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Billie Holiday, "All of me" - 1941

Publié le 3 Novembre 2019, 12:58pm

Catégories : #Philo & musique

Billie Holiday, "All of me" - 1941

♪ All of Me ♪

All of me
Why not take all of me
Can't you see
I'm no good without you

Take my lips
I want to lose them
Take my arms
I'll never use them

Your Goodbye
Left me with eyes that cry
How can I go on dear without you

You took the part
That once was my heart
So why not take all of me

All of me
Why not take all of me
Can't you see
I'm no good without you

Take my lips
I want to lose them
Take my arms I'll never use them

Your goodbye
Left me with eyes that cry
How can I go on dear without you
You took the best
So why not take the rest
Baby take all of me

Tout de moi
Tout de moi
Pourquoi ne pas prendre tout de moi
Ne vois-tu pas
Je ne suis pas bien (inutile) sans toi
 
Prends mes lèvres
Je veux les perdre
Prends mes bras
Je ne les utiliserai jamais
 
Ton Au revoir (adieu)
M'a laissé avec des yeux qui pleurent
Comment puis-je continuer mon cher sans toi
 
Tu as pris la partie (le morceau)
Qui, avant, était dans mon cœur
Alors, pourquoi ne pas prendre tout de moi
 
Tout de moi
Pourquoi ne pas prendre tout de moi
Ne vois-tu pas
Je ne suis pas bien sans toi
 
Prends mes lèvres
Je veux les perdre
Prends mes bras
Je ne les utiliserai jamais
 
Ton Au revoir
M'a laissé avec des yeux qui pleurent
Comment puis-je continuer mon cher sans toi
 
Tu as pris le meilleur
Alors, pourquoi ne pas prendre le reste
Bébé, prends tout de moi

All of Me est une chanson populaire et un standard de jazz écrit par Gerald Marks (en) et Seymour Simons (en) en 1931.

Tout d'abord enregistrée par Ruth Etting (en) en décembre 1931, elle est diffusée pour la première fois à la radio, interprétée par Belle Baker. Elle est devenue l'une des chansons les plus enregistrées de son époque, avec notamment les interprétations de Paul Whiteman et Louis Armstrong en 1932, Benny Goodman, Mildred Bailey, Teddy Wilson (en 1941), Billie Holiday, Johnnie Ray, Ella Fitzgerald, Dean Martin, Frank Sinatra, Django Reinhardt et Willie Nelson.


Un trésor d'amoureux (Billie et Pres) pour amoureux (vous et moi). Lady Day incarne lumineusement la nuit du jazz, le Président laisse flotter le monde réel comme une bulle bleue de saxophone. Ce double album déroule trente-quatre chansons entre deux versions de All of me. Tout ce que Billie Holiday, jeune femme encore, battue déjà, défaite jamais, avait encore à offrir de meilleur : 'You took the part that once was my heart, now why don't you take all of me?' (Vous avez pris la part qui un temps fut mon cour, maintenant pourquoi ne pas prendre tout de moi? C'est une belle idée d'Alain Gerber, le plus épris des amoureux déclarés de Lady Day et de Lester Young, que de choisir les chansons qu'il préfère parmi 49 'masters' et un certain nombre de prise 'alternatives' produites par les treize séances de 1939-1941 pour Brunswick. Mais qui aurait su, comme lui, retrouver les accents d'Aragon pour écrire de Billie et Lester : 'Trop émerveillés d'être ensemble pour ne pas rester des amants chastes, qui n'enlacent que leurs musiques. Qui se moquent des fêlures dans les ciels de faïence. Et qui font des miracles comme on fait des chansons'.

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Il y a soixante ans aujourd’hui, le 17 juillet 1959, disparaissait Eleanora Fagan. Sa vie fut racontée par elle même dans un très beau livre, Lady sings the blues, et surtout chantée pendant près de trois décennies – de These foolish things (1936) à All the way (1959) en passant par Gettin’ some fun out of life, Solitude, Strange fruit, God bless the child, Don’t explain, Gloomy sunday, My old flame ou Everything happens to me... et quelques centaines d’autres enregistrements, tous sublimes. En hommage à l’immense Billie Holiday, qu’on surnomma Lady Day, voici quelques méditations de Pacôme Thiellement.

Ce sont deux boucles d’oreille au motif de fakir aux yeux plissés. Le visage est ovale, la bouche est entrouverte, et le turban, énorme, occupe les deux tiers du motif. On ne sait pas leur origine mais elles ont fini par tellement s’associer à leur magnétique propriétaire que, désormais, si on veut acheter des boucles d’oreille au motif de fakir aux yeux plissés, on commande à une boutique américaine des boucles d’oreille « de Billie Holiday » : ce que j’ai fini par faire, tant ces boucles d’oreille m’obsédaient…

Je voulais les voir en tant que telles, les boucles d’oreille de Billie Holiday sans Billie Holiday… Ces boucles d’oreille au motif de fakir pensif, ce sont désormais pour moi – plus encore que les gardénias dans ses cheveux, la cigarette à sa main ou les innombrables boxers qui l’accompagnent – le symbole réverbérant de son mystère. Les boucles d’oreille de Billie Holiday sont sa dimension simultanément thérapeutique et spectaculaire, traditionnelle et music-hall. Ces boucles d’oreille sont sa poétique et son inexplicable.

Pourquoi ? C’est dans l’enregistrement de Travelin’ Light que l’inexplicable se voit, s’exprime même. C’est pour l’émission française Music Hall Parade, en 1958. Dans ce film sépia verdâtre au tremblé terriblement envoûtant dont on n’arrive pas à déterminer s’il est tourné dans les conditions du live en studio ou sur une véritable scène de concert, avec un rideau créant une ligne sur le côté droit, accompagnée par un piano et par une batterie presque inaudible et face à un public intégralement invisible, Billie Holiday ressemble à une jeune algérienne fière et pensive, quelques minutes avant d’entrer en révolution. Elle porte une longue queue de cheval, un pull noir, une longue jupe noire et un unique collier.

On a l’impression qu’elle regarde le monde bourgeois avec des yeux compatissants une dernière fois avant de prendre les armes. Son visage est plus long que d’habitude, son attitude un peu plus distante également, et ses boucles d’oreille créent une espèce de tache étrange, un halo d’obscurité chaleureuse comme deux auras nocturnes entourant la chanteuse. Deux taches étranges qui accompagnent la lente ballade de voyage. Deux lunes noires.

A la fin du morceau, Billie Holiday fait une très froide révérence d’un hochement de tête presque japonais tout en restant droite comme un piquet sur la scène et on entend un public indéterminé applaudir. Travelin’ Light (« Je voyage léger »), c’est une chanson qui peut vous accompagner toute une vie. Curieusement, I Only Have Eyes for You (« Je n’ai d’yeux que pour toi »), enregistré le même jour et dans les mêmes conditions, ne restitue pas cette atmosphère, même si déjà les boucles d’oreille commencent à troubler l’objectif et en perturbent la fin de l’exécution. Non seulement Billie Holiday y est plus joyeuse – son sourire est moins énigmatique, elle semble presque contente d’être là – mais l’image ne tremble presque pas et les boucles d’oreille n’expriment pas la même inquiétude, comme si elles imprégnaient la lumière différemment selon l’atmosphère des chansons et l’humeur de celle qui les possède.

« Je voyage léger, parce que mon homme m’a quitté », chante Billie Holiday :

« Depuis ce jour, je voyage léger

Il a dit au revoir et a prit mon cœur avec lui

Et depuis ce jour, je voyage léger

Personne ne voit que je suis libre comme l’air

Personne, sauf moi et mes souvenirs

Une nuit de chance il reviendra peut-être

Mais jusqu’à ce jour, je voyage léger. »

L’amour était bien le talon d’Achille de Billie Holiday – ce par quoi elle est tombée dans toutes les drogues, tous les alcools, tous les désespoirs. Tous ses hommes ont été des macs, des exploiteurs et des salauds ; toutes ses femmes des instants de répit avant de nouvelles guerres nuptiales. Voyager léger, ce serait voyager sans son cœur, voyager délivré de son chagrin. Les boucles d’oreille vibrent parce qu’elles tentent de protéger Billie de ses prochaines déceptions amoureuses. Elles tentent de créer un sas de protection entre son cœur et elle. Une zone de sagesse et de froideur, d’indifférence et de lucidité, mais qui ne durera pas longtemps.

On retrouve ces boucles d’oreille passives, énigmatiques, sur des dizaines de photographies, créant une continuité dans une vie qui semble n’avoir été que ruptures et superpositions. On les voit à Paris, à l’Olympia, avant un concert commun avec Jimmy Rushing, alors que Billie Holiday porte des lunettes de soleil anormalement excentriques et observe la scène d’un air hautain, presque méprisant. Et sur une autre photo, le même lieu et le même soir, au moment où elle chante, avec une expression soudain très différente, naïve, fraiche, pleine d’espoir et l’impression bizarre qu’elle a vingt ans de moins que sur la photo précédente.

On les voit pendant le premier festival de Monterey, avec chien et clope, et une invraisemblable dégaine de vieille gitane. On les retrouve sur deux photos chez Tony Scott, détendue, sympa, incroyablement moderne, comme une jeune femme des années quatre-vingt dix. Ou encore au Smeraldo Theater de Milan en novembre 1958, où elle se fera paraît-il huer et dégager de la scène, dégoûtée, écœurée, un verre à la main. Enfin, la plus belle, la plus forte, à l’aéroport d’Orly, toujours en 1958, photographiée par Jean-Pierre Leloir : Billie est vue de profil, une cigarette à la main, elle regarde vers la gauche. Elle est sévère, artiste, très forte, d’une beauté intemporelle et admirable, avec une puissance extraordinaire qui se dégage d’elle, et cette fois-ci presque un faux air de Frieda Kahlo dans l’expression. Ses boucles d’oreille n’ont jamais été aussi visibles : le visage du fakir est au centre de la photo. Il marque la dimension chamanique, sorcière, de Billie. Un de ses mille et trois visages, et celui par lequel on voudrait toujours se souvenir d’elle.

Qui a plus souvent changé de visage que Billie Holiday ? Sur certaines images, seules les boucles d’oreille permettent de la reconnaître. Pas deux photos successives où elle n’ait pas un autre poids, une autre coupe de cheveux, un autre style, une autre expression, une autre couleur, un autre regard… D’une seconde à l’autre, elle passe sans transition de la star hollywoodienne absolue à la vieille junkie émaciée. Elle ressemble à une jeune égyptienne des années cinquante, une éthiopienne antique, une déesse étrusque, une barmaid irlandaise garçon manqué, une punk funky lesbienne new-yorkaise de la fin des années 70, une grande bourgeoise de province trop gentille avec ses petits chiens, une duchesse élisabéthaine hautaine qui observe sans broncher l’exécution de ses ennemis…

Son expressivité est telle que, dans les vidéos, on peut la voir, d’une syllabe à l’autre, successivement déprimée, joyeuse, fière, désolée, mélancolique, hagarde, observatrice, hilare, anxieuse, colérique, s’en foutant de tout. Il suffit qu’elle tourne son visage du profil aux trois-quarts et ce n’est plus la même femme du tout. Elle fait penser à la remarque de Otto Weininger pour qui un génie change de visage plus souvent que n’importe quel être. Balzac, Nerval, Tolstoï, Dostoïevski, Strindberg, mais tout aussi bien Charles Mingus, Billie Holiday ou John Lennon n’ont pas cessé de se métamorphoser physiquement comme psychiquement, à tel point qu’on se demande s’il s’agit bien des mêmes personnes, ou de plusieurs humanités successives occupant la même identité apparente.

Pour cela un accessoire est important. Les petites lunettes rondes de Lennon ou la contrebasse de Mingus nous permettent de ne pas nous tromper sur la personne à qui on a affaire. Il suffit que Frank Zappa se fasse pousser la barbe et soudain le guerrier turc intraitable ressemble à un peintre de la Renaissance italienne, très doux et très affectueux. Billie Holiday venait de Baltimore, comme Edgar Allan Poe, Frank Zappa ou la série The Wire. Malgré son beau-père docker, c’est surtout le Baltimore de Poe qu’elle évoque : non seulement tant de ses chants semblent évoquer une femme telle qu’Eleonora Fagan, mais c’est encore sa paire de boucles d’oreille qui résume la dimension magnétique et hermétique de l’œuvre du poète. Les boucles d’oreille de Billie Holiday transportaient le fantastique d’Edgar Allan Poe, le surnaturalisme jusque dans les chansons les plus douces et les plus gaies.

Car le grand mystère, c’est sa voix, bien sûr : sur un seul mot, par un simple passage de syllabes, Billie Holiday semble basculer de la joie la plus sensationnelle au désespoir le plus profond… Tout son art est là. Un grand créateur est d’abord un grand réceptif. C’est en écoutant passionnément Louis Armstrong et Bessie Smith que l’adolescente qui s’appelait encore Eleonora Fagan a inventé Billie Holiday comme son double, en transposant dans sa voix les émotions qu’elle seule entendait dans celle des autres :

« Suivant mon état d’esprit, le même sacré disque me rendait tantôt si triste que je pleurais comme une madeleine, tantôt si heureuse… »

(...)  ralentir les chansons plus encore que son mentor, de pousser encore plus loin la barre de mesure pour étendre le feeling de chaque mot, de chaque note, de chaque souffle. On ne chante jamais assez lentement. C’est en ralentissant chaque note que Achille, un jour, réussira à rattraper la tortue.

En inventant le ralentissement en chanson, en chantant moins vite que tout l’orchestre joue, Billie Holiday sait faire basculer n’importe quel air dans un puits de rêves éveillés. Elle ouvre un vaste champ de rêveries. Elle réinvente également les mélodies, indifférente aux notes habituelles de On the Sunny Side of the Street ou de All of Me, ou plutôt : en proposant une variation, plus sèche, plus sobre, plus raide, sur leur exécution.

Billie n’est pas seulement une chanteuse, c’est l’expression d’une éthique artistique et affective, le nom donné à un désespoir sans mesure, des vies offertes simultanément à la grâce et au malheur. Au dix-neuvième siècle, on appelait ça, après Baudelaire (qui adorait les bijoux et Edgar Allan Poe), les poètes maudits. Les grandes actrices, les grands jazzmen, eux aussi, ont été maudits. La fin de Twin Peaks, dans la pièce rouge, avec cette lente ballade chantée de Jimmy Scott, Under Sycamore Trees, est impensable sans l’ombre planante de Billie Holiday sur tout Twin Peaks – de la personnalité chaleureuse et désespérée, généreuse et sacrificielle, de Laura Palmer, aux couleurs magnétiques presque vaudou de l’esthétique de David Lynch et au swing lent et inquiétant de la musique de Angelo Badalamenti.

Laura Palmer est à la fois Arthur Rimbaud et Billie Holiday, Gene Tierney et Alice au pays des merveilles. Même l’étrange bijou de Laura Palmer, sa parure dans la pièce rouge, a une dimension holidayenne. C’est le moment où le bijou se met à vibrer et investir l’espace psychique du spectateur. Et Billie Holiday à son tour est à la fois Charles Baudelaire et Laura Palmer, la sœur spirituelle de Edgar Allan Poe, le double de Remedios Varo et le chaînon manquant de tous les arts et de tous les chants, la passeuse de toutes les morts et de toutes les vies.

Tout ce que Billie Holiday a fait, vécu et chanté se referme comme un mystère. Tout ce que Billie Holiday a vécu, fait et chanté est une manifestation de l’âme, une manifestation de l’esprit, une manifestation du cœur. Chaque chanson qu’on écoute de Billie Holiday ne nous fait pas seulement passer par des vertiges émotionnels, du spleen le plus total à la joie ensoleillée, mais, comme les romans de Henry James, elle nous détourne de nos affects habituellement projetés dans des chansons pour rendre à la vie son caractère proprement énigmatique.

Il y a plusieurs manières de se défaire d’un cauchemar qui nous étreint le cœur : par l’indifférence ou par la sainteté, par la surenchère dans l’horreur ou par la focalisation sur le Bien – mais encore par la saisie d’un mystère plus grand et plus profond encore. C’est ce mystère essentiel que recèle la musique de Billie Holiday : ciselée comme un joyau, close et mystique comme ses boucles d’oreille, elle nous parle moins qu’elle ne nous écoute. La musique voyante de Billie Holiday est passive comme le fakir de ses boucles d’oreille : elle fait vibrer le cœur et, à travers elle, ce sont nos émotions qui chavirent, se tordent et respirent jusqu’à ce que nous apprenions à vivre.


source: http://lmsi.net/Les-boucles-d-oreille-de-Billie-Holiday

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A – Biographie de Billie
 1 – Une enfance tourmentée
Eléanora Holiday est née à Baltimore en 1915. Sa mère était serveuse, son
père était guitariste. Elle décide de s’appeler Billie en hommage à son idole,
l’actrice Billie Dove, une star du muet qui la fait rêver de cinéma. A Baltimore, Billie grandit dans le quartier des Docks. Dans les années 1920, les
abords du port sont le quartier chaud de Baltimore et regorgent de bars et
de maisons closes. C’est dans ce cadre qu’évolue la fillette. Elle est fascinée
par le jazz qu’elle y entend jouer. Dès l’enfance, elle s’intègre à cet univers
musical, territoire de l’homme noir, qui suppose la maîtrise de certains
codes. Ce qui n’est pas sans engendrer des sacrifices pour une femme qui
évolue dans ce milieu.
Elle subit des abus sexuels. A 11 ans, elle est victime d’un premier viol. L’homme est condamné mais Billie est accusée de vagabondage et placée dans une
institution religieuse pour jeunes délinquants. Elle est souvent livrée à ellemême. Sa mère n’a pas le choix, elle doit se battre pour survivre : quand elle
n’est pas employée par de riches blancs, elle se prostitue. Billie vit chez des
membres de sa famille et voit rarement sa mère. Son père, musicien, sillonne les Etats-Unis avec différents
orchestres de jazz.
En 1929, à 14 ans, elle arrive à New-York avec sa mère. Elles s’installent à Harlem qui abrite la plus grande
communauté noire des Etats-Unis. Cette partie de la ville est à la fois très à la mode et décriée des Blancs
qui y voient un quartier de débauche. Billie et sa mère vivent et travaillent dans le bordel le plus connu
de Harlem. Au cours d’une descente de police, Billie est arrêtée. Elle passe plusieurs mois au pénitencier
de l’île de Welfare Island où sont incarcérés d’autres prostituées et des malades mentaux. Elle est victime
de harcèlement et passe la plupart du temps en isolement.
Elle sort à l’époque de la Grande Dépression, rien de très neuf pour elle. Au début des années 30, toute
la ville est en proie à la crise économique, les gens ont faim, le moral est en berne… Après son passage à
Welfare Island, Billie décide de ne plus jamais se prostituer. 3
 2 – La musique comme refuge
Avec sa mère, elles entrevoient l’espoir de sortir de ce milieu en vendant de la petite restauration. Elle
cherche à travailler comme chanteuse dans les nombreux bars de Harlem. Autodidacte, elle n’a jamais
appris la musique, elle ne sait pas lire une partition… Mais il lui suffit d’entendre une chanson une fois
pour retenir les paroles et en recomposer la mélodie. Son succès est immédiat. Les bars qui se multiplient
sous la prohibition se l’arrachent. Elle gagne enfin assez d’argent pour qu’avec sa mère, elles puissent
garder la tête hors de l’eau.
Commence alors une période heureuse où elle se fait connaître. Elle
rencontre Lester Young, un grand saxophoniste, c’est lui qui la surnomme
« Lady Day ». Avec ce saxophoniste qui a créé un nouveau style, détendu,
souple, bondissant, elle noue une amitié solide. Elle évolue dans un monde
essentiellement masculin mais y est parfaitement intégrée.
Les dénicheurs de talents blancs en quête de nouveaux artistes écument
régulièrement les clubs de Harlem. Le producteur John Hammond repère
Billie et lui fait rencontrer des artistes connus. En 1933, à 18 ans, elle réalise ses premiers enregistrements avec Bennie Goodman. En 1934, Billie Holiday n’a que dix-neuf ans
lorsqu’elle enregistre un Blues écrit par Duke Ellington pour le court métrage Symphony in Black qui
sera filmé quelques mois plus tard. Le visionnage de ce court-métrage peut être intéressant, il est consultable à partir du lien suivant : Billie Holiday, Duke Ellington et son orchestre dans le court -métrage
Symphony in Black : A Rhapsody of Negro Life, réalisé par Fred Waller en 1935 sur https://www.youtube.com/
watch?v=QTT9Su1d-VE. Billie savoure son succès. Les musiciens de jazz la respectent et la considèrent
comme l’une des leurs. Son timbre, son sens du rythme et son improvisation sont exceptionnels.
 3 – Une femme engagée : souffrances et combat face au racisme
Billie a été, dès ses plus jeunes années, ce qu’on appelle "race conscious" : consciente des rejets, des
humiliations et des privations que lui vaut la couleur de sa peau. Elle dira un jour pour parler de
ce qu’elle ressent face au racisme dont elle est quotidiennement la victime : « Vous pouvez vous habiller
jusqu’aux nichons dans du satin blanc, mettre des gardenias dans vos cheveux sans voir une canne à sucre à
l’horizon et cependant vous sentir comme une esclave dans une plantation. »
En 1938, le chef d’orchestre blanc Artie Shaw remarque Billie et lui propose d’être son compagnon de
tournée. La démarche est risquée. En 1938, elle n’est que la deuxième chanteuse noire qui sillonne les
Etats-Unis avec un orchestre de musiciens blancs et se produit devant un public composé exclusivement de blancs. L’expérience est un échec. Dans les états limitrophes du Sud, on ne veut pas voir de
musiciens noirs : elle doit attendre derrière la scène pendant qu’une chanteuse blanche se produit à sa
place. Elle n’a pas le droit de manger au restaurant, il faut lui apporter un plateau dans le car. Et puis, à
New-York, une goutte d’eau va faire déborder le vase : le groupe devait se produire dans un hôtel et on
demande à Billie de prendre le monte-charge et de passer par les entrées de service, tout cela dans sa superbe robe de soirée. Peut-on seulement imaginer ce qu’elle a pu ressentir en chantant devant un public
exclusivement blanc pour chercher ensuite une chambre au sein de la communauté noire ? Il fallait vivre
sans cesse avec cette dualité, avoir peur pour sa peau lorsqu’on traversait les Etats du Sud, craindre à
tous moments de se faire agresser. Elle quitte la tournée en déclarant qu’elle ne chanterait plus jamais
dans un groupe blanc.
Elle ne tarde pas à être rattrapée, un nouveau club à Greenwich Village la veut en tête d’affiche. Billie s’apprête à chanter pour la première fois « Strange Fruit », une chanson qui marque son engagement en
critiquant ouvertement la pratique du lynchage dans les Etats du Sud et ce alors que nous ne sommes
qu’au tout début du mouvement des droits civiques.
4
Revivons la scène : New York, 1939. Le public du Café Society, à Greenwich
Village, est plongé dans l’obscurité. Le projecteur cadre le seul visage de
Billie Holiday. Elle reste immobile. Alors s’élève cette voix douloureuse qui
chante les corps noirs balancés dans la brise sur les arbres du Sud. « Strange
Fruit ». Personne n’a jamais chanté un lynchage. Le public, blancs et
noirs mêlés, reste saisi, silencieux, avant d’applaudir. Billie Holiday n’a pas
chanté cette chanson sur un ton de protestation politique ; elle l’a chantée
de toute son âme, noire, fière, solidaire.
Paroles de la chanson « Strange Fruit » :
Il est intéressant d’entendre et de visionner l’interprétation de cette chanson par Billie Holiday
en activant le lien suivant : http://www.dailymotion.com/video/x2b7bz9_billie-holiday-strange-fruit_music
Southern trees bear a strange fruit,
Blood on the leaves and blood at the root,
Black bodies swinging in the southern breeze,
Strange fruit hanging from the poplar trees.
Les arbres du Sud portent un fruit étrange,
Du sang sur les feuilles et du sang à la racine,
Des corps noirs se balançant dans la brise du Sud,
Un étrange fruit suspendu aux branches des peupliers.
Pastoral scene of the gallant south,
The bulging eyes and the twisted mouth,
Scent of magnolias, sweet and fresh,
Then the sudden smell of burning flesh.
Scène bucolique du Sud galant,
Les yeux exorbités et la bouche tordue,
Le parfum des magnolias, doux et frais,
Et tout à coup l’odeur de chair brûlée.
Here is fruit for the crows to pluck,
For the rain to gather, for the wind to suck,
For the sun to rot, for the trees to drop,
Here is a strange and bitter crop.
Voilà un fruit que cueillent les corbeaux,
Que recouvre la pluie, que balaie le vent,
Que pourrit le soleil jusqu’à tomber de l’arbre
Ici est un étrange et amer verger


« Strange Fruit » n’est pas une composition de Billie, mais elle en a été la première interprète. Le texte
a été écrit par Abel Meeropol, un enseignant juif à la peau blanche… C’est une chanson écrite par un
homme blanc mais c’est parce qu’elle a été chantée par une femme noire qu’elle a marché. Billie
a su lui donner vie. « Strange Fruit » marque un tournant dans la vie de Billie et dans sa carrière. Elle
devient la chanteuse de jazz la plus sollicitée de New-York. Elle devient également du jour au lendemain
un symbole politique.
Elle veut enregistrer cette chanson pour la maison Columbia qui l’a sous contrat mais ses responsables
refusent. Elle enregistrera ailleurs. Dès lors, le FBI voit en elle une subversive, autant dire une communiste, et la traquera sans relâche, la piégeant pour consommation de drogues. Jusqu’à la fin de sa vie, elle
terminera chacun de ses concerts par « Strange Fruit ». Rebelle en quelque sorte de naissance, elle est
surtout rebelle en devenant une musicienne de jazz dont l’instrument est la voix. Scandaleuse, elle l’était
simplement parce qu’elle ne se laissait pas faire. Elle savait que les Etats, prétendument unis, ne lui
accordaient pas sa place d’artiste.
« Strange Fruit » peut être mise en relation avec « Gloomy Sunday » qui sont les deux chansons engagées du
répertoire de Lady Day. Les paroles de « Gloommy Sunday » et une proposition de traduction en français
vous sont données ci-dessous :
Sunday is gloomy
My hours are slumberless
dearest the shadows
I live with are numberless
Le dimanche est lugubre
Les heures sont agitées,
Mon très cher, les ombres
Avec lesquelles je vis sont innombrables
Little white flowers
will never awaken you,
not where the black coach
of sorrow has taken you
Les petites fleurs blanches
Ne te réveilleront jamais
Pas si le cavalier noir de la peine
T’a pris
Angels have no thought
of ever returning you
would they be angry
if I thought of joining you?
Les anges n’ont pas pensé
À te rappeller
Seraient-ils en colère
Si je voulais te rejoindre ?
Gloomy Sunday Lugubre Dimanche
Gloomy Sunday
with shadows I spend it all
my heart and I
have decided to end it all
Lugubre est le dimanche
Je le passe tout entier avec des ombres
Mon coeur et moi
Avons décidé d’en finir
Soon there’ll be prayers
and candles are lit, I know
let them not weep
let them know, that I’m glad to go
Bientôt on dira des prières
Et les cierges sont allumés, je le sais
Ne les laissez pas pleurer
Faites-leur savoir que je suis contente de partir
Gloomy Sunday Lugubre Dimanche
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Le dimanche est lugubre
Les heures sont agitées,
Mon très cher, les ombres
Avec lesquelles je vis sont innombrables
Les petites fleurs blanches
Ne te réveilleront jamais
Pas si le cavalier noir de la peine
T’a pris
Les anges n’ont pas pensé
À te rappeller
Seraient-ils en colère
Si je voulais te rejoindre ?
Lugubre Dimanche
Lugubre est le dimanche
Je le passe tout entier avec des ombres
Mon coeur et moi
Avons décidé d’en finir
Bientôt on dira des prières
Et les cierges sont allumés, je le sais
Ne les laissez pas pleurer
Faites-leur savoir que je suis contente de partir
 4 – Derniers éclats
Elle rêve toujours de cinéma. En 1946, elle obtient un rôle dans le film New
Orleans. Elle pense y jouer le rôle d’une chanteuse mais elle jouera celui d’une
bonne aux ordres d’une patronne blanche. Son seul réconfort aura été d’y jouer
avec Louis Armstrong, son modèle, dont elle reprend ce phrasé qui est le
jazz même et cette façon de chanter aussi, celle de courber les notes pour
mieux les faire rebondir sur le temps.
Elle est une véritable star et gagne beaucoup d’argent. Ses amis diront d’elle
qu’elle a toujours été d’une générosité sans bornes. Elle mène une vie débridée
et savoure son succès. Elle a énormément de sex-appeal et sa vie amoureuse est
tumultueuse et imprévisible… Elle aura des relations avec des hommes et des femmes. Comme mari, il
lui fallait un homme puissant, capable de s’imposer dans le monde mafieux que sa musique lui imposait
de fréquenter. Elle a donc choisi d’épouser un proxénète. Elle est attirée plutôt par des hommes qui la
maltraitent. Dans les années 50, c’est une époque sombre pour l’émancipation des femmes aux EtatsUnis. La plupart des gens pensent qu’une femme n’est bonne à rien sans son mari. A ce titre, ses deux
compositions « Don’t explain » et « Fine and Mellow » sont, dira Billie pour répondre à la question
d’un interviewer, les deux titres les plus représentatifs de sa vie

Le FBI la menace et lui demande de ne plus chanter « Strange Fruit » si elle veut qu’ils la laissent tranquille. Mais elle se moque de cette mise en garde et continue à chanter son engagement et ses convictions. C’est là sa plus grande force mais aussi sa faiblesse parce qu’ils ne la laisseront plus jamais tranquille.
Cette chanson lui permettait d’évoquer le racisme aux Etats-Unis et c’est à cause de son retentissement
qu’ils ont fait passer Billie pour une droguée écervelée.
Les traques incessantes du FBI et ses mariages malheureux l’affectent progressivement. La drogue fait sa perte, d’autant plus qu’elle la consomme mêlée
d’alcool, en quantités importantes. Sa voix, dorée autrefois, s’altére, s’écorche.
Son dernier album, elle l’enregistre saoule. Elle chante comme on titube avant
de s’écrouler. En écoutant ces derniers enregistrements, on se rend compte à
quel point elle était bouleversante.
En 1954, elle entame sa première tournée européenne et Lady sings the blues
devient un album de légende. C’est là que l’écrivaine Françoise Sagan, qui
l’avait connue à Chicago en reine de nuit éméchée et canaille, raconte qu’elle
comprit, en allant l’écouter chanter à Paris tous les soirs, à quelle immense
artiste et quelle femme douloureuse elle avait eu affaire. De retour à New-York, Billie Holiday est arrêtée,
hospitalisée d’urgence. Poussée à bout, elle finit par s’écrouler. Elle meurt le 17 juillet 1959 à l’âge de 44
ans. Elle fait partie de ces rares artistes sans qui le jazz ne serait pas le jazz.
Billie Holiday n’avait pas le tempérament d’une victime. Elle savait s’imposer, elle prenait elle-même ses
décisions. C’était une femme indépendante aux idées bien arrêtées. Dans un contexte politique et sociologique tourmenté et complexe, elle a été la femme qui s’est mise à chanter le premier protest song
américain et l’on peut se poser la question de savoir comment une femme qui n’a aucun engagement
politique, qui, après une enfance difficile et quand elle est au sommet de sa gloire, va chanter une
chanson écrite par un communiste sur le lynchage ? Elle est l’une des premières femmes qui tapera
du poing sur la table et qui saura se faire entendre par des millions de personnes. Son influence sur le
blues, à l’origine du jazz, est incontournable, peut-être parce que ce genre musical s’est fait le reflet de
sa vie. Elle dira, par exemple, pour définir le blues qu’il est « à la fois la tristesse, la maladie, la messe et le
bonheur… Il y a deux sortes de blues, précise-t-elle, le blues joyeux et le blues triste. Elle ne peut, de ce
fait, jamais chanter pareil ni sur le même tempo. » La vie de Billie Holiday, c’est sa musique.
B – Prolongements pédagogiques
 1 – Pistes pédagogiques concernant le contexte historique
Billie Holiday est née en 1915 et décédée en 1959. Elle a été concernée, de ce fait, - et même si elle l’a été de
loin – par les deux guerres mondiales ainsi que par la guerre froide qui débute en 1947. Mais, compte
tenu de sa biographie, pour aborder Billie Holiday, sans doute est-il plus judicieux de rappeler l’évolution
terrible du racisme aux USA et son clivage Nord/Sud, visible notamment lors des tournées de Billie et
retracé par les quelques anecdotes sombres de la biographie précédente. Aussi est-il sans doute intéressant
de revenir avec les élèves sur l’esclavage, la traite négrière, la guerre de Sécession pour arriver au clivage Nord/Sud déjà mentionné.
Cette évolution peut également engendrer un travail plus approfondi sur la lutte des classes, le NewDeal, la prohibition ou le MacCarthysme dont nous nous proposons de rappeler les grands axes suivants :
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La LUTTE DES CLASSES est une théorie qui explique les enjeux et les tensions dans une société divisée
en classes sociales, chacune luttant pour sa situation sociale et économique. Ce concept est apparu au
XIXe siècle chez les historiens libéraux français de la Restauration auxquels Karl Marx l’a emprunté. La
lutte des classes est un concept majeur de la philosophie politique marxiste, qui cherche à rendre compte
des enjeux historiques et des tensions économiques au sein d’une société divisée en classes sociales antagonistes. Pour Karl Marx et Friedrich Engels, qui ont assuré la diffusion internationale de cette notion,
la lutte des classes est un moteur des transformations des sociétés et de l’histoire moderne. La classe dominante de la société capitaliste est identifiée à la bourgeoisie (ou classe capitaliste) ; elle domine ce qu’ils
appellent le prolétariat. Cette théorie a été adoptée par de nombreux courants syndicalistes, socialistes,
communistes, anarchistes, révolutionnaires ou réformistes, aux XIXe
, XXe
 et XXIe
 siècles, et a fourni un
cadre théorique aux luttes pour l’amélioration des conditions de vie des travailleurs.
// Le développement précédent sur la réception de « Strange Fruit » est évidemment à solliciter ici puisque
cette chanson est devenue au fil du temps, l’hymne ou le chant de ralliement de toutes les victimes d’actes
racistes et des minorités opprimées, surtout parce que Billie Holiday lui a donné vie.
LE NEW-DEAL est le nom donné par le président américain Franklin Delano Roosevelt à sa politique
interventionniste mise en place pour lutter contre les effets de la Grande Dépression aux États-Unis. Ce
programme s’est déroulé entre 1933 et 1938, il avait pour objectif de soutenir les couches les plus pauvres
de la population, réussir une réforme innovante des marchés financiers et redynamiser une économie
américaine meurtrie depuis le krach de 1929 par le chômage et les faillites en chaîne.
// Rappelons que Billie Holiday quitte le pénitencier de Welfare Island à l’époque de la Grande Dépression, mais
qu’après l’enfance déjà trouble et tourmentée qu’elle a connue et qu’elle connaît encore, rien de tout cela n’est
très neuf pour elle. Toute la ville est, néanmoins, en proie à la crise économique, et Billie Holiday et sa mère
poursuivent leur lutte dans ce contexte précis.
LA PROHIBITION : En 1920, Les Etats-Unis interdisent la vente, la fabrication, et le transport d’alcool
dans l’ensemble du territoire fédéral. Le 18e
 amendement est voté et instaure la Prohibition jusqu’en 1933.
Point culminant de près d’un siècle d’activisme, la Prohibition d’alcool a pour ambition d’améliorer la
vie de tous les Américains, de protéger les individus, les familles, et de favoriser l’utopie protestante d’une
vie saine et vertueuse pour la société dans son ensemble. Paradoxalement, l’intégration à la Constitution
américaine d’un code d’inspiration religieuse, donne une image glamour et attrayante à la consommation illicite d’alcool, encourage les gangs de quartier à devenir des syndicats du crime au niveau national,
permet aux représentants du gouvernement de contourner, voire d’enfreindre la loi, attise cynisme et
hypocrisie, et transforme des citoyens respectueux des lois en délinquants. Les gangsters deviennent des
stars, les autorités perdent tout pouvoir. Le système judiciaire est tourné en dérision.
// Billie chante et évolue dans les bars de Harlem. Elle est plongée dans le monde mafieux qui se joue de la prohibition et que sa musique lui demande de fréquenter.
LE MACCARTHYSME : Avant comme après 1950, le monde politique américain a été saisi d’une frénésie de procès et d’enquêtes qui pouvaient faire douter de la nature démocratique du régime. Le sénateur
McCarthy incarnait cette hystérie anticommuniste.
// Revenir, à ce titre, sur les traques incessantes de Billie par le FBI et les autorités judiciaires et les menaces
constantes qui l’affaiblissent progressivement.
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 2 – Pistes portant sur le contexte sociologique
 Dans le prolongement des pistes historiques précédemment suggérées, et particulièrement celle de
la Grande Dépression, un travail sur le contexte sociologique pourrait davantage être axé sur la pauvreté
à l’aube de la crise de 1929. Rappelons que le krach de 1929 est une crise boursière qui se déroula à
la Bourse de New York entre le jeudi 24 octobre et le mardi 29 octobre 1929. Cet événement, le plus célèbre de
l’histoire boursière, marque le début de la Grande Dépression, la plus grande crise économique du XXe siècle.
Les jours-clés du krach ont hérité de surnoms distincts : le 24 octobre est appelé « jeudi noir », le 28 octobre est le
« lundi noir », et le 29 octobre est le « mardi noir », dates-clés de l’histoire boursière. Conséquence directe, aux
États-Unis, le chômage et la pauvreté explosent pendant la Grande Dépression et poussent quelques
années plus tard à une réforme agressive des marchés financiers. La Prohibition déjà mentionnée et le
développement paradoxal du marché interdit de la drogue peuvent aussi intéresser un travail plus précis
sur le contexte sociologique de la vie de Billie Holiday.
Enfin, une démarche plus approfondie sur la place de la femme dans la première moitié du XXe
 siècle
et particulièrement celle de la femme noire semble incontournable. Lady Day est restée droite, fière, elle
gardait la tête haute quand il fallait s’imposer dans un monde exclusivement masculin. Elle a su se révolter
quand la couleur de sa peau ne convenait pas (Cf. développements biographiques précédents). Elle a mené
une vie débridée qui a paru scandaleuse à l’époque – et pourquoi ne pas parler ici de ses expériences
homosexuelles – mais qui témoignait surtout de sa grande liberté. Lady Day ne se laissait pas faire, elle
a sans aucun doute poussé plus loin les limites des libertés accordées aux femmes. Elle est, à ce titre
au moins, une figure symbolique forte de l’évolution de la place de la femme et particulièrement celle de
la femme noire dans la société du XXe siècle.
 3 – Quelques pistes linguistiques et/ou littéraires
Pour l’étude de la langue ou celle des langues, un travail sur le texte source, en anglais, de quelques
chansons de Billie Holiday peut être mené. La biographie précédente vous proposait, par exemple, de
travailler les traductions de « Strange Fruit » et « Gloomy Sunday » pour les chansons engagées de Billie
Holiday. Pourquoi ne pas travailler également les paroles de « Don’t explain » et « Fine and Mellow » si l’axe
d’étude choisi est plutôt celui de la vie de Billie.
Un travail conjoint des enseignants d’Anglais et de Français est à proposer : après les traductions
de quelques chansons choisies, pourquoi ne pas construire avec les élèves une petite lecture analytique de
l’une des traductions retenues. Prenons l’exemple de « Strange Fruit » :
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Southern trees bear a strange fruit,
Blood on the leaves and blood at the root,
Black bodies swinging in the southern breeze,
Strange fruit hanging from the poplar trees.
Les arbres du Sud portent un fruit étrange,
Du sang sur les feuilles et du sang à la racine,
Des corps noirs se balançant dans la brise du Sud,
Un étrange fruit suspendu aux branches des peupliers.
Voilà un fruit que cueillent les corbeaux,
Que recouvre la pluie, que balaie le vent,
Que pourrit le soleil jusqu’à tomber de l’arbre
Ici est un étrange et amer verger
Pastoral scene of the gallant south,
The bulging eyes and the twisted mouth,
Scent of magnolias, sweet and fresh,
Then the sudden smell of burning flesh.
Here is fruit for the crows to pluck,
For the rain to gather, for the wind to suck,
For the sun to rot, for the trees to drop,
Here is a strange and bitter crop.
Scène bucolique du Sud galant,
Les yeux exorbités et la bouche tordue,
Le parfum des magnolias, doux et frais,
Et tout à coup l’odeur de chair brûlée.
Strange Fruit Un étrange fruit
Le repérage des champs lexicaux de la nature et de la mort dans les trois quatrains sera aisément réalisé
par les élèves. La traduction de « Strange Fruit » invite également à la révision de certaines figures de style
comme la métaphore filée du pendu en fruit suspendu aux branches de l’arbre, l’oxymore « fruit étrange »
du premier vers et le parallélisme de construction du deuxième, la personnification du « Sud galant » au
début du deuxième quatrain et l’antiphrase qu’il faut entendre derrière l’adjectif de fin de vers 5… Enfin,
les élèves peuvent être sensibilisés à la richesse de la description qui sollicitent de nombreux sens : la vue
évidemment, mais aussi l’odorat avec « Le parfum des magnolias » et l’antithèse de « l’odeur de la chair brûlée » et le goût suggéré par le « fruit que cueillent les corbeaux ». En grammaire, pour l’analyse de la phrase,
le dernier quatrain peut être l’occasion de réviser les propositions subordonnées relatives ; et en orthographe, pourquoi ne pas re-sensibiliser brièvement les élèves à la nécessité de réfléchir aux fonctions de la
phrase pour assurer l’accord du sujet avec son verbe au vers 9 par exemple. Une dictée ou une autodictée
du texte sont assurément les bienvenues. L’analyse est à terminer par le visionnage de l’interprétation de
la chanson choisie par Billie. Rappelons à ce titre le lien vidéo pour « Strange Fruit » :
http://www.dailymotion.com/video/x2b7bz9_billie-holiday-strange-fruit_music

Dans le programme plus particulier de Français en classe de 3e
 qui demande un travail sur la violence des sentiments, l’engagement et la réflexion ou le questionnement, l’étude des chansons engagées
de Lady Day peut s’intégrer au travail séquentiel sur la poésie engagée.
Enfin, le projet « Billie Holiday, Passionnément » soulève l’opportunité de travailler sur l’influence
de la musique noire américaine chez les poètes ou écrivains français comme les poètes surréalistes et particulièrement Jacques Rigaut, Georges Ribemont-Dessaignes, Philippe Soupault, ou les écrivains Boris
Vian et Françoise Sagan.


5 – Pistes musicales
Il n’est pas concevable de découvrir l’univers de Billie Holiday sans parler du jazz ou de la musique noire américaine. Rappelons que le jazz est la première musique emblématique née aux USA et
qui trouve son origine chez les esclaves. Issu du croisement du blues et de la musique européenne, il est
difficile de décrire précisément ce qui caractérise le jazz à cause de sa richesse et de sa complexité, mais
nous pouvons néanmoins noter les éléments distinctifs du swing, de l’improvisation, de la sonorité et
du phrasé.
Dans le prolongement de l’histoire du jazz, les élèves peuvent être sensibilisés à l’univers complexe des clubs de jazz dans lesquels Billie Holiday a évolué et la discrimination raciale qu’elle y a subie.
Certains voudront peut-être également parler de la vie des tournées et l’échec de la tournée de Billie avec
Artie Shaw complètera ce prolongement possible de quelques anecdotes.
Enfin, Billie Holiday peut être comparée à d’autres chanteuses noires américaines comme
Bessie Smith qui connut, comme elle, un destin funeste et une vie difficile et Ella Fitzgerald qui, en
revanche, incarne la joie de vivre, l’équilibre, le versant lumineux du jazz. La comparaison peut quitter le
continent américain pour se déporter en France et trouver un prolongement dans la musique populaire
française avec Edith Piaf, contemporaine de Billie, issue des mêmes origines sociales, née comme Billie
en 1915 et qui aura été comme elle une femme d’une grande force.

source : http://www.les-dominicains.com/media/dha/144365-dossier_pedagogique_billie_holiday-14.pdf

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C'est un mythe, une légende ! Plus qu'une voix, c'est une âme, un cœur, un cri. Celui, emblématique, d'une fillette -noire- livrée à elle-même et aux coups du sort, dans l'Amérique de la prohibition et du clivage des "races". Dans les bars de Harlem où le hasard la conduit, l'adolescente ne sait pas lire une partition mais son timbre, son sens du rythme et son improvisation sont exceptionnels. Les plus grands musiciens de jazz la reconnaissent très vite comme l'une des leurs. L'histoire est en marche : Lady Day est née ! Elle chante comme elle respire, insoumise. Une immense artiste, doublée d'un symbole politique. A l'occasion du centenaire de sa naissance, Paul Lay, récompensé par le Prix Django Reinhardt (meilleur jazzman français) en 2015, rend hommage dans un concert illustré d’images d’archives à celle sans qui le jazz ne serait pas le jazz.
Le 21 mars 2017

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