Aujourd’hui, le mot “éthique” est à la mode, tandis que le mot “morale” paraît vieillot. On parle volontiers d’éthique de l’ingénieur, d’éthique de l’entreprise, ou d’éthique des journalistes. La morale fait tout de suite songer à nos grands-parents; grosse moustache, redingote, canne et chapeau boule. A présent, nous sommes éthiques, ou du moins nous essayons de l’être. Mais qu’est-ce qui différencie l’éthique et la morale ? Est-ce une simple question de mode ? Oui, à suivre l’étymologie.
“Ethique” vient du grec “ ethos ”, qui signifie “comportement”. Le mot a d’ailleurs donné “éthologie”, science – très à la mode elle aussi – du comportement animal et humain. “Morale” vient du latin “ morus ”, qui veut dire également... “comportement”, et qui a aussi donné les “mœurs”. Les Latins ont traduit “ethos” par “morus” et ils ont bien fait, car en rigueur de terme, ces deux mots veulent dire la même chose. Alors, pourquoi avoir deux mots différents pour une seule idée ? Le sophiste Prodicos prétendait qu’aucun mot ne désigne exactement la même réalité qu’un autre. Les philosophes, qui sont des gens compliqués comme chacun sait, se sont engouffrés dans la brèche pour tenter de faire une éthique – ou une morale, comme vous voulez – à partir de la distinction entre ces deux mots.
On peut dire – par définition – que la morale, c’est un ensemble d’obligations à respecter si on ne veut pas avoir d’ennuis avec la justice, ses collègues, son conjoint... Par exemple, on ne peut pas voler du dentifrice, ni écraser les piétons, ni harceler ses collègues, ni faire ses courses tout nu (sauf dans des magasins pour nudistes, ce qui montre que cette obligation morale n’est pas universelle). Il y a aussi des obligations “positives” : on doit travailler pendant les heures de bureau... Ces interdits et obligations sont écrits dans différents textes : Code du travail, Code pénal, contrat de travail. On peut encore évoquer les chartes morales (que l’on appelle “chartes éthiques”, pour être à la mode), qui vous disent surtout tout ce que vous devez faire pour votre entreprise (en échange de quoi vous avez votre salaire plus, parfois, une ambiance de travail familiale, des chèques-repas, une voiture de société ou même le sourire du patron).
La morale trace les contours de l’interdit, du prescrit et du permis. L’éthique, quant à elle, désigne le registre de l’intention personnelle et de l’interprétation des règles. Le philosophe Paul Ricœur a donné une très belle définition de l’éthique, dans “Soi-même comme un autre” : “La visée de la “vie bonne” avec et pour autrui dans des institutions justes.” C’est magnifique ! Mais qu’est-ce que ça veut dire ?
La vie bonne, c’est la vie telle qu’on la rêve, c’est une vie de bonheur. C’est en fonction de ce que quelqu’un croit être le bonheur qu’il oriente ses comportements. Ce qui ne veut pas dire que le résultat de l’action est toujours heureux : si ce qui rend une personne heureuse c’est l’alcool, et qu’elle continue à boire malgré sa cirrhose du foie, il y a sans doute un problème au niveau de sa perception du bonheur.
Tout n’est pas permis pour atteindre au bonheur, car nous vivons avec et pour autrui. Pour que la vie en société soit possible, notre bonheur doit composer avec celui des autres. C’est le sens de la “règle d’or” : “N e fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’il te fasse”. En outre, nous ne vivons pas uniquement avec les autres, à côté d’eux. Nous vivons aussi pour les autres, et nous attendons d’eux qu’ils vivent aussi pour nous, et pas seulement pour eux : se marier est évidemment un projet commun (au moins deux personnes sont impliquées, et souvent deux familles); avoir des enfants, c’est faire des choses pour qu’ils soient heureux; travailler, c’est très souvent chercher à aider des collègues ou des clients...
La troisième partie de la définition, “dans des institutions justes”, signifie qu’on n’est jamais dans une simple relation moi-toi. Il y a toujours des tiers, d’autres autres avec qui et pour qui nous vivons. Autrement dit, la relation éthique s’élargit dans un ensemble de relations de plus en plus vastes : famille, voisins, collègues, passants, Wallons, Flamands (sans oublier les germanophones), Belgique, Europe, humanité, animaux et plantes, système solaire, galaxie et finalement tout l’univers.
La question du bien a deux dimensions, morale et éthique, qui renvoient l’une à l’autre. C’est parce qu’il y a des règles morales que se pose la question de leur interprétation. C’est parce que nous interprétons le monde chacun à notre façon qu’il est besoin de règles communes.
POUR ALLER PLUS LOIN :
Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Seuil, 1990. La définition de l’éthique présentée en détail.
Jacqueline Russ et Clotilde Leguil, La pensée éthique contemporaine, PUF, 2008. Une très bonne introduction à l’éthique, dans la collection “Que sais-je ?”
www.ccne-ethique.fr : Le site du Comité français de bioéthique.
www.jeuxvideo.com/forums/1-68-127418-1-0-1-0-ethique-et-morale-definitions-v2-0.htm : On parle même d’éthique et de morale sur des forums de jeux vidéo !
source : https://www.lalibre.be/debats/opinions/fiche-philo-morale-vs-ethique-51b734b4e4b0de6db975a1af
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