« Les véritables intérêts de l’homme ne doivent pas être confondus avec ses vœux. »
Paul VALERY
L’intérêt se définit avant tout comme ce qui est utile à l’individu, à un groupe, ou à l’humanité toute entière. Il correspond également aux besoins et aux désirs de l’homme. Cependant, celui-ci semble être constamment partagé entre ses propres intérêts et celui de la collectivité. En renonçant à ses intérêts individuels, l’homme perd-il sa liberté ? Si oui, peut-on lui reprocher d’être égoïste ? Est-il donc difficile de concilier les intérêts particuliers et l’intérêt général ? Afin de tenter de répondre à ces interrogations, nous consacrerons une première partie à démontrer le caractère irréconciliable de ces deux formes d’intérêts à la fois d’un point de vue théorique et, d’un point de vue pratique. En second lieu, dans une perspective d’élargissement, nous tenterons de concilier intérêts particuliers et intérêt moyen.
Les intérêts particuliers sont l’ensemble des buts qu’un acteur social se propose pour son bonheur personnel. L’intérêt général, lui, renvoie à la collectivité ce qui contraint l’homme à renoncer à certains de ses propres intérêts au profit de la communauté. Il semble donc difficile de les concilier.
En effet, Rousseau dans Du contrat social affirme d’un point de vue théorique l’incompatibilité de ces deux notions. Les hommes étant tous différents, il leur est difficile de concevoir l’idée de s’unir dans un seul et même but au delà de leurs « divergences momentanées ou de leur dissemblances superficielles ». Chacun ne voyant que ses propres buts, le peuple est réduit à former une agrégation d’individus, c’est-à-dire constituée d’éléments simplement juxtaposés avec aucune unité, au détriment d’une association idéale, laquelle serait au contraire l’union des individus pour une même cause, un bien commun identique. Elle constituerait selon Rousseau « une seule personne morale » distincte des personnes qui la compose. Il naîtrait de celle-ci un bien public différent, voire opposé à l’intérêt privé.
Dans les faits, ces deux notions semblent également s’opposer. Plusieurs événements historiques permettent d’illustrer ce propos. Par exemple, rappelons-nous de certains conflits survenus en France récemment. Le premier concerne le Contrat Premier Embauche, ou CPE, qui a marqué l’année 2006. L’Etat souhaitait lutter contre le chômage des étudiants qui étaient les premiers touchés. Effectivement, il a été constaté que les jeunes de moins de 25 ans subissent un taux de chômage de plus de 20%, lequel peut même atteindre les 40% pour les moins qualifiés. Le CPE est un contrat à durée indéterminée – CDI - qui comprend une période de deux ans permettant aux jeunes de donner toute la mesure de leurs capacités. Le CPE s’accompagne de réelles garanties : de salaire, de formation dès le premier mois ainsi que de protection en cas de rupture du contrat à l’issue de 4 mois effectués dans l’entreprise. En un mot, tout cela a aboutit à un mécontentement de la part des étudiants qui ont mené des mouvements de grèves contre l’autorité du gouvernement. Des votes ont été tenus dans les universités afin de savoir si des « blocages » allaient être décidés. On a alors assisté à la création de deux camps opposés : ceux qui favorisaient le blocage et ceux qui étaient contre ; ce qui a engendré des incidents entre étudiants..
Un second évènement a marqué la France, mais cette fois-ci beaucoup plus récemment : il s’agit de la Loi Pécresse qui a été votée courant Août de l’année 2007. Cette loi visait à imposer une autonomie aux universités notamment concernant le financement de chacune, mais également concernant la « gouvernance » de l’université, mettant ainsi en difficulté les étudiants. Peu de temps après, ils ont lancé un appel à l’abrogation de la Loi Pécresse, ce qui a conduit à de vastes manifestations, lesquelles ont bloqué le trafic SNCF ainsi que l’accès à certaines universités. A cela s’est évidemment ajouté de nombreuses interventions de forces de police, ce qui a en quelque sorte « dégénéré ». A l’échelle européenne, intérêt général et intérêts particuliers semblent encore plus difficile à concilier. En octobre 2004, le projet d’une Constitution européenne fut mis en place dans le but de remplacer les traités précédents. Ce traité a été soumis à ratification dans les 25 Etats membres, mais il fut refusé par la France en mai et par les Pays-Bas en juin 2005; ce qui a mis fin à ce projet. Ici, l’intérêt général de l’Europe fut délaissé au profit de l’intérêt particulier des nations.
Enfin, à l’échelle mondiale, l’exemple qui semble le plus frappant serait celui du Protocole de Kyoto. Celui-ci vise à lutter contre le changement climatique qui met en danger la planète, en visant à réduire les émissions de gaz carbonique. C’est en 1992, au Sommet de la Terre à Rio, que s’est révélé cette prise de conscience internationale du risque qu’implique ce réchauffement climatique. Ce protocole a été signé en 1997. Il est entré en vigueur le 16 Février 2005 avec la participation d’un minimum de 55 pays. La difficulté est que certains pays ont refusé de le ratifier comme par exemple les Etats-Unis et la Chine, lesquels représentent à eux seuls plus d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre du monde industrialisé. Les Etats Unis ont en revanche accepté de le signer l’an dernier, plus précisément le 3 Décembre 2007, sans pour autant accepter de ratifier ce traité. Le problème environnemental est véritablement un intérêt général, puisqu’ il concerne à la fois l’humanité entière ainsi que l’ensemble des êtres vivants sur Terre, mais aussi et surtout les générations futures. C’est donc un sujet sur lequel tous devraient être d’accord pour s’associer. Pourtant,, dans les faits on peut s’apercevoir qu’il n’en est rien.
A la lumière de ces exemples, il faut en conclure que les hommes refusent de s’accorder sur l’intérêt général en se souciant plutôt de leurs intérêts particuliers. Nous voyons bien qu’ils semblent incapable de s’entendre sur un même point : nous avons là une agrégation d’individus au détriment d’une éventuelle association qui serait idéale.
Les citoyens sont-ils ou non capables de véritablement concevoir un intérêt général ?
Pourtant, le modèle de société démontre le contraire. Quelles sont alors les conditions qui permettent un tel compromis ? Et si la conscience instantanée tendait naturellement vers sa propre sauvegarde, la conscience réfléchie ne permettrait-elle pas de donner la priorité à l’intérêt collectif ?
A l'encontre d'un individualisme humain exacerbé, il arrive que l'Homme privilégie, parfois, l'intérêt général par pure générosité. Cela signifie que de façon tout à fait désintéressée, celui qui donne n'attend rien en retour. Son don représente un but en soi, bannissant une quelconque reconnaissance ultérieure. Pour Rousseau, cette générosité est en fait oubli de soi-même, au profit de l'autre. C'est donc sans aucune réserve que le groupe a, sur l'être particulier, la priorité. Pour autant, ce cas de générosité pure, semble assez marginal et serait plus probablement produit par un but en soi, autre que celui d'être généreux, simplement pour être généreux.
Si le sacrifice de l'intérêt particulier au profit de l'intérêt général, existe en théorie, il n'est pas des plus courants. En effet, l'Homme serait plutôt enclin à se sacrifier en vue d'un but particulier. C’est ainsi que dans une perspective altruiste, l'Homme délaisse ses intérêts particuliers, pour fonder autour de l'intérêt général un système qui privilégierait autrui. Dans le cas du philanthrope, ce dernier s’offre entièrement au développement d'un aspect particulier afin de contribuer à son expansion. Cette fois-ci, il est habité non pas par l’essence de la générosité, mais plutôt par l’espoir d’atteindre un but précis. Pourtant une fois encore, cette situation paraît ne pas être la forme la plus courante de l’intérêt général.
Dans une perspective utilitariste opposée à celle de Bentham, l'Homme sait que l'intérêt général est préférable du point de vue de l'efficacité. En résulte alors, la création de sociétés et d’appareils dirigeants qui au-delà d'une existence unique, perdureraient intemporellement, dans le but de se prémunir de la loi du plus fort. Le système Communiste irait même plus loin en plaçant la collectivité avant toute individualité, désireuse de faire disparaître toutes inégalités et couches sociales, au profit d’une production efficace.
Mais alors, pourrait-il y avoir une action qui soit tout à fait désintéressée ?
A l’issue de cette réflexion, il semble donc qu’intérêt général et intérêts particuliers sont rarement conciliables. L’être humain qui sait renoncer à son propre intérêt, matériel et immédiat, au profit d’un intérêt général est d’autant plus digne d’admiration. Nous sommes tous conduits à espérer que des actes purement désintéressés soient possibles même si nous n’en sommes jamais assurés. Kant nous fait remarquer qu’une action « bonne », c’est-à-dire complètement désintéressée, manifeste en quoi l’Homme est capable de suivre un idéal, dépassant ainsi sa condition personnelle pour incarner l’amour de l’Humanité.
source : blog.ac-versailles.fr › philosophie › public › ConcoursC.Erignac08.doc
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