Hitch ou le retour aux sources
Le cinéphile amateur ou le profane trouvera certainement intéressante cette approche du maître du suspense par un Simsolo impeccablement renseigné qui imagine une discussion ouverte entre le réalisateur et l’acteur Cary Grant (ensuite rejoint par et Grace Kelly), entre deux prises du tournage de La main au collet à Cannes, en juin 1954, pour permettre à Hitch les confidences autobiographiques attendues, depuis l’enfance jusqu’à la maturité.
Sous cet angle, le monstre sacré du cinéma qu’est Alfred Hitchcock apparaît ici fidèle à sa légende (Simsolo ne faisant que se livrer à une synthèse des anecdotes rapportées dans les livres de référence sur le maître, notamment les entretiens avec Truffaut) : peureux, gourmand et curieux des faits divers sanglants, le petit catholique boulimique au sein d’une Angleterre majoritairement protestante qui étudiera chez les Jésuites et qui vivra longtemps sous la coupe de sa mère, intégrera les studios américains de cinéma à Londres d’abord en tant que dessinateur (pour les ornements des titres des films). Puis, acharné au travail et ne vivant que pour sa passion, il deviendra directeur artistique, s’imprégnant peu à peu de tous les secteurs de l’industrie du film, avant que de réaliser en visionnaire les commandes – parfois hardues et peu stimulantes — des directeurs de studio.
Non content d’être inventif et audacieux, Alfred Hitchcock est bien dépeint par les flashbacks de Simsolo comme un obsessionnel (sa marotte pour les jeunes actrices blondes en tête) et un farceur aux blagues des plus douteuses. Celui qui sera le réalisateur so british le plus reconnu du Royaume-Uni à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, grâce notamment à son sens de l’image, du cadrage (devant beaucoup à sa grande admiration des expressionnistes allemands) …et du titre, devra toutefois faire ses preuves et dépasser pléthore d’obstacles sur son parcours, ainsi que l’atteste en fin de volume son impressionnante filmographie (avec de nombreux films sous tutelle) pendant cette période anglaise.
Outre son amusante manie de casser de la porcelaine avant un tournage, ou d’utiliser dès que possible des menottes — comme Les 39 Marches où il laisse le couple vedette menotté pendant une journée entière ! — Hitch se donne aussi dans ce portait sans concession comme un personnage imbu de lui-même et misogyne, célèbre pour réduire les acteurs capricieux à « du bétail »voué à être malmené.
Dès ses débuts dans le muet toutefois, Hitch, désireux d’altérer la perception et d’impressionner de manière durable le regard des spectateurs, s’appuie sur les McGuffin dans ses scripts et développe un art du suspense qui deviendra bientôt sa marque de fabrique. L’Homme de Londres présente ainsi des œuvres de l’amateur éclairé de théâtre Sir Alfred, à la protubérante silhouette au cigare constamment allumé et à la lippe légendaire, souvent méconnues – et avec déjà ses mythiques caméos – de même que les plus grands noms du cinéma d’avant 1940. Mais il est dommage que le trait en noir et blanc avec des nuances de gris de Dominique Hé demeure pour l’essentiel assez fade, les personnages principaux étant assez peu ressemblants aux images cinématographiques qu’on a en tête.
Dans un récit artificiel qui manque déjà de dynamisme et qui multiplie les prétextes pour proposer des explications plus encyclopédiques que senties (voir les dialogues entre Hitchcock et sa femme Alma), le choix de cette approche trop sobre montre toute la limite consistant à délivrer une biographie par le biais d’une bande dessinée.
Gageons que le deuxième tome où Hitchcock, après l’échec cuisant de Rich & Strange, part au début de la seconde guerre mondiale à la conquête d’Hollywood — il asseoira avec Psycho sa renommée outre-Atlantique (comme l’a montré Sacha Gervasi dans son Hitchcock en 2013 — amènera plus de vivacité et de punch à l’ensemble.
frederic grolleau
Noël Simsolo & Dominique Hé , Alfred Hitchcock - t. 1 : “L’Homme de Londres”, Glénat, 2019, 160 p. — 25,50 €.
Commenter cet article