Définir les termes du sujet
VIVRE EN SOCIÉTÉ
Vivre en société, c’est vivre avec d’autres hommes selon les mêmes lois. Distincte de la vie solitaire, la vie en société ne désigne donc pas la seule juxtaposition d’individus, mais un ensemble d’individus liés par des lois communes.
INTÉRÊT
L’intérêt est ce qui nous importe en tant que cela nous est utile, c’est-à‑dire en tant que cela nous permet de mieux satisfaire nos besoins ; c’est aussi ce qui nous engage dans une action car nous en voyons la fin, le but recherché.
La poursuite de l’intérêt implique un calcul qui nous permet de déterminer ce qui a pour nous le plus d’avantages et le moins d’inconvénients, cela implique donc une délibération sur les moyens les plus efficaces pour atteindre nos fins, c’est-à-dire sur ce qui constitue un bien pour nous.
Dégager la problématique et construire un plan
LA PROBLÉMATIQUE
Le problème posé par le sujet réside dans l’association de l’intérêt et de la société. En effet, on a tendance à se représenter l’intérêt comme relevant de l’égoïsme quand vivre en société supposerait, au contraire, une aptitude à dépasser nos égoïsmes. Mais alors, comment serait-il possible que nous soyons conduits à dépasser notre égoïsme par intérêt, c’est-à-dire pour satisfaire notre égoïsme ?
La problématique découle de ce problème central, puisqu’il s’agira de se demander si l’intérêt est le seul motif de notre adhésion à la société, dès lors que la logique individuelle de l’intérêt semble devoir se heurter à la logique collective de la société, source de contraintes, de limites imposées à notre volonté. Mais alors, au-delà de l’intérêt, qu’est-ce qui pourrait motiver notre adhésion à la société ? Faudrait-il supposer en nous une vertu sociale innée, qui nous détournerait inéluctablement d’un mode de vie solitaire ?
LE PLAN
Dans un premier temps, on montrera que le choix de la vie sociale n’a rien d’évident au regard de nos intérêts particuliers. Mais alors, serait-il possible de penser que nous faisons ce choix contre nos intérêts ?
Dans un second temps, nous montrerons en quoi ce choix est intéressé, avant de démontrer, en troisième partie, que notre adhésion à la vie sociale peut s’ordonner exclusivement à la logique de l’intérêt dès lors que celui-ci se trouve défini comme un intérêt commun.
Éviter les erreurs
L’erreur possible, sur ce sujet, serait de ne pas voir qu’il présuppose que l’intérêt est l’un des motifs de notre adhésion à la société. L’enjeu central n’est donc pas de savoir si c’est par intérêt que nous vivons en société mais, plus précisément, de savoir si l’intérêt est le seul motif de notre adhésion à la société, et de déterminer, éventuellement, les autres motifs. S’il est possible de remettre en cause le présupposé du sujet dans une partie, cette remise en cause ne peut pas constituer le cœur du devoir – ce serait alors un hors-sujet.
CORRIGÉ
Introduction
Se demander si on ne vit en société que par intérêt, c’est supposer que l’intérêt est un facteur de notre adhésion à la vie sociale, et se demander s’il est le seul, ou s’il en existe d’autres. Doit-on expliquer la vie sociale par la seule logique de l’intérêt, ou cette explication est-elle réductrice ?
L’intérêt est ce qui nous importe en tant que cela nous est utile, c’est-à-dire en tant que cela nous permet de mieux satisfaire nos besoins ; c’est aussi ce qui nous engage dans une action car nous en voyons la fin, le but recherché. La poursuite de l’intérêt implique un calcul qui nous permet de déterminer ce qui a pour nous le plus d’avantages et le moins d’inconvénients, cela implique donc une délibération sur les moyens les plus efficaces pour atteindre nos fins, c’est-à-dire sur ce qui constitue un bien pour nous.
Vivre en société, c’est vivre avec d’autres hommes selon les mêmes lois. Distincte de la vie solitaire, la vie en société ne désigne donc pas la seule juxtaposition d’individus, mais un ensemble soudé par des lois communes.
A priori, on pourrait penser que la vie sociale, par les contraintes qu’elle nous impose, par les limites qu’elle fixe à nos volontés individuelles, contrarie notre intérêt. Le problème posé par le sujet réside donc dans l’association de l’intérêt et de la société, puisqu’on a tendance à se représenter l’intérêt comme relevant de l’égoïsme quand vivre en société supposerait, au contraire, une aptitude à dépasser nos égoïsmes. Mais alors, comment serait-il possible que nous soyons conduits à dépasser notre égoïsme par intérêt, c’est-à-dire pour satisfaire notre égoïsme ?
Il s’agira de se demander si l’intérêt est le seul motif de notre adhésion à la société, dès lors que la logique individuelle de l’intérêt semble devoir se heurter à la logique collective de la société. Mais alors, au-delà de l’intérêt, qu’est-ce qui nous pousse à vivre en société ? Faudrait-il supposer en nous une vertu sociale innée, qui nous détournerait inéluctablement d’un mode de vie solitaire ?
1. Nous ne vivons pas en société que par intérêt
A. Car la vie sociale ne correspond pas à notre nature
Dans un premier temps, il semble que la vie sociale entre en contradiction avec un certain nombre de nos intérêts personnels : elle est, comme l’indique Diogène le Cynique, faite de contraintes et de conventions qui brident nos volontés individuelles et nous détournent finalement de notre intérêt compris comme destination naturelle. À la vie sociale corruptrice, Diogène oppose donc, au nom de la liberté individuelle, le modèle d’une vie solitaire qui serait plus apte à satisfaire notre nature.
B. Car nous avons une tendance à vouloir agir au nom
de nos seuls intérêts individuels
Par ailleurs, il faut reconnaître en l’homme une tendance naturelle à vouloir satisfaire ses intérêts au détriment de ceux des autres, tendance qu’évoque Kant dans l’Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique en ces termes : « Mais il a (…) un grand penchant à se séparer parce qu’il trouve en même temps en lui cet attribut qu’est l’insociabilité, tendance à vouloir seul tout organiser selon son humeur ; et de là, il s’attend à trouver de la résistance partout, car il sait de lui-même qu’il est enclin de son côté à résister aux autres ». Autrement dit, les exigences propres à la vie sociale se donnent d’abord comme des obstacles à nos volontés individuelles guidées par le souci de nos intérêts égoïstes, puisque vivre en société, c’est nécessairement être amené à composer avec d’autres volontés particulières. En ce sens, étant naturellement insociables, nous serions voués à rencontrer les autres membres de la société sur le mode de la résistance et de l’empiètement, le jeu de nos intérêts individuels étant nécessairement conflictuel.
[Transition] À première vue, il semble donc que notre nature ne nous porte pas à vivre en société, notre intérêt naturel compris comme souci de nous satisfaire indépendamment des autres nous orientant vers un mode de vie solitaire. Mais comment penser, alors, que l’on puisse faire un choix contraire à nos intérêts ?
2. Nous vivons en société par intérêt
A. Car vivre en société, c’est additionner nos forces
En réalité, il serait absurde de voir dans le choix de la vie sociale un choix contraire à nos intérêts. C’est précisément pour exprimer l’ambiguïté du rapport entre nos intérêts et la vie sociale que Kant, dans l’Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique, développe le concept d’« insociable sociabilité ». Car la tendance de l’homme à s’isoler est tout aussi naturelle que celle qui la complète, à savoir la « tendance à s’associer, parce que dans un tel état il se sent plus qu’homme, c’est-à-dire qu’il sent le développement de ses dispositions naturelles. » Unis, les hommes coopèrent, et multiplient leurs forces. Ainsi, au fondement de la vie en société se trouve cette dynamique conflictuelle, « l’insociable sociabilité » des hommes, « c’est-à‑dire le penchant des hommes à entrer en société, qui est pourtant lié à une résistance générale qui menace constamment de rompre cette société. » Ce serait alors par intérêt que les hommes accepteraient de renoncer à la poursuite de leur intérêt particulier.
B. Car la vie en société représente un plus grand bien
et un moindre mal
La logique qui régit la poursuite de l’intérêt particulier est définie par Spinoza, dans le Traité théologico-politique, comme répondant à une tendance naturelle pour chaque individu. Il s’agit du principe d’utilité qui repose sur l’efficacité des moyens pour atteindre ce que l’on considère comme un bien : on choisit toujours le plus grand bien entre deux biens et le moindre mal entre deux maux. Or, le choix de la vie en société par les hommes est issu de ce principe de choix. Si je vis en société, c’est que je suis mû par l’espoir d’un plus grand bien. Les fruits de la coopération et de la division du travail sont plus avantageux que ce que nous pourrions obtenir par nos seules forces ; cela permet la spécialisation (produire mieux en moins de temps) et la hausse de la productivité (produire plus en moins de temps) ; cela permet donc le progrès social et l’enrichissement matériel comme culturel. Mais je suis également motivé par la crainte d’un plus grand mal : la loi, qui est certes une limite à notre liberté individuelle (et en cela un mal), nous assure cependant une certaine sécurité. Elle constitue un rempart contre les maux que nous aurions à subir de la part d’autrui si nous n’étions pas protégés (vols, crimes, atteintes diverses à nos biens et à notre personne, qui prospèreraient – chacun cherchant un plus grand bien – s’ils devaient rester impunis).
[Transition] Faut-il alors admettre que la société ne naisse que d’un seul calcul d’intérêt ? Faut-il la réduire à un conglomérat d’intérêts individuels mus par la logique du moindre mal ?
3. Nous ne vivons en société que par intérêt
A. Car vivre en société correspond à l’intérêt de la raison pour la justice
Qu’il y ait, au fondement de la vie sociale, bien plus qu’un ensemble d’intérêts individuels, c’est ce qu’affirme en particulier Aristote, en examinant dans Les Politiques la légitimité des types de régimes politiques et en les évaluant à l’aune de leur capacité à incarner un avantage commun. Ainsi, dit-il, les déviations des formes de gouvernements sont la tyrannie pour la royauté, l’oligarchie pour l’aristocratie, la démocratie pour le gouvernement constitutionnel. « Car la tyrannie est une monarchie qui vise l’avantage du monarque, l’oligarchie celui des gens aisés, la démocratie vise l’avantage des gens modestes. Aucune de ces formes ne vise l’avantage commun ». Autrement dit, l’avantage commun est le critère ultime d’évaluation des régimes politiques. Nous vivons en société pour satisfaire l’avantage commun, et même le souci de la justice peut être compris comme représentant un intérêt, mais un intérêt qui, loin d’exprimer notre égoïsme individuel, exprime notre raison.
B. Car la vie en société implique la formation d’un intérêt commun
Mais comment penser un intérêt commun qui transcenderait nos intérêts individuels ? Pour donner son sens à la notion d’intérêt commun, comme ce qui constitue le véritable fondement d’une vie en société stable et durable, on doit considérer, explique Rousseau dans Le Contrat social, la distinction entre « agrégation » et « association ». L’intérêt commun, dit-il, ne doit pas résulter de la somme des intérêts particuliers, d’une simple « agrégation » d’intérêts : la société serait alors sans cesse menacée de désagrégation car elle conserverait en elle le facteur de dissolution que constitue la logique conflictuelle. La communauté des hommes serait ici celle d’un troupeau, dont un berger doit sans cesse rappeler les individus à l’ordre. Au contraire, l’intérêt commun résulte d’une « volonté générale » qui n’est pas la somme des volontés individuelles (« volonté de tous ») mais « l’acte par lequel un peuple devient un peuple ». Cette volonté ne résulte pas d’un calcul d’intérêt mais c’est un intérêt de la raison (universel) qui s’exprime à travers elle : elle suppose au moins une fois l’unanimité, c’est-à-dire l’accord de tous les hommes sur ce qui est raisonnable.
Conclusion
En définitive, on peut dire que c’est bien l’intérêt qui fonde notre adhésion sociale, mais il serait insuffisant de voir en lui un seul intérêt particulier. La vie en société se fonde en réalité sur la visée d’un bien commun qui n’est pas simplement la somme des intérêts particuliers, puisque leur pluralité est facteur de conflit, mais un intérêt d’un autre ordre qui ne répond pas seulement de la logique de l’efficacité, mais garantit le respect d’une valeur autre : la justice comme garantie de l’égalité parmi les hommes.
source : https://www.annabac.com/annales-bac/ne-vit-en-societe-que-par-interet
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