1/ Que représente la caverne?
2/ De quoi ses habitants sont-ils prisonniers?
3/ Qui sont les personnes passant derrière le muret ?
4/ Pourquoi libère-t-on un prisonnier, qui le libère, et quelles sont les étapes de sa libération?
5/ Par quoi commence la vraie connaissance?
6/ Que sont les vraies réalités?
7/ Comment accéder à ces vraies réalités?
8/ Qu'est-ce que le soleil (dans le texte)?
9/ Qu'arrive-t-il au prisonnier libéré s'il redescend dans la caverne?
10/ Que vous paraît illustrer l'allégorie?
1) Le monde sensible est notre prison. Imaginons, dit Platon, une caverne profonde et obscure ouverte d'un seul côté sur la lumière du jour. Face à la paroi interne, il y a des hommes. Prisonniers depuis leur enfance, enchaînés, ils ne peuvent regarder que devant eux, vers la paroi interne. Ils n'ont jamais pu porter leurs regards dans une autre direction. Jamais ils n'ont pu regarder derrière eux, où ils auraient pu voir un sentier étroit et escarpé qui monte vers la lumière du jour, et en travers duquel on a élevé un petit muret qui le barre. "Voici d'étranges prisonniers" s'écrie Glaucon, frère de Platon qui est dans la République l'interlocuteur de Socrate. "C'est à nous qu'il sont pareils" s'entend-il répondre. Les prisonniers nous ressemblent parce que les prisonniers c'est nous. Ils témoignent de la condition humaine et la caverne est le monde où nous vivons.
2) Ils sont prisonniers des apparences, des illusions sur la réalité du réel. Derrière le muret, il faut imaginer des personnes, portant , comme des montreurs de marionnettes, des figurines d'hommes et d'animaux. Ces personnes parlent, elles représentent les sophistes, ces manipulateurs d'opinions. Or, comme les prisonniers ne peuvent tourner la tête, ils ne les voient pas. Mais, un feu brille dans la caverne, plus loin sur une hauteur. Les prisonniers voient donc projetés sur la paroi interne les ombres des figurines, leurs reflets. Et, comme d'une part, ils entendent les paroles renvoyées en écho par la paroi, que d'autre part, enchaînés, ils ne peuvent apercevoir les originaux, ils croient naturellement que ces reflets, ces ombres, sont les objets eux-mêmes. La leçon est claire: ils sont prisonniers de l'illusion due à leur ignorance. L'expérience sensible n'est faite que d'apparences fugitives et inconsistantes. La connaissance dont elle relève ne peut alors être qu'imparfaite et décevante. En effet, le propre de cette connaissance, c'est d'être sur le mode de l'illusion: les images sont prises pour les objets eux-mêmes. Ainsi, disons-nous communément des objets de l'expérience sensible que nous pouvons voir ou toucher qu'ils sont la réalité même. Nous ne sommes prisonniers de rien d'autre que de cette illusion.
3) Les Sophistes (cf. supra)
4) "Qu'on libère l'un d'entre eux": On ne sait ni pourquoi, ni qui est ce ON mystérieux qui entreprend de délier un prisonnier de ses chaînes, de le forcer à se retourner, de le contraindre à marcher vers le petit mur et regarder les objets dont il n'avait jusqu'alors aperçu que les ombres. Plusieurs hypothèses semblent recevables dans un 1er temps: un dieu, un homme (philosophe), une force intérieure. La suite nous éclaire mais aucune interprétation n'est à exclure a priori, même si l'on ne comprend pas pourquoi un dieu ou un philosophe choisiraient de ne libérer qu'un seul prisonnier. Néanmoins ce ON suivra notre captif jusqu'au bout, l'invitant à se dépasser constamment. Dès lors il semble légitime de penser qu'il s'agit d'une force intérieure qui ne se connaît pas encore comme telle. C'est bien le prisonnier lui-même qui se libère, mais il n'est pas encore une conscience, un JE. La sortie de la caverne c'est l'apprentissage des savoirs, l'accouchement des 1ers jugements personnels, c'est-à-dire le passage du "ON" au "JE PENSE" (cf. l'injonction de l'Oracle de Delphes à Socrate: "Connais-toi toi-même").
Les étapes de la libération:
1- La conversion: la 1ère étape vers la vraie connaissance consiste en une conversion du regard; il faut se détourner du sensible pour contempler les vraies réalités. Il faut donc inverser l'axe qui nous lie au réel, ne plus lui accorder une confiance aveugle. En effet, la sortie de la caverne de l'opinion est un véritable arrachement. Elle suppose une conversion douloureuse de tout notre être, un renoncement au monde, une ascèse. Éblouissement, aveuglement, souffrances de toutes sortes n'ont pour effet d'abord que de provoquer rébellion et résistance du prisonnier, puis des efforts pénibles accomplis dans la nostalgie d'une passivité perdue.
2- L'ascension: dépassons le monde des objets sensibles, maintenant reconnus et identifiés comme tels, quittons la caverne en suivant le sentier escarpé, la côte rude et abrupte qui semble monter vers le soleil. Tout indique là encore, même si l'effort semble accepté, la dureté de cette lente ascension: c'est qu'il ne suffit pas de se défaire ses anciennes et sécurisantes illusions, il faut maintenant partir à la conquête de la vérité. Pour cela il faut apprendre et inlassablement apprendre, tout particulièrement les sciences abstraites: géométrie, arithmétique, astronomie. La science possède une vertu formatrice permettant de manier les choses abstraites: les figures, les nombres préparent à l'abstraction suprême, celle des Idées (République, 522c-531c).
3- La nécessaire redescente: Jusqu'où monte le sentier escarpé? Quel sommet peut-on atteindre? Que signifie "là-haut"? Toute l'œuvre de Platon inciterait à la prudence: c'est que nul ici-bas ne peut atteindre la sagesse qui n'appartient qu'aux dieux, ni la vérité que seules quelques âmes non encore incarnées, ont eu le privilège de connaître autrefois. L'amoureux d'opinion de la caverne est devenu ami de la sagesse, mais l'on sait que l'amour n'est pas possession mais tension, désir et quête. La philosophie est recherche de la vérité, marche ascendante vers la vérité; c'est dans cette dynamique qu'il faut saisir la philosophie, non dans un repos au terme de l'ascension. Quoi qu'il en soit "arrivé là-haut", c'est-à-dire au sommet de son effort personnel, il ne s'agira pas de permettre au philosophe de séjourner ni de s'installer dans la quiétude des connaissances acquises. Tant d'autres en bas vivent encore dans l'ignorance et l'illusion. Et comme s'il n'avait pas le droit de conserver pour soi seul un bien, pourtant si durement conquis, comme si l'acquisition de la vérité n'avait de sens que propagée et partagée, comme si le vrai lieu de la philosophie ne devait pas être là-haut dans la majestueuse plaine de la vérité, mais bien en bas, là où se trouvent les hommes avec leurs joies et leurs détresses, le philosophe redescend. Piètre retour où se mêlent aveuglement, maladresse d'un côté, ricanements, sarcasmes, voire menaces et désir de meurtre de l'autre. Après tout Socrate lui-même n'a-t-il pas été assassiné par les Athéniens, et tant d'autres persécutés par la bêtise et la suffisance de ceux qui ne veulent rien comprendre ?
5) La connaissance vraie qui est en même temps la vraie libération commence par un détournement du regard, une inversion de l'axe qui nous lie au réel. Il s'agit d'une conversion qui nous arrache à l'expérience sensible immédiate et commence par la récuser. Cette connaissance vraie sera d'avoir accès aux réalités du monde hors de la caverne, à la lumière du jour. Car celui qui contemple ces réalités les connaît comme véritables et reconnaît les ombres comme ombres, l'illusion comme illusion.
6) Les Idées. La conclusion la plus évidente de l'allégorie c'est que les vraies réalités relèvent d'un monde autre que le monde visible. Elles ne sauraient être des réalités sensibles, accessibles aux sens, des choses concrètes, corporelles, matérielles qui ne sont justement que des images. Les vraies réalités sont purement intelligibles, accessibles à l'intelligence. On les aperçoit grâce à l'œil de l'âme, c'est-à-dire cette vue de l'intelligence qu'on peut appeler théorie, et qui nous élève sur le chemin de la vérité dans l'acte même où elle récuse l'expérience sensible. Platon double donc le monde physique d'un monde intelligible fait d'essences pures, d'idées, et dont la contemplation théorique nous révèle une vérité infiniment plus authentique que les fantasmes inconsistants de l'expérience.
Cette thèse est aussi défendue avec la Métaphore de la ligne au Livre VI de la République où Platon explique que la distinction du sensible et de l’intelligible repose sur celle de la science et de l’opinion. La réflexion distingue 2 degrés de connaissance, qui diffèrent l’un de l’autre sous le rapport de la clarté et de la certitude. A cette différence formelle correspond 2 niveaux dans l’être: intelligible / sensible: 2 catégories d’objets: réalité / apparence, être / phénomène.
Le rapport de l’INTELLIGIBLE au SENSIBLE est un rapport transcendantal (qui ne concerne que la pensée) qui peut être figuré par un rapport empirique (qui concerne l’expérience), celui des objets sensibles à leurs ombres ou à leurs images (reflets dans l’eau ou miroir). Donc ici il y a une analogie de type mathématique: il y a le même rapport de l’objet sensible aux images que de l’Idée aux objets sensibles. En effet, il y a une diversité d’images pour UN seul objet, de même qu’il y a différents objets pour UNE Idée.
Par rapport à la connaissance, cela signifie que, ce que l’objet de l’opinion est à l’objet de connaissance intellectuelle, les images le sont aux choses, comme les choses le sont elles-mêmes aux idées. Quand l’objet visible est éclairé par la lumière du soleil, alors l’oeil a une vision plus claire. Quand il est dans l’obscure clarté qui tombe des étoiles, l’oeil n’a qu’une vision confuse. Il en va de même pour l’objet de la connaissance en général: quand il est éclairé par la lumière intelligible, aperçu dans l’éclat de la vérité, alors l’esprit connaît clairement: il a la science. C’est la saisie de l’être, saisie de l’intelligible: ce qui ne naît, ni ne périt ; ce qui est (immuable) mais ne devient pas (changeant).
Au contraire, l’objet de connaissance de l’opinion est mêlé d’obscurité, il est aperçu seulement dans la lumière sensible, la lumière du multiple: ce qui subit le changement, la corruption et qui est figurée par le feu à l’intérieur de la caverne dans notre allégorie. Nous avons bien 2 modes de la connaissance qui diffèrent par leur degré de clarté et d’obscurité. Il y a plus de vérité dans l’objet de la science que dans l’opinion, tantôt fausse, tantôt vraie. Mais l’objet de la science et l’objet de l’opinion ne s’opposent pas en une dualité (2 choses séparées) comme la chose et son image. Ils sont un seul et même objet: vu dans la clarté de l’être (lumière du vrai) ou vu dans l’obscurité, la pénombre du phénomène. Donc l’idée et la chose ne se différencient pas comme 2 choses, leur opposition est entre 2 modes de connaissance.
Subdivision de l’Intelligible:
- 2ème segment: Il correspond à la connaissance mathématique, celle qui utilise comme auxiliaires des figures sensibles, et qui s’applique à reconstruire idéalement le donné à partir de notions intelligibles posées pour hypothèses. Système hypothético-déductif.
L’hypothèse théorique permet de déduire l’affirmation d’une conclusion, qui découle, résulte nécessairement de l’hypothèse (est-ce que le triangle existe dans la nature? Peu important). Le 2ème segment correspond à la pensée discursive. Ne pas confondre la science de la dialectique et les mathématiques, qui ont pour principe des hypothèses.
-1er segment: Il correspond à l’activité intellectuelle supérieure, la science de la dialectique, qui ne fait pas usage d’images sensibles, qui se meut entièrement dans l’intelligible, dans l’abstraction et qui cherche un principe inconditionné, anhypothétique: la justification des hypothèses de la physique mathématique. Méthode qui remonte de l’hypothèse vers un inconditionné.
Réflexion téléologique: sur les fins ultimes, qui veut atteindre dans l’Idée du Bien le principe suprême de la cosmologie comme de l’axiologie. Seule cette réflexion mérite le nom de science, ou intellection.
Le passage du sensible à l’intelligible c’est le passage au BIEN, au bonheur. Attention il ne s’agit pas de l’HEDONE: plaisir, mais de l’EU (bon) DAIMONIA (démon): le bon démon est l’intermédiaire entre le sensible et l’intelligible, celui qui participe des deux, ex: Eros.
7) Par la raison et non par les sens.
8) L'idée de bien. La connaissance n'est pas encore parvenue à son terme une fois élevée vers ces natures intelligibles que sont les idées, encore faut-il comprendre qu'elles ont elles-mêmes un principe dont la figure allégorique est le soleil. Voir le soleil, qui comme la mort ne peut se regarder en face, représente la contemplation suprême et achève le processus de connaissance. Le soleil est la source de toutes les réalités, de toutes les idées et même de leur intelligibilité. Le soleil c'est le bien, principe absolument inconditionné et dont la connaissance permet de saisir toutes les conditions, c'est-à-dire l'intelligence intégrale du tout. Attention, dans la caverne, le feu n'est qu'une image sensible et dégradée du soleil.
9) Il risque d'être mis à mort (parallèle avec Socrate).
10) L'allégorie affirme qu'il y a divers degrés de connaissance. Progressivement l'intelligence ira du plus illusoire au plus réel et du plus obscur au plus lumineux, les idées étant elles-mêmes éclairées par la source de toute lumière: le bien. L'allégorie pose un problème crucial de la philosophie de Platon. Si le monde sensible n'est qu'une grossière copie du monde intelligible, si la seule véritable réalité est du côté des idées, l'homme, lui, est bien l'habitant des deux mondes: il peut se satisfaire de la caverne d'illusions mensongères, mais il a aussi la capacité d'en sortir et d'approcher de la vérité. Le tragique apparent de notre condition est compensé par un optimisme rationaliste confiant dans la possibilité d'une libération de l'homme par la connaissance. L'enseignement de l'allégorie c'est que l'éducation est émancipation, la science affranchissement, la philosophie est délivrance. C'est la connaissance qui permet la désaliénation, le savoir est la condition effective de la liberté. Que dire alors de l'impérieuse obligation du retour dans la caverne? Le message est limpide. La quête personnelle, exigeante mais gratifiante de la vérité ne saurait se désolidariser du devoir ingrat, mais peut-être ultérieurement fructueux, d'éducation de l'autre. Avec l'éducation commence la politique. Socrate, le philosophe de l'Agora, le savait lui qui a été le seul Athénien à pratiquer "la véritable politique", celle qui a vocation de modifier la cité en modifiant directement le citoyen. Philosophie, pédagogie et politique ont ainsi été à l'aurore de notre civilisation intimement et indissolublement liées. Message mal entendu et souvent oublié par les philosophes de notre histoire lorsqu'ils se retranchent derrière les tours d'ivoire de leurs bibliothèques. Pourtant Platon soutient que la philosophie n'est ni évasion, ni retranchement, ni rupture, ou elle ne l'est que pour le temps d'une ascension personnelle, elle est au contraire enracinement, prise en charge du monde et de l'histoire, investissement de soi dans la commune demeure: la société. Aux risques et périls du philosophe.
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