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"La lucidité est-elle un obstacle au bonheur ?"

Publié le 29 Janvier 2020, 18:30pm

Catégories : #Philo (textes - corrigés)

"La lucidité est-elle un obstacle au bonheur ?"

Introduction

(justification) « Je me suis quelquefois proposé un doute : savoir s’il vaut mieux être gai ou content, en imaginant les biens qu’on possède être plus grands et plus estimables qu’ils ne sont, et ignorant ou ne s’arrêtant pas à considérer ceux qui manquent, que d’avoir plus de considération et de savoir, pour connaître la juste valeur des uns et des autres, et qu’on devienne plus triste. »
Descartes, Lettre à Elisabeth, 6 octobre 1645.

 (Problème) Ainsi, considérer objectivement la vraie valeur de toutes choses, sans entretenir d’illusions à leur sujet, ne nous condamne-t-il pas à la tristesse ?

Il est vrai qu’il apparaît difficile d’être serein quand on prend conscience de certaines réalités, telles que les injustices, la misère, etc. De plus, si être heureux signifie bien satisfaire tous ses principaux désirs, force est de constater que le réel contrarie bien souvent nos aspirations. Comment, dès lors, ne pas être tenté de se réfugier dans des illusions réconfortantes ?
Cependant, regarder la réalité en face, en toute conscience et objectivité, n’est-ce pas là une exigence de la raison ? Comment l’homme peut-il donc être entièrement comblé s’il n’accomplit pas totalement sa nature ? Et, le charme de l’illusion se maintient-il indéfiniment ? Peut-elle donc nous procurer une satisfaction durable?

(Reformulation) En définitive, la conscience réfléchie est-elle un frein à l’acquisition de la paix intérieure, ou bien est-ce dans l’inconscience que se trouve le plus grand malheur de l’homme ? Et qui du naïf ou du clairvoyant est le plus à même de combler ses principaux désirs ?

Développement
(Thèse)  Regarder la réalité en face, rien ne s’oppose plus à notre tranquillité et à la satisfaction de nos vœux les plus chers.

(Arguments) - La réalité est souvent décevante. Combien de fois en effet vient-elle contrarier nos désirs, nous laissant ainsi dans un état de frustration permanent ? Seule l’imagination peut alors nous venir en aide. « On jouit moins de ce que l’on obtient que de ce que l’on espère », écrivait Rousseau dans La Nouvelle Héloïse. L’imagination est cette « force consolante qui rapproche de l’homme tout ce qu’il désire », qui réalise idéalement tous ses vœux, l’empêchant ainsi de sombrer dans le désespoir.

- Nombre de vérités sont cruelles. Apprendre la maladie d’un proche, la trahison d’un ami, la mort d’un parent, etc., peut nous anéantir. Seule l’illusion peut alors nous consoler et nous éviter de sombrer dans un pessimisme désespérant. C’est ainsi par exemple que, de retour des camps, Primo Levi - qui tentait d’avertir une famille de la mort de leur fils, raconte qu’ils n’ont jamais voulu le croire, entretenant l’illusion qu’il s’était seulement absenté et que son retour ne tarderait pas.

- La réflexion inquiète et trouble par les questionnements incessants, les doutes qu’elle fait naître. Ainsi, « pourquoi j’existe ? », « la mort est-elle pur néant ? », « pourquoi le mal existe-t-il ? »… autant de questions angoissantes, qui donnent le vertige, et auxquelles il apparaît bien difficile de répondre. Comment ne pas être tenté alors de se divertir, de s’agiter en tous sens, pour n’avoir pas à y penser ? (Voir Pascal, Les Pensées : le divertissement.)

(Transition) Mais chacun sait que la réalité peut toujours nous rattraper, et que la désillusion est souvent bien plus amère que le réalisme. L’illusion expose à bien des tourments, à de cruelles déceptions.

(Antithèse) Il faut savoir pour être heureux.

(Arguments) - L’homme ne peut atteindre l’ataraxie que s’il se délivre de ses craintes infondées, sources de troubles. Ainsi, pour Epicure, si les hommes redoutent les dieux et la mort c’est parce qu’ils se laissent abuser par les mythes qui véhiculent des opinions fausses à leur sujet. Une compréhension rationnelle de ces réalités leur permettra donc de les aborder sereinement, sans inquiétude.

- Le seul moyen d’assouvir ses désirs les plus chers est de les conformer à la réalité, en ne désirant que ce qui est en notre pouvoir. Là est la prudence qui commande de ne pas désirer l’impossible, ce qui implique qu’on puisse distinguer clairement et distinctement, en toute conscience, ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas. Désirer l’impossible nous condamne à l’impuissance et à la frustration qui en découle. (Voir Descartes, Discours de la méthode : la troisième maxime de la morale par provision.)

- Se maintenir dans certaines illusions interdit de transformer la réalité et nous maintient alors dans notre misère ou malheur. Ainsi, selon Marx, « la religion est l’opium du peuple » (Critique de la philosophie du droit de Hegel). Croire que les pauvres de la terre seront heureux au Ciel console le prolétariat de sa misère sociale. Mais l’opium ne guérit pas : il endort les souffrances. A la misère sociale du prolétariat il faut donc répondre par une transformation concrète et radicale de la société, dans laquelle elle ne puisse plus se manifester.

(Transition) Mais, croire que le bonheur est entièrement en notre pouvoir, dépend de nous, n’est-ce pas une illusion ? Le bonheur ne dépend-il pas également de conditions qui échappent à la simple volonté, de circonstances favorables qui relèvent de la fortune, telle qu’une santé robuste par exemple ?

(Synthèse) La lucidité, condition nécessaire, mais non suffisante du bonheur.

- Nécessaire, car pour être heureux il faut être en harmonie avec soi-même. Or, comment peut-on l’être si l’on se voile à soi-même ce que l’on est ? Il faut, pour coïncider avec soi-même, sortir de l’illusion et prendre conscience de soi. L’on ne peut espérer satisfaire ses désirs que si l’on prend conscience de ce qui nous manque. On ne peut donc s’affairer à rechercher le bonheur si l’on ne sait quel vide l’on doit combler pour atteindre la plénitude.

- Nécessaire, mais non suffisante, car le bonheur est un concept indéterminé qui renvoie à l’idée « d’un tout absolu, d’un maximum de bien-être dans mon état présent et dans toute ma condition future » (Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs). Ainsi, même si je m’efforce de déterminer consciemment ce qui serait susceptible de me rendre heureux, je ne peux jamais dire en toute précision ce que je souhaite, et comment l’obtenir. Le bonheur est un « idéal de l’imagination », non un concept de la raison.

 Conclusion

Certes, la lucidité ne garantit pas notre bonheur, elle y contribue seulement. Mais, s’il existait une méthode « miracle » qui nous permettait à coup sûr de l’atteindre, sa quête aurait sans doute moins de saveur ! En revanche, les « paradis artificiels » -qui nous font perdre de vue la réalité, ne peuvent nous procurer que des plaisirs fugaces et illusoires, et provoquent, à terme, d’amères déceptions.
Cependant, l’homme ne peut se satisfaire d’une existence strictement rationnelle et lucide. Il a aussi besoin de rêver, son équilibre en dépend. Par conséquent, il revient à chacun de trouver un savant dosage entre moments de lucidité (principe de réalité) et espaces de rêverie (principe de plaisir) pour, à défaut d’être heureux en cette vie, ne sombrer ni dans la folie, ni dans un pessimisme désespérant.

 

source : 

http://www.lyc-moulin-pezenas.ac-montpellier.fr/IMG/pdf/cgA_c_la_luciditA_c_obstacle_au_bonheur.pdf

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