A l'appui de l'analyse en lien ci-dessous de Vertigo, utiliser l'approche du désir proposée dans le film pour proposer un argument dans le cadre du traitement d'une des dissertations suivantes :
Quel est le véritable objet du désir ?
Le désir peut-il se satisfaire de la réalité ?
Est-il absurde de désirer l'impossible ?
Faut-il suivre ses désirs ?
Et croiser cet argument avec au moins :
- un autre emprunté à la figure de Don Juan ou à celle du Werther de Goethe
- un autre emprunté soit à la liste suivante soit aux fiches sur Platon et Spinoza
Proposition de traitement par Mlle Claire SZYMCZYSZYN, élève de TES1, lycée Albert-Ier de Monaco, décembre 2019
Sujet : le désir peut-il se satisfaire de la réalité ?
« Soyez réalistes, demandez l’impossible » est un slogan ironique de Mai 1968 qui illustre que la réalité n'est jamais celle qu'on avait rêvée. Le désir peut-il se satisfaire de la réalité ? Par définitions, Désir : Expression de la conception humaine elle-même. Recherche d’un objet dont on espère une forme de satisfaction que l’on imagine telle. On a désir que sur ce qu’on n’a pas, donc cela apporte de la souffrance.
Peut-il : verbe pouvoir, la volonté peut-elle régler le désir en lui conférant comme objet, ce qui accessible, la réalité
Se satisfaire : se contenter, se rassasier avec, faire qu'on en a assez, on ne désire rien d'autre.
Réalité : ensemble des choses réelles et données, ce qui existe effectivement
I. Le désir est capable de trouver dans la réalité satisfaction ?
II. Mais, est-il est possible de mettre fin au désir par la réalité ?
III. Alors est ce que la coexistence désir et réalité est-elle possible ?
I. Oui, il est possible de trouver ponctuellement une situation qui satisfasse nos désirs.
Spinoza - Désir : Moteur de vie, créateur de valeur. Spinoza exprime que le désir est un moteur de vie pour la nature humaine. Selon lui le désir s’écarte de la définition traditionnelle telle un cercle vicieux entretenu par le manque : « Le désir, écrit Spinoza, est l’essence même de l’homme, en tant qu’on la conçoit comme déterminée, par suite d’une quelconque affection d’elle-même à faire quelque chose ».
Ensuite, il parle du conatus (effort en latin, il s’agit de la tendance à persévérer dans son être). Spinoza ajoute que si le conatus est bien exploité, alors le sujet est heureux. Il exprime que le désir est souverain. Pour lui aucun objet/individu/situation n'est désirable. La seule chose de désirable est le conatus : « Au contraire, si nous jugeons qu’une chose est bonne, c’est précisément parce que nous nous y efforçons, nous la voulons, ou aspirons à elle, ou la désirons ». La volonté humaine ne peut pas s'opposer au conatus lors du processus du désir. L'individu doit recourir à des solutions pour ne pas devenir l’esclave de ses désirs. La raison contrôle le désir et permet de le comprendre pour ne pas freiner le conatus.
Pour Spinoza l’abandon du désir a pour conséquences de devenir un esclave. Et le soumettre à la raison a pour conséquences d’avoir une liberté.
Le sujet peut se satisfaire de la réalité car le désir a vocation à rendre esclave l’Homme, le désir est sans cesse renouvelé par le manque et crée un cercle vicieux.
II. Non, il est impossible de mettre fin au désir par la réalité.
NON désir basé sur l’imagination . Désir impossible : ne met pas fin, mais est une finalité. Le désir ne peut pas se satisfaire de la réalité parce qu’en devenant rationnel, il devient moral et la morale dénonce clairement la réalité telle qu’elle est aujourd’hui.
Platon
Pense que le désir peut conduire à la sagesse, il confond désirs, besoins, pulsions, souhaits . Pour lui tout désir trouve son existence à travers le manque qui engendre une souffrance. Mais le manque seul ne suffit pas, il faut l'imagination qui signale ce manque = carence crée la douleur et le désir est le moyen d'arrêter la souffrance de ce manque.
Désir = faculté de l'âme capable de représentation. Platon dit que pour être heureux il faut sans cesse satisfaire ses désirs, il contredit donc Socrate et l'image du tonneau des Danaïdes, c’est-à-dire que d’après Socrate, vouloir satisfaire ses désirs reviendrait à vouloir remplir un sceau troué, nous sommes éternellement condamnés à le remplir, il ne sera jamais plein, donc nous serons jamais satisfaits. Il prône la tempérance en distinguant les niveaux de satisfaction des désirs en restant à égale distance des deux extrêmes (l’ascétisme et l'intempérance).
Il invite à se tourner vers le bien, à passer des désirs ordinaires au désir de sagesse. Dans un sens nous pouvons penser que Platon ne se satisfait pas de la réalité car il parle de cercle vicieux du désir, car un autre revient toujours derrière. Ensuite, il conseille que pour être heureux il faut toujours satisfaire tous ses désirs, ce qui insinue qu'un nouveau désir arrive toujours après en avoir réalisé un. Donc il ne peut pas se satisfaire de la réalité et désire sans cesse afin d'être heureux et de réaliser ses désirs.
Don Juan
Don Juan est un personnage baroque que nous connaissons à travers la pièce de Molière. Il est qualifié de séducteur, d’infidèle, de libertin et de blasphémateur (tient des propos injurieux contre des personnes ou des choses respectables). Il accumule les conquêtes en séduisant n’importe qu’elle femme pour ensuite la laisser. Il est la figure d’un désir : indéfini, interdit et sensible
Indéfini : - Figure du désir in-defini (« sans limite ») - Il ne trouve pas de satisfaction ultime - Le désir n’en a jamais « assez »
Interdit : - Ce désir s’aiguise aux difficultés et aux interdits - Il aime celle qui lui sont interdites - Il trouve du plaisir à faire le mal pour le mal
Sensible : - Caractère toujours insatisfait et problématique du désir sensible - Il cherche désespérément une satisfaction ultime dans un ordre sensible où elle ne peut jamais être trouvée - L’existence humaine est par essence vouée au manque, à l’absence de fin ultime
Ce qu’il désire c’est le fait de désirer. Il admet que pour satisfaire ses désirs, il exciste d’autres moyens que la réalité.
III. La coexistence désir et réalité n’est pas faisable
HITCHCOCK, Vertigo
Dans l’extrait étudié en classe, le désir semble contraire à la réalité. En effet, l’image idéalisée de la femme animée n’est pas l’image réelle. La distance alimente le désir. « Les opposés s’attirent » prend tout son sens ici, puisque John est un Américain banal, il est terre-à-terre ce qui ne l’empêche pas de tomber amoureux de l’icône magnifique qu’incarne Madeleine. Leurs désirs terrestres sont opposés, l’homme aime la vie, la femme veut la mort.
Le vertige est un thème récurrent pour Hitchcock. Ici, on peut supposer qu’il est symbole de trouble, de distance avec la réalité. En effet, John Scottie vivait de la passion amoureuse, il cherchait à satisfaire son désir en approchant la jeune femme. Leur rencontre inversée ne se fait pas dans les règles de l’art. Leur premier contact se fait à travers un geste physique. Alors que la femme ne connait pas l’identité de son amant, ce dernier l’approche très brutalement. Alors qu’il s’attendait à ce que l’achèvement de ce désir devienne plaisir, l’homme est surpris de ses propres sentiments. Le contact physique rompt le désir. La réalité est ici contraire à ses attentes.
Auparavant, son désir était entretenu car il voulait l’impossible. La chute dans l’eau est métaphore de la chute du désir. Cette chute permet de faire face à la réalité. Des éléments cinématographiques soulignent cette idée. En effet, les rôles vont s’échanger. En passant par le couleur des habits, jusqu’aux plans et aux cadrages, aucun détail n’est épargné. La distance physique caractérise une distance avec la réalité. Le plan en contre-plongée de Madeleine lorsqu’elle se trouve auprès du feu dans l'appartement de Scottie accentue l’idée que le désir de John a disparu puisque la femme est en bas de ses attentes (proche du sol).
Enfin, John a peur du vide, en suivant l’idée que les vertiges sont un moyen de troubler la réalité. Tomber dans le vide serait pour lui un retour brutal à la réalité, ce qui met fin à ses désirs.
Werther
Mêle désir/fin à ses jours. "Les souffrances du jeune Werther" écrit sous la plume de Goethe, Werther est un jeune homme qui se rend à la campagne. Il y fait la rencontre lors d’un bal de Charlotte, jeune femme promise à un certain Albert qui, apprend-on est en voyage, et dont il tombe très vite amoureux. Mais Albert revient rapidement, et Werther souffre alors de voir Charlotte heureuse avec un autre homme. Il prend la résolution de quitter Wetzlar pour entamer une carrière dans une ambassade. Il y fait la rencontre d’une autre femme, mais ils ne se fréquentent que très peu de temps : après avoir été publiquement humilié par la haute société pour n’être qu’un roturier, Werther décide de quitter son emploi peu de temps après. Après un pèlerinage sur les lieux de son enfance, tel Ulysse, il finit par retourner auprès de Charlotte mais sa passion n’a pas faibli : elle a même grandi. Il finit par se suicider. La réalité qui fait surface empêche le bonheur de Werther, ce qui met fin à ses désirs. Ici, la confrontation du personnage à la réalité ne le satisfait pas et le mène au suicide. Le désir ne peut dont pas s’allier à la vie terrestre.
Pour conclure, nous sommes condamnés à désirer. Le désir ne peut pas trouver satisfaction dans la réalité, car cette dernière est souvent trop éloignée de nos attentes. Alors que Spinoza décrit le désir comme moteur de vie, Platon, Molière et Hitchcock prennent le contre-pied. En effet, Platon exprime qu’on ne peut pas se satisfaire de la réalité puisque le fait de désirer sans cesse entretient notre bonheur. A son tour, Molière dévoile à travers le personnage de Don Juan que la réalité n’est pas la réponse à son désir, puisque ce qu’il aime c’est le fait de désirer et non de trouver finalité à ses désirs. De plus, dans Vertigo, John a peur du vide, en suivant l’idée que les vertiges sont un moyen de troubler la réalité, tomber dans le vide serait pour lui un retour brutal à la réalité, ce qui met fin à ses désirs. Enfin, Goethe montre que lorsque la réalité face surface, cela empêche le bonheur de Werther ce qui met fin à ses désirs.
Nous pourrions donc dire que, pour être satisfait de la réalité, il conviendrait de demander l’impossible et de se poser la question : Accepter la réalité, serait-ce renoncer au désir ?
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