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"Quel sens peut-on donner à l’expression: “C’est plus fort que moi“ ?"

Publié le 3 Décembre 2019, 17:16pm

Catégories : #Philo (textes - corrigés), #Dissertations d'élèves

"Quel sens peut-on donner à l’expression: “C’est plus fort que moi“ ?"

Proposition de traitement par Audrey Philipon, lycée Albert-Ier de Monaco, TS4, novembre 2019.

 

            Dans la langue française, ainsi que dans d’autre langues, on emploie régulièrement l’expression “Ceci n’a aucun sens“. Le sens permet de mettre une définition sur un objet, un geste, une action ou un événement lui permettant de trouver une cohérence. Cette expression montre qu’il n’est pas tout le temps évident de trouver une cohérence. Par ailleurs, une expression est une phrase souvent employée afin de faire comprendre une idée précise, c’est une sorte d’abus de langage.

            L’expression “c’est plus fort que moi“ confronte l’idée du fort et du moi. Le moi est ce qui constitue l’individualité d’un être humain. En effet, ici on suppose que le moi peut être dépassé et qu’il n’est pas tout-puissant. De plus, la question précise que l’on cherche un seul sens car “Quel“ est au singulier. Pour autant, on est en mesure de se demander s’il n’existe pas différents sens ou bien de vérifier s’il en existe déjà un.

Dans ce cas, on peut alors se demander, si un “moi“ existe, par quoi il est défini : qu’est-ce qui est capable de nous dépasser ? Est-ce quelque chose qu’on ne peut pas dépasser à notre tour ? Être plus fort que soi n’est-il pas tout simplement un abus de langage qui nous confronte à un chemin de facilité ?

            Tout d’abord, il faut procéder à l’analyse du moi où il symbolise un être, une chose conditionnée. Puis dans un deuxième temps on peut observer comment le moi est un être transparent à lui-même. Et enfin, une approche de ce dont est composée la mémoire humaine.

 

 

            Jean-Paul Sartre a dit à la conférence L’existentialisme est un humanisme en 1946 que “L’existence précède l’essence“. Cela signifie que nous sommes venus au monde avant d’avoir un objectif prédéfini à accomplir sur Terre. Si l’on étudie cette citation en relation avec notre expression, cela souligne que l’on peut être confronté à quelque chose à tout moment. On écarte l’idée qui consiste à considérer que la force exercée dans la question, s’apparente à quelque chose  de physique, car scientifiquement, l’Homme peut-être dépassé physiquement. Ici on parle de la force d’un point de vue psychique. Et donc l’expression nous amène à nous demander : qu’est-ce qui est si fort mentalement que l’Homme n’ait pu appliquer la solution qu’il désire ?
On peut s’appuyer sur la définition de Karl Marx donnée dans sa Critique de l’économie politique en 1859  :“Ce n’est pas la conscience des Hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience“. Marx explique ici que notre manière de penser est définie par la société qui nous entoure. C’est cette même société qui peut être à l’origine de cette force supérieure. Si la société est capable de définir nos manières de penser, c’est qu’elle possède une force bien supérieure à la nôtre car on se laisse entraîner par une conscience qui ne dépend pas de nous et nous ne semblons pas lutter contre cela. Il semble donc assez évident que la société exerce une "pression", afin que nous soyons dépourvus de nous-même et de nos choix, forcés de choisir celui qui nous est imposé.
Blaise Pascal est dans la continuité de cette société qui nous impose nos choix. En effet, dans son ouvrage les Pensées en 1670, Pascal tente de définir le moi par l’existence physique mais également par l’existence mentale, les pensées. Pascal finit par se rendre compte que rien de ce qui nous définit n’est perpétuel, aucun de nos traits ne sont permanents. Tout est constamment en changement. Il arrive à la conclusion que “on n’aime donc jamais personne mais seulement des qualités empruntées“. Pascal définit ces qualités empruntées comme des masques que l’on met pour s’afficher dans la société. Des masques différents et en éternel devenir car rien ne nous définit indéfiniment. Un masque est symbolisé comme quelque chose de matériel, voire de fragile. Il est simple de se faire dépasser lorsque notre force ne s’appuie que sur un masque. A tout moment il peut se briser et nos choix sont donc faits en fonction de ce qui l’abîmera le moins. Bien évidemment dans cet exemple, le masque est considéré comme quelque chose de négatif empiétant sur notre potentielle force sans le masque. Mais il peut aussi attribuer une force supplémentaire. Le masque entraîne obligatoirement la création d’une hiérarchie qui n’a pas forcément lieu d’être initialement. Si le masque d’un individu lui permet d’être placé dans le haut de la hiérarchie, alors il se verra attribuer une force supplémentaire, ce qui ne serait pas le cas si tout le monde était sur un même pied d'égalité. Mais si quelque chose est plus fort que nous, c’est que nos décisions sont impactées, ce qui présente un désavantage.

           
A travers ces philosophes, un dépassement paraît assez évident voire logique. Mais qu’en est-il si l’on considère le moi comme un être transparent à lui-même, un être capable de s’analyser ?

 

            En effet, ce n’est pas parce que notre façon de penser est déterminée par la société que cela veut dire que l’on n’a pas conscience de nous-mêmes. Dans Le Discours de la méthode en 1637, René Descartes définit le “cogito ergo sum“ en remettant en question tout ce qui se trouve autour de lui afin d’analyser ce qui existe réellement de façon irréfutable. Il se trouve face à la conclusion suivante : si je suis capable de penser c’est que j’ai une conscience. Donc “Je pense, donc je suis“. Selon Descartes le propre de l’Homme est défini par sa conscience. L’Homme sait à quoi il pense, il est en pleine conscience. Alors, dans ce sens, il est nécessaire de reconsidérer notre expression de départ. Si l’on a pleinement conscience de nous-mêmes, qu’est-ce qui peut donc être plus fort ? Quel peut être ici le dépassement ?
On peut considérer le dépassement comme une volonté de chaque être. Là où précédemment on parlait de dépassement dans le cas où une société nous impose des conditions, ici c’est l’Homme lui-même qui va le faire. Plus précisément, L’Homme ayant toute conscience, connaît tous les choix qui lui sont présentés face à une situation donnée. Ce n’est pas réellement quelque chose qui dépasse l’Homme, c’est une simple solution de facilité. Aller au-delà de ces forces mentales est possible mais très souvent cela a un coût très élevé. Dans le cas présent, l’Homme va donc choisir un chemin qui ne sera pas parfait mais qui sera seulement moins difficile que de lutter contre cette force. Prenons l’exemple de l’addiction à une drogue. Il est courant d’entendre un drogué répondre “c’est plus fort que moi“ quand on lui demande pourquoi il n’arrête pas de consommer. Pourtant, on sait qu’il est possible d’arrêter de prendre de la drogue. Mais c’est souvent une tâche extrêmement difficile. Pour un drogué, il est plus facile de continuer de prendre de la drogue plutôt que de prendre la décision d’arrêter. Personne ne lui met de barrière, c’est lui-même qui se les crée. Et le drogué est conscient de tout cela, mais face à la difficulté de la situation, arrêter sa consommation n’est pas une solution pour lui.

           

L’Homme serait donc conscient de tout ce qu’il entreprend. Mais selon quelques philosophes, cette définition connaît des limites.

 

            Certains exemples pourraient contredire la conscience définie par Descartes au 17e siècle. Sigmund Freud développe en ce sens la théorie de l’inconscient. La présence des rêves serait la principale source de la croyance qu’il existe un inconscient. En effet, on ne sait pas définir pourquoi on rêve et plus particulièrement pourquoi est-ce que l’on rêve de ce dont on vient de rêver. Car c’est un acte conscient qui présuppose que d’autres actes l'expliquent. Mais ces explications ne proviendraient pas de la conscience et font appel, comme il est indiqué en 1915 dans Métapsychologie,  à des lacunes des données de la conscience. Il y aurait donc quelque chose qui nous dépasse à l’intérieur de nous. Le psychisme serait constitué de la conscience et de l’inconscience. A ce niveau , si l’on n’a pas conscience de tout ce qui se passe en nous métaphysiquement, on ne peut pas avoir conscience de ce qui nous dépasse ou bien on en prendra conscience trop tard. C’est peut-être cette définition qui se rapproche le plus de ce dont on parle dans la langue française. En effet, on est dépassé, quelque chose est plus fort que nous mais on ne sait pas exactement quel est ce dépassement. C’est plus fort que nous car effectivement on ne peut pas lutter contre quelque chose dont on n’a pas pleinement conscience.

 

            Pour conclure, il serait plus logique de reformuler la question et de demander “Quels sont les sens“. Car en effet, chacune des parties développées fait part des différentes façons dont une certaine chose est plus forte que soi. Que cela soit par la société, par nous-mêmes ou par une existence non connue, il semble plus ou moins possible qu’une chose soit plus forte que soi.
Cependant l’expression utilisée telle quelle dans la langue française perd beaucoup de son sens et est utilisée à tout-va pour des choses minimes de la vie au quotidien bien que cette expression ait en réalité plusieurs sens très profonds.

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