INTRODUCTION
Un prisonnier est un individu qui a perdu sa liberté, qui est enfermé, qui regarde à travers des barreaux. Or, la question, ici, nous amène à considérer si notre corps serait un enfermement ou non. Évidemment le mot « prisonnier » est à prendre de manière métaphorique, imagée. Sommes-nous prisonniers de notre corps ? revient à se demander : notre corps serait-il une entrave ? Une contrainte qui nous empêche d’être de purs esprits ? Bien entendu, ce sujet sous-entend une approche négative du corps, vu comme un obstacle au développement de l’esprit .
Or, toute la culture occidentale, depuis 2500 ans, depuis la naissance de la philosophie à Athènes au Vème siècle avant J-C avec Socrate; puis plus tard avec l’avènement du christianisme, repose en partie sur le rejet du corps. Presque tous les philosophes de l’Antiquité grecs et romains hormis les philosophes cyniques (qui étaient passablement anarchistes) ont admis qu’il fallait « dompter » le corps, le maîtriser pour favoriser l’avènement de la vie spirituelle. La Bible, dans la Genèse fait partir l’histoire de l’Humanité par le fameux mythe d’Adam et Ève et du péché originel. Le péché originel serait l’acte charnel, le corps avec sa tyrannie du plaisir et du désir nous plongeant dans l’enfer de la matière. L’amour humain dans son accomplissement physique aurait fait déchoir l’Humanité de son essence semi-divine par rapport aux autres créatures des autres espèces peuplant la Terre. L’être humain, par son incarnation physique ne serait alors qu’une sorte d’animal un peu plus perfectionné que les autres. Le corps serait ainsi la marque de notre bestialité, tandis que l’esprit, dans ses désirs éthérés voudrait échapper aux contraintes et aux vicissitudes du corps.
PREMIÈRE PARTIE : IL EST VRAI QUE SOUS CERTAINS ASPECTS, LE CORPS PEUT NOUS APPARAÎTRE COMME UN EMPRISONNEMENT.
PREMIER ARGUMENT : LE CORPS PEUT ÊTRE UNE LIMITE DANS LA MESURE OÙ IL EST SOUMIS AU VIEILLISSEMENT ET À L’USURE.
Le phénomène de la mort est lié à notre condition physique. Aucun corps vivant n’est éternel. La vie est éternelle, mais pas les vivants. La vie, c’est comme une roue de la fortune où les individus sont entraînés dans un perpétuel cycle de la naissance, à la croissance, jusqu’à la maturité puis à la décroissance et à la mort. Le philosophe Pascal, au XVIIème siècle disait que la condition humaine pouvait être ramenée à la métaphore suivante : l’existence est comme un embarquement forcé, les humains sont plongés dans une galère (leur incarnation) où les prisonniers se verraient tués, égorgés les uns à la suite des autres, et se demandant anxieusement quand viendra leur tour. Par conséquent, d’une certaine manière, nous sommes tous des condamnés à mort. Cette peur de la mort, l’homme a essayé de l’exorciser par le phénomène religieux, comme par exemple les anciens Égyptiens qui déifiaient leur pharaon et qui croyaient le faire accéder à l’immortalité en le momifiant et en construisant de monumentales pyramides. Mais la croyance religieuse ne fait pas échapper à la mort physique, au vieillissement du corps. Par suite, du fait du vieillissement du corps, nous sommes bien en tant qu’êtres mortels prisonniers de notre corps.
DEUXIÈME ARGUMENT : PAR AILLEURS, AVOIR UN CORPS NOUS SOUMET À CERTAINES CONTRAINTES; ET EN CE SENS LÀ, IL NOUS EMPRISONNE ENCORE;
Par exemple, il faut nourrir, hydrater, vêtir ce corps. Le corps intime à l’esprit de le sustenter. Il y a obligation d’entretenir notre corps. Nous sommes avec le corps soumis à des contraintes matérielles, bassement terrestres. On a beau vouloir mener une vie spirituelle comme un ermite ascétique, il faut tout de même manger, boire et parfois même satisfaire des pulsions sexuelles. Le plus grand esprit qui soit ne pourrait faire abstraction complète de son corps. Un bon exemple de ceci est le cas du philosophe et mathématicien Thalès en Grèce Antique; il était occupé une nuit à scruter les étoiles, et il finit par tomber dans un puits à force « de planer en esprit ». Une petite vieille qui passait par là, lui dit : « Quel grand philosophe tu fais ! Tu regardes les étoiles et tu ne regardes même plus le sol sous tes pas ! » Le corps rappelle régulièrement à l’esprit qu’il ne peut être absolument éthéré, pur, vivant perpétuellement dans une sphère idéale. Le corps est donc bien, dans cette mesure, un emprisonnement.
TROISIÈME ARGUMENT : D’AUTRE PART, LE CORPS PEUT ÊTRE UN EMPRISONNEMENT CAR À UN MOMENT DONNÉ, IL NOUS APPARAÎTRA FORCÉMENT COMME LAID, NON CONFORME À LA BEAUTÉ IDÉALE, DU FAIT NOTAMMENT DU VIEILLISSEMENT;
Actuellement, les médias nous submergent d’images de beaux jeunes gens et de belles jeunes filles. Jamais encore dans l’Histoire de l’Humanité, il n’y a eu un tel culte de la beauté physique et de l’apparence. Alors, forcément c’est une énorme pression sociale, surtout pour les femmes. Nous vivons dans une société qui génère de plus en plus de complexes chez les femmes, la chirurgie esthétique est en pleine essor. Pour toute femme, le vieillissement devient une épreuve terrible, car partout des images de visages de jeunes filles très belles envahissent la sphère publicitaire. Le corps peut donc être perçu comme un emprisonnement, puisqu’il est susceptible d’engendrer des complexes. Bien sur, il y a aussi les cas particuliers du handicap et des personnes défigurées qui font que le corps devient une épreuve constante pour l’esprit. Comment un individu défiguré pourrait-il être aimé ?! N’est ce pas une torture pour l’esprit que de ne pouvoir présenter un visage non altéré ? Donc, le corps nous apparaît aussi encore une fois comme un enfermement. Beaucoup de personnes, en effet, n’accordent pas la beauté intérieure quand il n’y a pas la beauté extérieure. Le physique d’une personne, c’est la première chose que l’on voit, et ce physique cause forcément une « impression » positive ou négative aux gens que nous rencontrons.
QUATRIÈME ARGUMENT : ENFIN, LE CORPS NOUS FAIT VIVRE L’OPPRESSION DES PASSIONS ET DES DÉSIRS .
La dimension charnelle est tellement omniprésente pour un être humain que Platon dans son dialogue le Phédon déclare que « le corps est le tombeau de l’âme ».. Platon préconise alors à ses disciples dans le Phédon , un abandon du corps. Si l’on se préoccupe trop du corps alors « notre âme sera embourbée dans la corruption ». Le corps fait le malheur des hommes pour Platon; car de plus, il est « ce qui fait naître les guerres, les séditions, les combats ». En effet, le corps, avec l’appel de nos cinq sens flatte nos bas instincts et provoque des envies de luxe, voire de luxure, des envies cupides qui entraînent des conflits et des jalousies entre humains. Le corps avec toutes ses passions déclenche tant de conséquences néfastes qu’il faut tenter de l’oublier. La sagesse est de ne pas se laisser séduire par « la folie du corps ». Platon a certes une vision un peu manichéenne dans sa représentation du corps : il y a d’un côté la vertu qui serait pure qualité de l’esprit, et de l’autre, le vice dans l’incarnation des pulsions et des envies de notre corps. Mais il est quand même vrai qu’il ne faut pas survaloriser le corps aux dépens de l’esprit., car alors il est bien un emprisonnement pour l’esprit.
TRANSITION
Cependant si on suit trop cette logique manichéenne où le corps est vu comme une forme de mal; on aboutit à des raisonnements extrêmes qui semblent contraires à la sagesse. Par exemple, au moyen-âge, les cathares (croyance religieuse rapportée des croisades) disaient qu’il ne fallait plus se reproduire, car c’était plonger des âmes dans l’enfer de la matière et de la corruption de la chair. Mais si on suivait ce type de raisonnement, il n’y aurait plus de génération suivante, et donc ce serait la mort de l’espèce humaine, et donc aussi la mort de l’esprit ! Car l’esprit sur Terre est fatalement lié à un corps (qu’il y ait une vie après la mort ou pas est un propos hors philosophique car nul n’est revenu de la mort ! ) La philosophie se base sur des faits concrets et avérés et pas sur des croyances non démontrées. Donc le rejet du corps, le considérer d’abord comme un emprisonnement est sans doute une attitude excessive, non raisonnable.
DEUXIÈME PARTIE : LE CORPS N’EST PAS UN EMPRISONNEMENT, BIEN AU CONTRAIRE, IL EST CE PAR QUOI NOUS EXISTONS, RESSENTONS, AIMONS;
PREMIER ARGUMENT : LE CORPS HUMAIN ET SURTOUT LE CERVEAU SONT DES CHEFS D’ŒUVRE DE L’ÉVOLUTION, CAR ILS ONT PERMIS L’ÉMERGENCE DE LA CONSCIENCE.
Donc, le corps est le contraire d’une prison. Seuls les êtres humains présentent un corps avec un cerveau aussi perfectionné permettant notamment le langage et l’apparition de la conscience. Et il est évident que sans cette base biologique qu’est le cerveau, aucune pensée consciente n’existerait. La pensée la plus idéale, la plus sublime soit-elle repose toujours sur une base biologique. Un dysfonctionnement biologique dans le cerveau, et c’est l’apparition d’un dysfonctionnement de la pensée; comme on le voit par exemple dans la maladie d’Alzheimer où des zones importantes du cerveau se trouvent altérées.
Les cinq sens concourent aussi à la formation des idées. L’empirisme, cette doctrine philosophique qui affirme que rien n’existe en pensée qui n’est été d’abord dans les sens, est une constatation des plus vraies. Faisons la supposition d’un être humain qui serait dépourvu de tous les sens physiques ( vue, ouïe, toucher, odorat, goût) depuis la naissance, il ne pourrait se faire une idée de quoi que ce soit. La sensibilité physique est la source de toutes les idées. Nos cinq sens par le biais du corps sont comme des fenêtres qui nous permettent d’appréhender le monde. Le corps est donc loin d’être une prison, il permet une ouverture sur le monde extérieur.
DEUXIÈME ARGUMENT : LE CORPS PAR LES SENS N’EST PAS UNE PRISON, CAR PAR LES SENS, IL NOUS PERMET L’ACCÈS AU PLAISIR;
Quant à la douleur, jusqu’à un certain point, elle peut nous apprendre le courage, l’endurance. Le corps, c’est le réceptacle des sensations, et celles-ci peuvent être agréables : l’ouïe par exemple, nous permet l’accès aux sons, mais aussi à l’écoute de mélodies; avec la cuisine, on a un raffinement du goût. Avec l’odorat, on sent les odeurs mais aussi les parfums. Plaisir et douleur sont des repères physiques qui nous permettent de savoir ce qui est bon pour nous et ce qui est mauvais. Une mauvaise odeur, par exemple, qui se dégage d’un mets nous indique qu’il ne faut surtout pas le manger. La montée physique des hormones à l’adolescence prépare l’esprit à l’amour. Que serait l’amour sans le corps ? L’amitié, en ce sens, est un sentiment d’un degré inférieur; car il ne permet pas la rencontre physique avec l’autre, il y a quelque chose d’incomplet. Le sentiment amoureux est plus vaste dans la mesure où il introduit la procréation et la recherche du plaisir partagé.
TROISIÈME ARGUMENT : LE CORPS A UNE DIMENSION EXTRAORDINAIRE , C’EST LA PRÉSENCE AU MONDE.
« Être en chair et en os » devant quelqu’un c’est bien plus fort que d’être seulement en pensée avec l’autre par l’imagination ou les souvenirs. Tous les amoureux éloignés l’un de l’autre le savent bien. Le corps est ce qui nous met en situation dans un espace et un temps donné. Le corps est donc loin d’être une prison, il est incarnation. C’est pourquoi un philosophe comme Nietzsche (allemand, seconde moitié du XIXème siècle) déclare : « le corps est ta grande raison »! (Ainsi parlait Zarathoustra) . Nietzsche dans cet ouvrage fustige les contempteurs du corps : « L’âme n’est qu’un mot pour une parcelle du corps ». Rejeter le corps est une sorte de sado-masochisme. Souvent ce sont les religieux qui condamnent le corps, ces gens qui souvent fuient le monde ne sont-ils pas en fait des impuissants incapables d’affronter la vie ? La préconisation de la chasteté dans les ordres religieux occidentaux et asiatiques de type bouddhiste, est en quelque sorte la négation du « vouloir-vivre », de l’instinct de survie. Il y a comme un ressentiment là-dedans, une haine de la vie qui rejoint souvent d’ailleurs une certaine misogynie (ce qui est logique puisque la femme permet la procréation, par exemple, en tibétain, le mot femme signifie inférieure ! ) . Nietzsche nous dit de fuir « les contempteurs du corps », « ceux qui en veulent à la vie et à la Terre ». Le corps, est ,en effet, une grande raison. Par exemple, si notre cœur se met à battre plus fort et plus vite en voyant telle ou telle personne, cela nous apprend de manière certaine que nous sommes amoureux. Les maladies sont souvent des somatisations de conflits psychiques. Le corps par la maladie (sauf en cas particulier d’épidémie) nous indique où il y a « le mal à dire »… Par exemple, souvent la myopie se déclenche à la suite d’un stress. Les maladies comme l’eczéma ont majoritairement une cause psychique. Évidemment toute maladie n’a pas forcément une origine psychologique, mais bon nombre d’entre elles sont l’indication d’un malaise, d’un mal-être. Quand le corps déclenche des symptômes, c’est effectivement « une grande raison » comme l’a dit Nietzsche, car le corps intime à l’esprit de changer quelque chose dans sa vie.
CONCLUSION
Le corps, par certains aspects est effectivement un emprisonnement. Mais rejeter le corps de manière systématique est une impasse. Sans doute, même que l’équilibre psychique demande une réalisation de nos désirs corporels (comme le plaisir gustatif, le plaisir sexuel) mais dans les limites du raisonnable. La goinfrerie est nocive pour la santé et la luxure est encore plus dangereuse , car c’est directement le rapport à l’autre qui est atteint, d’où le danger de déclencher des troubles psychiatriques ensuite.
Cependant, le corps humain est le chef d’œuvre de l’évolution; il n’y aurait jamais eu émergence de pensée consciente sans une base concrète, physiologique. Avoir un corps permet de pouvoir agir sur le monde. Et le moment de la naissance, la sortie de la matrice maternelle est un des plus beaux moments de l’existence, le corps du nouveau-né sort de l’antre originelle pour venir à la lumière.
alix wentziger
source :
https://bacphilocooldissertations.wordpress.com/2014/05/26/sommes-nous-prisonniers-de-notre-corps-2/
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