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"Peut-on considérer le corps comme le malheur de l’âme de la conscience ?"

Publié le 3 Février 2020, 15:00pm

Catégories : #Philo (textes - corrigés), #Dissertations d'élèves

"Peut-on considérer le corps comme le malheur de l’âme de la conscience ?"

Proposition de traitement par Lucien Touzé-Rémédiani, lycée Albert-Ier de Monaco, TS2, décembre 2019

 

 

« Les miroirs ferraient de réfléchir un peu plus avant de renvoyer les images » disait Jean Cocteau dans Le sang d’un poète. Jean Cocteau met ici en valeur la contradiction entre la réflexion  immédiate du physique des personnes et l’image qu’elles se font d’elles-mêmes, processus qui prend plus de temps en vertu de la réflexion qu’elles doivent se faire d’elles-mêmes. Jean Cocteau montre ainsi que l’image de notre corps n’est pas en adéquation avec l’image intellectuelle que l’on se fait d’elle. Cocteau nous met donc en valeur le paradoxe entre la conception de notre être et la réalité, soit le monde sensible (res extensa). Les termes res extensa sont définis par Descartes afin de nommer le monde sensible, le monde des sens, c’est-à-dire le monde sujet aux 5 sens, pouvant être sujet aux doutes et au questionnement apportés par le "malin génie", venant aussi de Descartes, génie qui fait douter de tout (dans le monde sensible), sauf de la conscience.
Ici, le corps représente la matière, l’amas de chair et d’os appartenant au monde sensible, sujet à des doutes. Le corps est donc considéré comme une substance, support/substrat de la conscience. Celle-ci est définie à nouveau par Descartes dans 
Le Discours de la Méthode en tant que cum-scire (signifiant avec savoir en latin). Ainsi, elle incarnerait le monde des Idées, la res cogitans, monde abstrait régi par les forces naturelles et lois universelles, et on peut y voir un parallèle avec "L’allégorie de la caverne", de Platon, où les humains enchaînés incarneraient le monde sensible, sujets à des mensonges dus aux ombres, et où le philosophe, lui, incarnerait le monde des Idées par le fait de la recherche du savoir universel et l’accès au monde réel, toujours en quête de savoir.

        

Cela nous amène à plusieurs paradoxe, provenant du grec doxa, tels que : "le corps est-il le malheur de la conscience" ? Est-ce une contrainte de le supporter ? Doit-on le considérer comme tel ? Peut-il exister une quelconque manière pour que la conscience puisse y échapper ? N’existe-il pas une forme de prolongement de la conscience au corps ou bien ce dernier n’est-il que son tombeau ?

Tout d’abord nous verrons que le corps est utile à la conscience, il l’aide en lui permettant une authentification. Puis qu’il ne s’agit que d’un tombeau de l’âme, un fardeau, où la conscience est prisonnière. De plus, on mettra en valeur une distance possible entre le corps et l’âme faisant que le corps n’est pas le malheur de celle-ci. Finalement, le corps n’est que le prolongement de l’âme, de la conscience.

 

 

 

         Le corps n’est pas un malheur de la conscience. Il lui est utile. Chaque sujet (sub/jectum : jeté en dessous provenant du latin, indiquant la capacité a une réflexion interne, propre a chacun) a besoin de s’identifier en tant que « Je » et de penser à « Je », afin de se définir en tant que sujet, personne définie par sa conscience. Par là, la conscience possède donc différents niveaux tels que conscience végétative, réservée aux insectes, ou encore plus forts, comme conscience réfléchie ou même morale. L’Homme possède une conscience morale et réfléchie. Ainsi c’est grâce a l’identification de mon corps dans un miroir que « Je » peux me voir et ainsi m’identifier en tant qu’être pensant et doté d’une conscience. Tout comme le définissaient les Grecs avec Aristote, le corps serait une forme  de support de la conscience, définit comme υποκείμενον (hupokeimenon), c’est-à-dire un sujet, une substance de l’être pensant, un substrat de la conscience. Ici, le corps serait donc défini comme quelque chose d’utile à la conscience, voire quelque chose de vital, car il serait le lien entre la res extensa et la res cogitans

         En effet, le corps, en tant que hupokeimenon est important afin de s’identifier comme soi. Par exemple, les « gueules cassées » de la 1ere guerre mondiale ou les militaires de la 2nde guerre mondiale, hommes défigurés à vie à cause d'une modification  permanente de leur aspect physique ne se reconnaîtront plus dans un miroir, ils auront peur car ils n’auront plus accès à leur conscience. Ils vont changer drastiquement leur comportement. Cela est dû à une modification sérieuse de l’hupokeimenon, entraînant le fait que le sujet ne se voit plus comme lui ou « Je ». De ce fait, ces personnes ne s’imagineront plus comme elles-mêmes, ne s’identifieront plus comme la personne qui possédait des valeurs morales, et fatalement perdront leurs manières d’être, changeront leurs qualités en d’autres « qualités empruntés » comme le définit Pascal dans les Pensées.

         Ainsi la réflexivité est ce qui permet de s’identifier comme sujet, d’accéder au monde des Idées (res cogitans) et ainsi de penser/philosopher. Or, si l’on n’a pas accès à son être, le corps est modifié ne permettant plus la réflexivité : on change sa manière d’être et ses coutumes. Le corps est donc plus qu’utile à la conscience et ne peut pas être résumé à un "malheur de la conscience" car c’est lui qui en donne l'accès.

 

 

 

         Mais mon corps ne présente-t-il pas d’aspects négatifs ? N’est-il que tout blanc ? N’est-il pas aussi un fardeau pour cette dernière ?

         Tout comme disait Sartre dans L’être et le Néant : « Autrui, par la simple apparition de son être n’est qu’une catastrophe ontologique ». Sartre met là en perspective que personne n’est parfait. Considérer l’autre comme un simple sac constitué de chair et d’os sans voir ni même avoir l' accès à sa conscience le définit donc comme un désastre, une catastrophe ontologique, du fait de ses défauts, c'est le fait de ne pas croire en le « Je » qu’il incarne, au même titre que le sujet potentiel qu’il serait. Ainsi, lors d’une apparition en public, avec mes amis, au lycée, je serais donc automatiquement résumé a une catastrophe ontologique, ou bien même pire jugé sur mon corps, ma façon de m’habiller, ma manière d’être aujourd’hui, ne mettant en avant que mes qualités ou défauts physique, soit issues monde sensible, et non mes qualités morales, psychiques, mon cogito et ma manière de penser.


Cela montre bien que que le corps est donc source de jugement, source de critiques permanentes, parfois allant même allant jusqu'à créer un mal-être profond. Le corps est donc sujet à un jugement pouvant impacter la pensée de l’être, la manière de cet individu. Le corps peut donc amener du mal-être a une personne, à cause de certains complexes, dû à une source de jugement permanent, à des rejets des autres êtres humains, me laissant porter par la tentation du malin génie de Descartes, qui viendrait me faire douter de moi, de ma personne, de mes capacités -  à savoir si elles sont "empruntées"-, me faire douter de tout sauf du fait que je sache penser, de ma conscience. Pourtant, du fait de ces questions à répétition, je ne cesse de m’occuper de choses complexes, de problèmes, et non de chercher, de penser à une solution plus globale, plus générale qui pourraient m’être plus utiles.

 

Par ailleurs, comme l’a défini Platon dans le Phédon avec son « Soma sema » signifiant que le corps n’est qu’un tombeau de l’âme, de la conscience, le corps n’est autre qu’un fardeau pour la conscience, celle-ci est contrainte de coexister avec ce dernier. En effet, chaque être possède un corps et une manière de penser, un cogito, les deux évidement reliés en fonction de leur coexistence, pourtant tous deux appartenant à deux mondes différents : le corps à la res extensa et le cogito/la pensée à la res cogitans. Le corps est nécessairement relié a la conscience de par la notion d’intentionnalité : si ma tête me gratte, le « Je » va en prendre conscience, et ordonner à ma main d’aller gratter ma tête. Il existe donc une forme de lien entre les deux. La conscience nécessairement rattachée à la notion de corps, malgré son appartenance au monde des Idées, faisant du corps une forme de prison pour la conscience.

Par ailleurs, l’on peut être sujet à nos humeurs, claquer la porte parce que l'on n'a pas bien compris le sujet que l’on nous a donné. Je peux donc être fatalement sujet à la tension de la res extensa, c’est-à-dire aux φαθαμα alias fantasmes en grec antique, me laissant emporter par mes désirs, par mes pulsions, par mes ambitions, par mes rêves, faisant ainsi le corps maître par rapport à la conscience, lui accordant de temps à autre de faire ce qu’il veut, rendant ainsi la conscience de temps à autre esclave du corps. Lorsque l’on s’arrête de penser, le corps prend le dessus, le laissant agir à sa guise car l’on est perdu dans ses pensées, rendant la conscience esclave et le corps malheur de la conscience.

 

 

 Et pourtant, le corps et l’âme sont définis comme liés mais Descartes les considère autrement, définissant ainsi le moi comme universel, indépendant de chaque être, tout comme le montre Kant dans les Fondements de la Métaphysique des Moeurs avec « tout Homme a une conscience qui se voit observée, menacée, et de manière générale, observée par un juge intérieur, et cette puissance qui veille en lui sur les lois n’est pas forgée mais inhérente à chacun ». Kant définit ainsi la conscience comme détachée du corps car celle-ci est inhérente à chacun, universelle, mais tout le monde y est quand même relié grâce à elle, à cause au juge représentatif de la conscience symbolisant le code moral, qui veille en chacun sur ce que l’on fait de bien ou non. De ce fait, la conscience est donc distante du corps faisant ainsi que le problème n’a plus lieu.
Or, la conscience comme l’a définit Descartes est universelle et non propre à chacun, tout comme Pascal a fait la confusion entre le moi universel et le moi individuel - ici, la res extensa comme l’a montré Descartes avec le « foro interno », le for intérieur, dans lequel repose le monde des Idées, distant du monde sensible. Mais le moi individuel est relié à chacun, propre à chacun, différent du moi universel. Ainsi, dans « Peut-on considérer le corps comme malheur de la conscience ? », la conscience peut prendre deux formes au-delà de celle végétative, c’est-à-dire aussi morale et réfléchie et possède une forme universelle au même registre que les lois naturelles ou les mathématiques, n’étant donc pas nécessairement rattachée au corps.

 

 

Finalement, le corps est utile à la conscience mais peut aussi être malheur de cette dernière, lui présenter des désavantages, tout en gardant une distance avec la res extensa. Mais ces deux dernières sont reliées car, dans un sujet humain, il y a une corrélation entre la conscience de chacun et le monde sensible.
Ainsi le corps peut être considéré comme tombeau mais aussi utile à ma conscience et non à La conscience, celle universelle, par exemple grâce au fait de l’intentionnalité (intendere en latin) mettant en lien le cogitatum (objet de  pensée) et le cogito (ma tête, utile pour penser). Si l’arrière de mon crane me gratte, je peux ordonner à ma main d’aller le gratter, ainsi la relation entre corps et conscience ne peut se résumer qu’à un malheur de l’un par rapport à l’autre, mais encore faudrait-il un peu plus étudier le lien qui unit les deux, ce qui donnerait lieu à des questionnements du genre : « le corps est-il sujet ou objet de ma conscience ? » ou « Le corps est-il utile à la conscience ? » (cela reviendrait à étudier le lien entre la res extensa et la res cogitans), ou encore : « La conscience est-elle la seule à supporter le corps ? »

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