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Bonheur & plaisir chez Épicure, "Lettre à Ménécée"

Publié le 11 Février 2020, 14:10pm

Catégories : #Philo (textes - corrigés)

Bonheur & plaisir chez Épicure, "Lettre à Ménécée"
Nous disons que le plaisir est le principe et la fin de la vie bienheureuse. Car c’est lui que nous avons reconnu comme le bien premier et conforme à la nature, c’est en lui que nous trouvons le principe de tout choix et de tout refus, et c’est à lui que nous aboutissons en jugeant tout bien d’après ce que nous sentons. Et parce que c’est là le bien premier et naturel, pour cette raison aussi nous ne choisissons pas tout plaisir, mais il y a des cas où nous passons par-dessus de nombreux plaisirs, lorsqu’il en découle pour nous un désagrément plus grand ; et nous regardons beaucoup de douleurs comme valant mieux que des plaisirs quand, pour nous, un plaisir plus grand suit, pour avoir souffert longtemps. Tout plaisir, donc, du fait qu’il a une nature appropriée à la nôtre, est un bien : tout plaisir, cependant, ne doit pas être choisi ; de même aussi toute douleur est un mal, mais toute douleur n’est pas telle qu’elle doive toujours être évitée. Cependant, c’est par la comparaison et l’examen des avantages et des désavantages qu’il convient de juger de tout cela. Car nous en usons, en certaines circonstances, avec le bien, comme s’il était un mal, et avec le mal, inversement, comme s’il était un bien.
 
Épicure, Lettre à Ménécée (III° av. J.-C.)
 
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On a vu que le texte débutait par une introduction sur le rôle de la philosophie (I), puis apportait des réponses aux angoisses de l’Homme concernant les dieux et la mort( II). Il s’agit ensuit pour Epicure de réfléchir sur le désir et le plaisir (III).
 
Après avoir étudié les différents types de désirs (naturel et nécessaires, naturels seulement, et vains) l’auteur examine de façon approfondie la question du plaisir. En effet le désir peut être compris comme la résultante de la satisfaction d’un désir.
Thème : le plaisir
Thèse : le plaisir est le bien par excellence mais il faut s’abstenir d’un plaisir s’il est nuisible, c’est-à-dire s’il doit en résulter une souffrance plus forte ce que plaisir lui-même. Ainsi Epicure propose une recherche rationnelle du plaisir fondé sur la réflexion et l’expérience.
Problème : comment savoir si un plaisir apportera une souffrance plus forte ? Qu'est-ce qu’un plaisir nuisible?
 
Plan :
1/ Le plaisir = but de l’action de l’homme (et c’est pourquoi (....) critère)
2/ La recherche rationnelle du plaisir = ( Et parce que c’est là toujours être évitée )
3/Le rôle du jugement (cependant comme s’il était un bien)
 
1/ Le plaisir = le souverain bien Le plaisir est caractérisé comme « le principe et la fin de la bienheureuse». Cela signifie que le plaisir est le but que l’homme cherche à atteindre notamment par la satisfaction des désirs. Si le désir est bien un manque qui crée une forme d’insatisfaction voire de souffrance, alors combler les désirs revient à rechercher le plaisir (ne serait-ce que par la cessation de la souffrance ou de « l’agitation » que produisent le désir). Si le plaisir est le principe de nos actes et de nos choix (ce en vue de quoi nous agissons) alors il faut admettre qu’il est le souverain bien, le bien par excellence. On nomme en effet souverain bien , le bien le plus haut, celui par rapport auquel les autres bien ne sont que des moyens. ( L’argent par exemple est généralement perçu comme un moyen pour se faire plaisir, donc l’argent n’est pas le souverain bien car il n’est qu’un moyen).
 
Ce passage permet donc de qualifier la doctrine d’Epicure d’hédonisme. Quels sont les arguments de l’auteur? Le plaisir est le bien premier et connaturel (congénital, présent dès la naissance). Tous les êtres vivant y compris l’homme sont guidés par le plaisir. Certaines sensations sont agréables et d’autres douloureuses. Très vite l’être vivant sait reconnaître ce qui lui apporte du plaisir et ce qui lui cause de la douleur. Il est « attiré » par le plaisir et cherche par tous les moyens à éviter la douleur. Ainsi il n’y a pas besoin d’apprendre à un être vivant à rechercher le plaisir, il le fait spontanément (c’est innée et non acquis). Comment Epicure explique t-il ce phénomène ? Boire un verre d’eau lorsqu’on a très soif. Que se passe-t-il ? Le corps par ses efforts physiques a perdu de l’eau ; « des atomes » se sont donc échappés de l’organisme avec la sudation. L’ensemble de l’organisme est affecté par cette perte. Ainsi l’apport de l'eau compense cette perte et les « atomes » absorbés remplacent ceux qui sont éliminés. Le corps se reconstitue. Il y a alors une sensation de plaisir qui indique que cet élément est favorable pour la santé du corps.
A l’inverse la douleur intervient quand le corps subi une altération. On peut prendre l’exemple d’une coupure, des « atomes » sont retranchés au corps ce qui se traduit aussitôt par une douleur qui est un avertissement pour mettre hors d’atteinte ou de danger le corps et maintenir ainsi son intégrité. Le deuxième argument : Les choix de l’Homme s’orientent également vers le plaisir. Si l’on reconnaît à l’homme un pouvoir de choix et une liberté, il pourrait ne pas rechercher le plaisir et se proposer d’autres buts. Mais même chez l’Homme, c’est le plaisir qui au final compte le plus. (C’est en lui que nous trouvons le principe de tout choix et de tout refus).
 
Faut-il penser que tous les hommes sont hédonistes ? Epicure juge sans doute d’après l’expérience courante qui montre que les hommes agissent continuellement et travaillent parfois dur pour parvenir à se procurer des satisfactions, (ex : se nourrir). De même lorsqu’un choix se présente entre la douleur et le plaisir nous privilégions celui qui évite la souffrance. Choisir la souffrance serait une forme de masochisme qui semble totalement éloignée de la pensée de l’auteur ou bien si marginale qu’elle confirme bien que les plus grands nombre d’Homme recherchent le plaisir. On pourrait aussi se demander s’il s’agit du plaisir seulement physique, le plaisir du corps ou s’il existe d’autres formes de plaisir.
On peut faire deux remarques à ce sujet. En premier lieu le bonheur à deux composantes : aponie (absence de trouble du corps) et ataraxie (absence d trouble de l’âme) . En second lieu, nous avons vu qu’il existe différents types de désirs et que dans cette classification on trouvait des désirs sociaux ou esthétiques (catégorie des désirs naturels et nécessaires pour le bonheur). Il semble donc légitime de conclure que ce n’est pas seulement le plaisir du corps dont il est question mais du plaisir du corps et de l’âme. Il serait donc réducteur d’associer la recherche du plaisir ou la seule recherche du plaisir physique.
 
Quelles sont les conséquences de cette thèse ? Une doctrine immorale ?
On pourrait vite qualifier la doctrine d’Epicure d’immorale ou d’amorale puisque le plaisir constitue le souverain bien. Si l’on prend l’exemple du vol ou du mensonge par exemple : ils peuvent permettre de réaliser un désir et d’avoir du plaisir. Or si le plaisir est le seul bien pourquoi s’en abstenir ? Si on peut voler impunément (ou accomplir d’autres actions que l’on tient habituellement pour immorale) et avoir du plaisir ne faudrait-il pas s’en priver ?
La réponse d’Epicure est surtout liée aux conséquences de tels actes. Le vol ou les actions considérées comme « malhonnêtes » en général peuvent crée un trouble, une inquiétude de l’âme car on n’est pas sûr de l’impunité. De plus, elles remettent en cause les bases de la vie en société or il est plus avantageux pour l’Homme de vivre en société que de façon solitaire. (De façon générale la vie en société apporte plus de facilité, plus plaisir). Enfin la justice est perçu par Epicure comme utile, c’est un juste milieu entre deux extrêmes : commettre des injustices (et avoir du plaisir) et subir des injustices (et souffrir).
 
Les notions abordées dans la suite du texte comme la prudence tendent à faire comprendre que les plaisirs acquis par des moyens considérés comme immoraux peuvent porter préjudice (non qu’ils soient mauvais en eux -mêmes mais parce qu’ils ont des conséquences qui dans la société peuvent être néfastes : se faire tuer parce qu’on a volé ou commis l’adultère par exemple).
 
2/ La recherche rationnelle du plaisir
Ainsi tout plaisir n'est pas a recherché et il faut s’en détourner s’il apporte une souffrance (physique ou morale) dans le futur. « il y a des cas ou nous passons par-dessus de nombreux plaisirs lorsqu'il en découle pour nous un désagrément plus grand » Si une personne par exemple raffole d’un aliment mais qu'elle sait par ailleurs que cet aliment lui occasionne des troubles de santé important, il est logique qu’elle s’en prive. Les douleurs seront plus importantes que le plaisir (soit en intensité soit en durée). De même si l’on peut obtenir un plaisir physique mais au prix d’inquiétudes importantes et de « troubles de l’âme » alors il est également préférable de se détourner ce de plaisir.
Le principe Carpe diem (profite de l’instant) reste vrai mais est relativisé dans la mesure où l’homme doit réfléchir et calculer ce qui lui apporte finalement le maximum de plaisir (on doit s’abstenir d'un plaisir de l’instant, si on sait qu’il en résulte une souffrance plus forte dans l’avenir, et a contrario accepter une souffrance se cela permet d’éviter une souffrance plus grande). La recherche du plaisir est donc réfléchie.
 
On distingue donc la doctrine d’Epicure qui est hédonisme tempéré et réfléchi de l’hédonisme débridé auquel on associe souvent le nom d’Aristipe de Cyrène dont le mot d’ordre aurait été « buvons et mangeons car demain nous mourrons ». On pourrait toutefois s’interroger sur la manière dont l’Homme peut appréhender le plaisir. Comment savons- nous qu’un plaisir peut entraîner une souffrance dans l’avenir ? Si la sensation nous informe du plaisir ou de la douleur de l’instant, cela signifie que l’Homme doit aussi juger d’après sa mémoire voire d’après ce que d’autres hommes lui transmettent donc d’après la culture. D’autre part, cela montre que l'Homme se projette dans un avenir plus ou moins proche et donc qu’il anticipe les conséquences de ses actes. Il ne vit donc pas dans l’instant ou dans l’immédiat.
Mais par cette projection ne compromet-il pas son plaisir ?
 
3/ Le rôle du jugement
Pour parvenir à la fin recherchée, le bonheur dans le plaisir, l’homme doit donc être capable de faire preuve de jugement. Etre capable de jugement, c’est savoir appliquer une règle générale à des cas particuliers. Ainsi, si la règle générale doit être la recherche du plaisir, l’Homme doit comparer les avantages et les désavantages dans chaque cas et déterminer selon les circonstances qui est susceptible de lui apporter le plus de plaisir et le moins de souffrance. C’est ici que l’expérience tient un rôle important car il semble impossible de savoir a priori si un plaisir aura des conséquences nuisibles.
 
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Qu’est-ce que le bonheur ? Telle est la question fondamentale de l’éthique ou de la morale pour les anciens et par bonheur ils entendaient le bonheur propre comme Alain l’indique à juste titre dans ses Propos sur le bonheur (1925, 1928, propos du 5 novembre 1922, n°89 « Bonheur est vertu »). Soit le bonheur est conçu comme distinct du plaisir et constitué de la seule vertu, soit il est conçu comme un mixte de vertu et de plaisir, soit il est pensé comme étant le seul plaisir. Ainsi le problème est-il de savoir laquelle de ses conceptions est valable ?
C’est ce dont traite cet extrait de la Lettre à Ménécée d’Épicure. Le philosophe du jardin veut montrer à son interlocuteur [on pense qu’il s’agit d’un de ses disciples] qu’on peut penser que le plaisir est bien le contenu même du bonheur.
Après avoir explicité sa thèse sur le bonheur, il répond à une objection relative aux plaisirs manifestement mauvais avant de montrer le rôle subordonné du jugement dans l’obtention de la vie heureuse.
 
 
Épicure commence par exposer sa thèse sur l’éthique ou la morale selon la traduction latine de Cicéron (« Cette question appartient à la doctrine des mœurs (ἦθος pour les Grecs) ; ce nom de doctrine des mœurs est celui que nous donnons d’ordinaire à cette partie de la philosophie; mais, pour enrichir notre langue, on peut être reçu à l’appeler la morale. » ; Quia pertinet ad mores, quod ἦθος illi vocant, nos eam partem philosophiae de moribus appellare solemus, sed decet augentem linguam Latinam nominare moralem; Cicéron, Traité du destinDe fato, I). Il pose que le plaisir constitue la vie bienheureuse. Autrement dit, Épicure identifie plaisir et bonheur. C’est pour cela qu’on nomme sa doctrine un hédonisme (hédonè, ἡδονή, est le mot grec qu’on traduit par plaisir). Il considère que le plaisir est le principe de la vie heureuse. C’en est donc le principe ou point de départ, ce qu’on peut entendre en plusieurs sens. D’abord, on peut l’entendre au sens temporel. Le bonheur commence par le plaisir. Dès lors, il faut comprendre que le désir est second par rapport au plaisir. Ensuite, on peut l’entendre au sens de la connaissance : c’est le plaisir qui nous permet de connaître en matière morale ce qui est bien et mal. Enfin, le plaisir peut s’entendre comme la vérité même en morale. Or, il n’est pas que principe en ce sens, il l’est aussi en tant que fin. Qu’est-ce à dire ?
Par fin il faut entendre l’objectif, le but (en grec télos, τέλος), mais d’un but qui n’est pas lui-même moyen d’un autre but, autrement dit c’est la fin dernière ou la fin ultime de la vie. Autrement dit, dans toute action, ce qui est visé, c’est le plaisir. Il n’accompagne pas l’action comme un simple accessoire comme le pensaient les Stoïciens si l’on pense à la conception de Sénèque dans La vie heureuse (De uita beata, ch. IX). Il est bien ce qui est visé par toute action, quels que soient les moyens mis en œuvre et quelle que soit la longueur de la série téléologique, c’est-à-dire de la série des moyens et des fins. Ce qui signifie donc que c’est le bonheur identifié au plaisir qui est pour Epicure la fin dernière ou la fin ultime. Or, comment le plaisir peut-il être à la fois principe et fin, autrement dit à l’origine et au terme de la vie morale ?
Épicure justifie sa thèse en énonçant à la première personne du pluriel que le plaisir a été reconnu dans sa doctrine comme le bien premier. On comprend d’une part qu’il est un bien et toujours un bien et qu’en tant que premier, les autres biens sont dérivés de lui. Il ajouter que c’est un bien « conforme à la nature » ce qu’on peut comprendre comme signifiant que sa manifestation est innée et indépendante de toute considération culturelle. C’est cette naturalité qui en fait un principe. On peut comprendre alors que le sentiment de plaisir est premier, c’est-à-dire qu’il y a d’abord du plaisir dans la vie ou pour le dire autrement que vivre est naturellement plaisir. Le désir, c’est-à-dire le mouvement par lequel le sujet chercher à retrouver ce qui lui manque, est second. Dès lors, le plaisir dont la présence est originelle peut être un principe de choix en ce sens que le sujet moral choisit ce qu’il escompte être un plaisir supplémentaire ou ce qui doit préserver le plaisir qu’il vit ; et de refus s’il s’agit d’éviter le contraire du plaisir, c’est-à-dire la douleur. Et il est bien la fin en ce sens que nous visons à le conserver ou à le rétablir dans le choix de tout bien second.
Cependant, le plaisir est parfois mauvais au sens de nuisible. Dès lors, comment le considérer comme un principe moral ?
 
Pour lever l’objection qu’on a toujours faite à l’hédonisme, notamment à celui que préconise Épicure, celui-ci explique que le fait que le plaisir soit le principe du choix n’implique pas qu’on le choisisse toujours ni qu’on refuse toujours la douleur. Mais, il ne s’agit pas de refuser un plaisir parce qu’il serait mauvais moralement, ni d’accepter une douleur parce qu’elle serait moralement bonne. Il s’agit de le faire au nom même du plaisir. Autrement dit, il faut considérer le motif du choix ou du refus.
En effet, la raison pour laquelle nous refusons certains plaisirs selon Épicure est d’abord le principe du plaisir. Les plaisirs refusés sont ceux dont on peut penser qu’ils amènent plus de souffrances encore que l’absence de leur satisfaction. Dès lors, permettre leur réalisation va à l’encontre du plaisir. C’est donc bien le principe du plaisir qui guide le refus de certains plaisirs. Il en va de même de la douleur. Elle est le mal. Mais il y a des douleurs qui sont suivis de plaisirs. Et Épicure ne parle pas de plaisirs sentis dans et par la douleur. Ce n’est pas un précurseur de Léopold Von Sacher-Masoch (1836-1885) ou un partisan du masochisme. Toujours est-il qu’il importe alors de ne pas refuser les douleurs lorsqu’elles sont suivies d’un plaisir. Le principe là encore est le plaisir et non un principe moral, devoir ou vertu.
 
En eux-mêmes soutient Épicure, les plaisirs ne sont pas mauvais, ce sont leurs conséquences. C’est dire que si les conséquences de certains plaisirs n’étaient pas mauvaises, c’est-à-dire si elles n’engendraient pas des souffrances, les plaisirs qu’on rejette devraient au contraire être recherchés. Pour prendre un exemple qu’Épicure ne pouvait connaître, on peut rejeter le plaisir de fumer du tabac justement parce que les inconvénients sont nombreux : toux, baisse du pouvoir respiratoire, cancer, etc. C’est donc au nom du plaisir qu’on les refuse. On comprend qu’Épicure dise que le plaisir pris sans ses conséquences est approprié à notre nature. C’est ce qu’il manifeste.
Reste alors à s’interroger sur ce qui peut permettre ce choix. Si le principe est le plaisir du choix est le plaisir, il ne paraît impossible de choisir autre chose et surtout la douleur. Il faut que ce soit plutôt l’esprit qui choisit. Dès lors, le principe de la vie heureuse, n’est-ce pas plutôt le jugement ?
 
En effet, Épicure introduit sous la forme d’une opposition ce qui doit permettre de déterminer ce qu’il faut faire. En effet, on pourrait dire que si c’est le plaisir le principe du choix, s’il faut choisir parfois des douleurs pour obtenir plaisir ou éviter par le choix du plaisir des douleurs plus grandes et si en tant que plaisir il est toujours un bien, comment opérer le choix. On peut alors penser que le bien suprême n’est pas le plaisir mais bien plutôt le jugement ou tout au moins qu’il réside en un certain jugement. Telle était la thèse des Stoïciens comme on la trouve notamment chez Sénèque dans son dialogue La vie heureuse (chapitre IX) où il critique la doctrine épicurienne de la vertu.
 
Il est clair que si le plaisir est le principe du choix, c’est l’esprit et l’esprit seul qui peut calculer dans quel cas il est possible de choisir des douleurs en vue du plaisir ou au contraire éviter certains plaisirs pour choisir de ne pas avoir ensuite une plus grande douleur. Il faut que l’esprit compare, ce qui suppose que tous les plaisirs et toutes les douleurs sont de même nature, autrement dit qu’un plaisir quel qu’il soit est l’équivalent d’un autre plaisir et de même pour la douleur. On comprend qu’en tant que plaisir nul plaisir n’est différent d’un autre. Là encore, c’est dans les conséquences qu’il y a une différence. Et seul l’esprit peut les connaître. Il faut qu’il évalue les avantages, c’est-à-dire tiennent compte de la durée, voire s’appuie sur des connaissances relatives aux effets des actions. Si donc le bon jugement n’est pas le bien suprême, c’est parce qu’il est le moyen d’obtenir le plaisir.
Pour justifier ce calcul relatif aux plaisirs et aux douleurs, Épicure avance que cela revient à traiter un bien comme un mal et inversement. En effet, selon sa doctrine, un plaisir est le bien et une douleur le mal. Or si on choisit une douleur on considère donc ce qui est mal comme un bien et inversement si on refuse un plaisir on le considère comme un mal. Or, cela paraît contradictoire. Mais Épicure précise qu’il s’agit de faire « comme si ». La locution conjonctive de subordination « comme si » signifie une certaine manière de traiter quelque chose qui implique qu’on ne considère pas la chose comme on la traite. Autrement dit, l’esprit traite le bien comme un mal tout en sachant que ce n’est pas un mal et surtout que c’est pour le bien. Ainsi en va-t-il des plaisirs qu’on refuse au nom des obligations juridiques ou morales. Il s’agit alors de préférer les règles qui nous permettent de vivre avec les autres sans conflits, condition du plaisir. Finalement, l’esprit se met au service du plaisir qui reste bien le principe et la fin de la vie heureuse.
 
En un mot, le problème était de savoir s’il est possible de faire du plaisir le fond du bonheur auquel tous les hommes aspirent étant entendu que certains plaisirs sont manifestement mauvais. On a donc vu comment Épicure, dans cet extrait de sa Lettre à Ménécée, après avoir posé que le plaisir est le fondement de la vie morale, rend compte du traitement différencié des plaisirs et des douleurs afin de vivre avec le plus de plaisir possible.
Il resterait toutefois à se demander si le plaisir est simplement un état ou bien s’il se situe plutôt dans l’action.
 
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