Définition de contreculture
Etymologie : du latin contra, en opposition, contre et cultura, culture, agriculture.
La contreculture désigne un ensemble de manifestations culturelles, d'attitudes, de valeurs, de normes utilisé par un groupe, qui s'oppose à la culture dominante ou la rejette. Le terme a été créé en 1969 par le sociologue Theodore Roszak. Il s'applique à un phénomène structuré, visible, significatif et persistant dans le temps.
Dans les années 1970, le terme contreculture est utilisé pour qualifier les mouvements contestataires de la jeunesse à l'encontre de la domination culturelle de la bourgeoisie et du puritanisme sexuel :
mouvements d'extrême gauche, maoïsme,
révolution sexuelle,
mouvement hippie.
La contreculture était alors représentée dans les médias par le journal Libération, les magazines Actuel, Novamag, les premières radios libres…
Exemples de mouvements pouvant être associés, selon les époques, à la contreculture :
le féminisme,
la musique contestataire,
l'underground artistique,
les arts de la rue,
le dadaïsme,
le surréalisme,
le situationnisme.
Il n'est pas rare de voir les personnes les plus créatives ou certaines des composantes de la contreculture récupérées par la culture dominante et le système marchand. Ainsi apparaissent de nouveaux produits fabriqués industriellement issus de la contreculture comme les blue-jeans usés.
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Depuis son apparition comme concept sociopolitique majeur à la fin des années 1960, le terme de « contre-culture » a régulièrement refait surface dans la littérature académique, les médias et le langage commun pour désigner des idées, des pratiques et des croyances contre-hégémoniques. En général, il est utilisé pour distinguer des valeurs considérées comme dominantes ou largement partagées [mainstream] de systèmes de valeurs alternatifs qui, tout en étant le fait d’une minorité, sont agencés dans une pluralité de formes culturelles – la musique, l’écriture, l’art, les luttes socioculturelles et ainsi de suite. Ces différentes formes servent à amplifier la portée collective d’une contre-culture et permettent à une minorité d’acquérir une certaine visibilité. Depuis de nombreuses années, les chercheurs lui ont pourtant préféré le concept de « subculture », qui s’est imposé comme cadre conceptuel de référence pour l’examen de pratiques anti-hégémoniques, notamment chez les jeunes. La validité du concept de subculture a pourtant fait l’objet d’un débat théorique permanent, qui s’est focalisé sur sa définition problématique en terme de structures sociales/de classe. À un premier niveau, une telle perspective se révèle de moins en moins opérante dans un monde social caractérisé par la réflexivité, la fragmentation et le pluralisme culturel (cf. Bennett, 2011). Aussi, la contre-culture, comme cadre conceptuel, pose une série de questions tout aussi pertinentes, notamment par la manière dont il a été utilisé pour qualifier certaines tendances récentes de l’action et de la pensée sociopolitiques – particulièrement les nouveaux mouvements sociaux et les modes de vie alternatifs, mais parfois aussi d’autres aspects de la société tels que les religions organisées (Elliot, 1990) ou la question du racisme (van Donselaar, 1993).
2J’entends ici revisiter et réévaluer d’un point de vue critique le concept de contre-culture en tant qu’outil pour analyser et expliquer des catégories d’idées, de pratiques et de croyances anti-hégémoniques passées et présentes. Cet article considère d’abord l’émergence du concept de contre-culture à la fin des années 1960 et son association au mouvement hippie. Suit une évaluation de la façon dont des développements plus récents de la théorie sociologique complexifient et problématisent la définition héritée des années 1960, et de la façon dont cette définition a été redéployée ces dernières décennies pour caractériser d’autres phénomènes culturels et sociopolitiques. J’essaie enfin de comprendre comment de nouveaux phénomènes sociaux, concomitants de différentes évolutions matérielles telles que l’essor des technologies numériques, permettent de réinterpréter la contre-culture.
Les origines de la contre-culture
3Alors que les origines précises de la « contre-culture » sont incertaines, le terme est entré dans le langage courant à la fin des années 1960 lorsqu’il fut associé au mouvement hippie. S’inspirant notamment de l’ère « beat », les hippies créèrent un environnement culturel alternatif combinant musique, drogues, littérature et modes de vie afin de proposer une série d’alternatives à la société capitaliste dominante, incarnée par leurs parents et les autres membres de la « culture parente » [parent culture] (Hall, 1968)1. La musique fut sans aucun doute un vecteur important de cette scission avec la culture parente (Whiteley, 1992). En s’ancrant dans la tradition des chants de lutte [protest songs], des artistes tels que Bob Dylan, les Beatles et les Rolling Stones infusèrent leur musique rock d’une dose de critique sociale et culturelle qui fut rapidement reconnue, imitée et développée par d’autres musiciens émergents de la fin des années 1960 (Bennett, 2001). À cet égard, comme l’observe Frith (1981 ; 1983), la puissance du rock fut telle qu’il commençait à révéler l’existence d’une communauté alternative dont les hippies pensaient qu’elle pouvait être vécue et concrétisée grâce à la musique elle-même. Comme le soutient Frith, l’idée que la musique était capable de créer une communauté alternative bien concrète était fausse et erronée. Néanmoins, des événements marquants de l’époque de la contre-culture, tels que le Woodstock Music and Arts Fair (cf. Bennett, 2004) et l’émergence de communautés rurales (cf. Webster, 1976) créèrent, même s’il fut de courte durée, le sentiment collectif parmi les hippies qu’un mode de vie authentiquement alternatif était possible. Ce fut cette idée mythique et romancée qui donna son premier élan à l’idéologie contre-culturelle et au mouvement hippie.
4À cet égard, la dimension mondiale de la contre-culture fut déterminante. Alors que la plupart des cultures jeunes et des phénomènes de bandes des années 1950 et du début des années 1960, comme par exemple les Teddy Boys2, avaient été des manifestations spécifiquement locales (Hall et Jefferson, 1976), le mouvement hippie s’est rapidement répandu à travers le monde occidental ainsi que dans certaines parties d’Amérique du Sud, d’Asie et de l’ancien Bloc Soviétique (cf. Easton, 1989). En l’occurrence aussi, la musique joua un rôle important. Exploitant les possibilités offertes par le développement mondial des technologies de communication, les interprètes de rock et d’autres musiques populaires de l’époque purent communiquer leur musique – et leur message – à travers le monde lors de spectacles individuels. Ce fut notamment le cas avec la chanson « All You Need is Love » des Beatles qui fut diffusée pour la première fois lors d’un concert en semi-direct dans le cadre de l’émission Our World, première retransmission télévisée mondiale en duplex de l’histoire. L’émission fut diffusée via satellite le 25 juin 1967, et fut regardée par 400 millions de téléspectateurs dans 26 pays à travers le monde.
5La contre-culture fut également érigée en un phénomène socioculturel ayant le potentiel de créer une nouvelle sphère culturelle dépassant la culture parente, et s’en affranchissant idéologiquement. En ce sens, Acid Test de Wolfe (1968) fut un texte très influent. Retraçant le road trip américain de Ken Kessey et de ses « Merry Pranksters » au milieu des années 1960, Wolfe dresse un portrait édifiant de la consommation de LSD lors d’événements artistiques multimédiatiques, qui visaient à ouvrir de nouveaux niveaux de perception et de conscience chez les participants. De même, Las Vegas Parano [Fear and Loathing in Las Vegas] de Thompson (1993), bien que publié au début des années 1970, rend hommage à l’héritage contre-culturel et à sa vision d’un nouveau monde s’étant défait de l’avidité de la société dominante et de son obsession du progrès technologique. Ces questions attisèrent également la curiosité des chercheurs à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Le fait que la contre-culture, contrairement à l’exemple des cultures jeunes qui l’avaient précédée, semblât se développer au sein de la jeunesse bourgeoise fut pour eux un élément particulièrement intéressant et significatif. Comme le notent Clarke et al. dans l’essai qui introduit le texte désormais classique des cultural studies, Resistance Through Rituals :
« La contre-culture fit scission avec sa propre culture “parente” dominante. Leur désaffiliation était surtout idéologique et culturelle. Leurs attaques ciblèrent principalement les institutions qui reproduisent les rapports idéologiques et culturels dominants – la famille, l’école, les médias, le mariage, la division sexuelle du travail. » (1976 : 62)
6Aux États-Unis aussi, les universitaires pensaient que la contre-culture était en train de contester de l’intérieur le pouvoir hégémonique de la bourgeoisie. Dans son ouvrage de 1969 Vers une contre-culture, Roszak développa un peu plus cet argument, soutenant que la contre-culture n’était pas seulement opposée au pouvoir hégémonique de la culture parente, mais aussi à la technocratie que celle-ci avait engendrée. Par technocratie, Roszak faisait référence à la dépendance croissante vis-à-vis de la technologie et de la rationalité scientifique. À la fin des années 1960, les atrocités commises par l’Allemagne nazie et la prise de conscience de la puissance destructrice de la bombe atomique représentaient des aspects terrifiants d’un passé récent, tandis que la Guerre froide et l’escalade du conflit vietnamien servaient de rappels constants des dimensions hautement pathologiques de la société technocratique (cf. Bennett, 2005). Aussi, Roszak décrivit la contre-culture comme l’émanation des « enfants de la technocratie », une jeunesse bourgeoise rebelle qui souhaitait rompre avec l’univers bourgeois de leurs parents.
« Par le détour d’une dialectique que Marx n’aurait jamais pu imaginer, l’Amérique technocratique produisit un élément potentiellement révolutionnaire au sein de sa propre jeunesse. La bourgeoisie, au lieu de découvrir l’ennemi de classe dans ses usines, le trouve de l’autre côté de la table à manger, chez ses propres enfants dorlotés. » (1969 : 34)
7Dans The Greening of America (1971), Charles Reich définit avec son concept de « Conscience III » [Consciousness III] une jeunesse bourgeoise contre-culturelle, rompant avec les liens sociaux et culturels de la culture parente et contestant son autorité. Il y décrit un nouveau degré de conscience et d’existence qui rendrait possible un changement social. Ce changement s’appuierait sur un nouveau niveau d’expérience et de compréhension du monde, dans lequel les individus œuvrent collectivement au bien de la communauté et au bien-être des générations futures. Ceci suppose le rejet des valeurs capitalistes et ses objectifs individualistes à court terme, en mettant l’accent sur l’accumulation de richesses associée au confort individuel et à la sécurité. Selon Reich, la contre-culture offrit une base à partir de laquelle la jeunesse pouvait subvertir l’idéologie dominante dont elle avait hérité et la supplanter par un nouvel ensemble de valeurs sociales, économiques et environnementales durables [values relating to sustainability]. (...)
Andy Bennett
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