, donnant plus de vie et de gaieté à celui-ci. Ce travail de création est d’abord un travail d’observation et celui-ci demande essentiellement de la patience.
Champ lexical du temps qui passe (reproduction 1) : (ce qui transforme une création en œuvre, c’est le temps. Il faut savoir prendre son temps, ne pas brusquer les choses, ne pas vouloir les faire entrer à tout prix dans un cadre. La méditation ( « observer le plus profond silence » ) , l’apprentissage de la patience (« s’il le faut pendant des années ») est la seule méthode qui puisse donner ce résultat. De plus, l’homme ne doit pas interférer avec la nature, et le poète lui conseille pendant tout ce temps de « se cacher derrière l’arbre, sans rien dire, sans bouger ». Enfin, une fois le tableau terminé, c’est dans un « coin du tableau » que son auteur est autorisé à signer.
Noter le jeu de mots « C’est bon signe, signe que vous pouvez signer » (Remarque : un signe, à l’origine, est une manifestation des dieux, un présage divin, un message que le monde spirituel envoie au monde matériel.
Idées :
Le travail du poète est comparable à celui du peintre. Ce poème est une métaphore du métier de l’artiste.
Il faut peut-être s’inspirer de la nature, mais ne pas la reproduire stupidement : au contraire, il faut essayer d’exprimer ses sensations propres, ses émotions (peinture, musique, poésie, littérature…)
Il faut être patient et savoir attendre l’inspiration. Comme un oiseau, elle ne se maîtrise pas, elle est incertaine. On ne devient pas un génie du jour au lendemain.
Il ne faut pas être logique et rester enfermé dans le monde concret. Les schémas, les choses classiques, les écoles de pensée sont des cages, des prisons qui tuent l’inspiration, qui emprisonnent l’esprit , qui empêche l’expression libre. Ces guides sont utiles au début (apprendre la technique avant de peindre, faire du solfège ou des gammes avant de composer. Mais, comme les barreaux du poème, il faut ensuite savoir les effacer, les oublier pour exprimer sa personnalité.
C’est avec le temps, la patience, que l’on finit par être reconnu, si l’on a du talent.
L’art ne se pratique pas dans la violence (« tout doucement »). Il ne peut et ne doit pas être imposé aux autres. Chacun est libre de l’apprécier ou non, et l’oiseau du tableau ne se met pas toujours à chanter… (« les goûts et les couleurs… »). L’artiste doit donc rester modeste et se contenter du « coin du tableau » pour signer . Son œuvre, si elle est bonne, suffit. Elle est sans doute plus intéressante que lui, sa personnalité, sa vie, et il doit apprendre à s’effacer devant elle.
Conclusion :
Ce poème nous transporte dans un monde proche du rêve surréaliste. Le travail de l’artiste, qu’il soit poète, musicien, peintre, est de créer des associations inattendues et surprenantes. Ce qui met son rêve à la portée de tous, c’est sa façon de coller à la nature, de rester simple, de ne pas s’enfermer dans les conventions et les écoles. L’oiseau, pour Jacques PREVERT, est encore une fois ici le symbole de la liberté et de l’indépendance d’esprit qui seules permettent d’être vraiment original et talentueux.
source : http://secoursdefrancais.free.fr/college/documents/htm/lem23.htm
Proposition de traitement par mlle Daria Singer, lycée Albert-Ier de Monaco, TES1, mai 2020 :
"Comment fonctionne l'oeuvre d'art ?"
I) L’oeuvre est un signe indiquant une réalité “autre”
II) Elle sert a représenter des êtres et des objets qui composent le monde extérieur
III) Elle permet rendre sous une forme sensible ce qui ne l'est pas par nature, exprimer les éléments de notre subjectivité
Pour Hegel, l'art qui voudrait imiter la nature est même dit présomptueux, et comparable à un ver qui voudrait se faire éléphant. Cette image rend à la fois l'impossibilité et le ridicule pour l’art de vouloir imiter la nature comme telle. Donc, l’art permet surtout de transmettre nos idées ainsi le monde intérieur, c’est-a-dire celui des passions, des sentiments et des émotions. Ceci permet la prise de conscience “pratique” de soi. En tant qu’être pour soi, l’homme a un besoin proprement spirituel: celui de parvenir a une claire conscience de sa propre existence. Pour cela, la conscience a besoin de passer pratiquement par l’action, par l’intermédiaire d’un objet, ici l’oeuvre d’art.
Puisque les oeuvres d’art ne représentent pas fidèlement des choses, Platon dans La République dit qu’elles abusent le spectateur en se faisant passer pour ce qu'elles ne sont pas ou en faisant passer la réalité pour autre chose qu'elle n’est. Cette idée de confusion se trouve dans le document audiovisuel, Mashing Up Prelinger Archives, par Frank Panucci, où il y a une alternance régulière entre les dessins animés et les vidéos (ce qui est réel et ce qui ne l’est pas), ainsi que des changements fréquents de couleurs de fond.
Or, justement, de cette manière, les oeuvres d’art vont permettre de dépasser ce que la science peut permettre. Le poème "Pour faire le portrait d'un oiseau” de Prévert indique cela : il faut s’inspirer de la nature, mais ne pas la reproduire stupidement. Au contraire, il faut exprimer ses sensations et ses émotions a travers une oeuvre d’art (que ce soit une peinture, musique, poésie…). C’est pour cela que le texte énumère des descriptions sans nommer les choses mais en les qualifiant, comme si l’auteur laissait les lecteurs apporter leur touche personnelle.
Il ne faut pas être logique et rester enfermé dans le monde concret, c’est pour cela que le poème dit d’effacer la cage. De la même manière, dans le document audiovisuel, les vidéos semblent manquer de logique : certaines parties sont répétées en boucle, ou en sens inverse, et nous pouvons également voir des figures mi-humaines mi-singe.
Tout en continuant sur cette idée de confusion, l’auteur du poème présente sa méthode pour concevoir un chef-d’œuvre, mais l’univers réel qu’il semble présenter est progressivement transformé en univers poétique par le poète et toutes les sensations se brouillent. Ceci nous plonge dans un univers féerique, où l’inanimé devient animé et où la réalité est remplacée par une vision onirique.
Ces documents, étant eux-même des œuvres d’art, nous permettent de ressentir des sentiments de toutes sortes. Dans le poème, le champ lexical des sensations physiques (“sans bouger”, “silence”, “doucement”) évoque la douceur, la quiétude, la tranquillité. Il ne faut pas trop agir, mais à se laisser aller à la rêverie. Le champ lexical de la peinture et du temps qui passe, font appel a la patience.
La voix du narrateur dans le document audiovisuel permet d’amplifier ce message et ces sentiments. Les modes de transport qui figurent tout au long du document illustrent le progrès, et nous invitent a prendre notre temps.
Donc, les oeuvres d’art offrent plusieurs manières de rendre sous une forme sensible ce qui ne l'est pas par nature.
Proposition de traitement par mlle Alice Rolfe, lycée Albert-Ier de Monaco, TES1, mai 2020 :
L’art est un ensemble de moyens ou de procédés qui tendent à une fin. L’étymologie du mot “art” est du latin ars, qui traduit le grec tekhnê, radical de technique. Si la fonction de l’art est de représenter ou d’exprimer, on rend sous une forme sensible ce qui ne l’est pas par nature. On exprime le monde intérieur, les passions, les sentiments…
Alors, comment les œuvres d’art représentent-elles des choses?
Kant a proposé que l’art est sans règles, il ne concerne ni la science, ni la technique. L’art naît d’un besoin spirituel plutôt que d’un besoin pragmatique (Hegel). En effet, la beauté devrait être sensible et non rationnelle et la finalité recherchée par les auteurs n’est parfois pas la beauté.
Par exemple, on peut prendre les œuvres de Banksy qui ne sont pas forcément parfaites, elles ne sont pas toujours de la “mimesis”, un terme tiré de la Poétique d'Aristote et qui définit l'œuvre d'art comme une imitation du monde tout en obéissant à des conventions.
De plus, l’art ne fonctionne pas seulement avec la finalité de représenter le réel. En effet, l’art peut constituer une étape dépassée de la prise de la conscience de soi. On observe cet effet dans le poème de Jacques Prévert "Pour faire le portrait d'un oiseau”, dans le recueil Paroles, paru en 1945.
Ceci a aussi fait l’objet de l’écoute du document audiovisuel avec une musique par Stephan Pompougnac mixée avec le texte de Prévert.
Le poème énonce comment faire un portrait d’un oiseau. Le texte énumère des descriptions sans nommer les choses mais en les qualifiant. Le lecteur peut interpréter le poème dans sa propre vision, et voir la beauté de ce dernier.
Il faut aussi mentionner la signification du poème. Le poète utilise la métaphore de l’oiseau pour décrire qu’il ne faut pas forcer l’art (“Parfois l’oiseau arrive vite mais il peut bien mettre de longues années…”). Ceci démontre que l’art n’a pas forcément de règles, c’est la liberté de création et il faut attendre l’inspiration. On levoit aussi dans l’adaptation audiovisuelle, avec des images qui n’ont pas forcément un rapport avec les paroles, mais qui naissent de l’inspiration et de la spontanéité de l’auteur.
Par conséquent, l’art ne fonctionne pas par rapport à des règles. Par exemple, pour Kant, "le génie est le talent (don naturel) qui permet de donner à l'art ses règles". Le génie consiste, pour lui, en la capacité de donner des règles à ce qui n’en a pas encore. Il identifie ce génie à "un talent" qu'il appelle aussi "don naturel”.
Comme il n’y a pas de règles, l’auteur doit attendre son inspiration et s'attribuer à lui-même ses propres “règles”.
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