fredericgrolleau.com


Noël Simsolo & Dominique Hé, Alfred Hitchcock — t.1 : “L’Homme de Londres”

Publié le 17 Novembre 2019, 14:13pm

Catégories : #BD

Noël Simsolo & Dominique Hé, Alfred Hitchcock — t.1 : “L’Homme de Londres”

Hitch ou le retour aux sources

Le ciné­phile ama­teur ou le pro­fane trou­vera cer­tai­ne­ment inté­res­sante cette approche du maître du sus­pense par un Sim­solo impec­ca­ble­ment ren­sei­gné qui ima­gine une dis­cus­sion ouverte entre le réa­li­sa­teur et l’acteur Cary Grant (ensuite rejoint par et Grace Kelly), entre deux prises du tour­nage de La main au col­let à Cannes, en juin 1954, pour per­mettre à Hitch les confi­dences auto­bio­gra­phiques atten­dues, depuis l’enfance jusqu’à la matu­rité.
Sous cet angle, le monstre sacré du cinéma qu’est Alfred Hit­ch­cock appa­raît ici fidèle à sa légende (Sim­solo ne fai­sant que se livrer à une syn­thèse des anec­dotes rap­por­tées dans les livres de réfé­rence sur le maître, notam­ment les entre­tiens avec Truf­faut) : peu­reux, gour­mand et curieux des faits divers san­glants, le petit catho­lique bou­li­mique au sein d’une Angle­terre majo­ri­tai­re­ment pro­tes­tante qui étu­diera chez les Jésuites et qui vivra long­temps sous la coupe de sa mère, inté­grera les stu­dios amé­ri­cains de cinéma à Londres d’abord en tant que des­si­na­teur (pour les orne­ments des titres des films). Puis, acharné au tra­vail et ne vivant que pour sa pas­sion, il devien­dra direc­teur artis­tique, s’imprégnant peu à peu de tous les sec­teurs de l’industrie du film, avant que de réa­li­ser en vision­naire les com­mandes – par­fois har­dues et peu sti­mu­lantes — des direc­teurs de studio.

Non content d’être inven­tif et auda­cieux, Alfred Hit­ch­cock est bien dépeint par les fla­sh­backs de Sim­solo comme un obses­sion­nel (sa marotte pour les jeunes actrices blondes en tête) et un far­ceur aux blagues des plus dou­teuses. Celui qui sera le réa­li­sa­teur so bri­tish le plus reconnu du Royaume-Uni à l’aube de la Seconde Guerre mon­diale, grâce notam­ment à son sens de l’image, du cadrage (devant beau­coup à sa grande admi­ra­tion des expres­sion­nistes alle­mands) …et du titre, devra tou­te­fois faire ses preuves et dépas­ser plé­thore d’obstacles sur son par­cours, ainsi que l’atteste en fin de volume son impres­sion­nante fil­mo­gra­phie (avec de nom­breux films sous tutelle) pen­dant cette période anglaise.
Outre son amu­sante manie de cas­ser de la por­ce­laine avant un tour­nage, ou d’utiliser dès que pos­sible des menottes — comme Les 39 Marches où il laisse le couple vedette menotté pen­dant une jour­née entière ! — Hitch se donne aussi dans ce por­tait sans conces­sion comme un per­son­nage imbu de lui-même et miso­gyne, célèbre pour réduire les acteurs capri­cieux à « du bétail »voué à être malmené.

Dès ses débuts dans le muet tou­te­fois, Hitch, dési­reux d’altérer la per­cep­tion et d’impressionner de manière durable le regard des spec­ta­teurs, s’appuie sur les McGuf­fin dans ses scripts et déve­loppe un art du sus­pense qui devien­dra bien­tôt sa marque de fabrique. L’Homme de Londres pré­sente ainsi des œuvres de l’amateur éclairé de théâtre Sir Alfred, à la pro­tu­bé­rante sil­houette au cigare constam­ment allumé et à la lippe légen­daire, sou­vent mécon­nues – et avec déjà ses mythiques caméos – de même que les plus grands noms du cinéma d’avant 1940. Mais il est dom­mage que le trait en noir et blanc avec des nuances de gris de Domi­nique Hé demeure pour l’essentiel assez fade, les per­son­nages prin­ci­paux étant assez peu res­sem­blants aux images ciné­ma­to­gra­phiques qu’on a en tête.
Dans un récit arti­fi­ciel qui manque déjà de dyna­misme et qui mul­ti­plie les pré­textes pour pro­po­ser des expli­ca­tions plus ency­clo­pé­diques que sen­ties (voir les dia­logues entre Hit­ch­cock et sa femme Alma), le choix de cette approche trop sobre montre toute la limite consis­tant à déli­vrer une bio­gra­phie par le biais d’une bande dessinée.

Gageons que le deuxième tome où Hit­ch­cock, après l’échec cui­sant de Rich & Strange, part au début de la seconde guerre mon­diale à la conquête d’Hollywood — il asseoira avec Psy­cho sa renom­mée outre-Atlantique (comme l’a mon­tré Sacha Ger­vasi dans son Hit­ch­cock en 2013 — amè­nera plus de viva­cité et de punch à l’ensemble.

fre­de­ric grol­leau

Noël Sim­solo & Domi­nique Hé , Alfred Hit­ch­cock - t. 1 : “L’Homme de Londres”, Glé­nat, 2019, 160 p. — 25,50 €.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Commenter cet article