Aujourd’hui, sortons les masques, les téléphones et les couteaux pour aborder Scream, écrit par Kevin Williamson, réalisé par Wes Craven, et sorti en juillet 97 en salles. Nous chercherons à comprendre comment ce classique du cinéma d’horreur parvient à nous terrifier, tout en moquant les clichés du genre.
Une adolescente est seule dans la maison familiale. Elle s’apprête à regarder un film d’horreur, mais le téléphone sonne. Au bout du fil, un serial killer la malmène, et la force à jouer à un jeu terrible : si elle répond mal à ses questions portant sur les films d’horreur, celui-ci tuera son copain…
Sidney Prescott, de son côté, sait qu’elle est l’une des victimes potentielles de ce tueur de Woodsboro. Celle-ci ne sait alors plus à qui faire confiance. Entre Billy, son petit ami, sa meilleure amie Tatum et son frère Dewey, ses copains de classe Stuart et Randy, la journaliste arriviste Gale Weathers et son caméraman Kenny qui traînent tout le temps dans les parages, et son père toujours absent : qui se cache derrière le masque du tueur ?
Attention, spoilers à prévoir.
QU’EST-CE QU’UN TROPE ?
Pour commencer, qu’est-ce qu’un trope ? En fait… Vous le savez aussi bien que moi. Vous en avez déjà vus partout et peut-être utilisés vous-mêmes : il s’agit d’un motif de narration, d’une façon de raconter que l’on comprend et identifie instantanément.
De fait, la plupart des notions que j’ai évoquées dans les épisodes passés de « Comment c’est raconté ? », et que j’évoquerai à l’avenir, sont des tropes, des outils de narration employés consciemment ou inconsciemment par les auteurs.
Il peut s’agir d’une typologie de personnage, d’une façon de structurer son histoire, d’un genre ou sous-genre, voire plus localement d’une technique d’intrigue, bref, le trope est une convention, il en existe une infinité.Vous avez remarqué que dans la plupart des scènes de funérailles au cinéma, il pleut ? C’est un trope, en l’occurrence un moyen de rendre la scène plus triste.
Vous avez remarqué que bien souvent, peu après les aveux d’un antagoniste en fin de film, il s’avère que le ou la protagoniste a tout enregistré et diffuse la discussion au monde entier ? C’est également un trope, qui permet de boucler une histoire.
Vous avez remarqué tous ces films où un proche du héros se fait enlever et qu’il doit sauver cette personne ? C’est un trope aussi, une dynamique d’histoire qui marche toujours.
Bref, tout motif récurrent de narration, du plus local au plus général, constitue un trope. Il existe un site internet anglosaxon participatif qui les recense tous : tvtropes.org. Cherchez un film sur ce site, et vous constaterez les dizaines de motifs sur lesquels il repose. Une chaîne YouTube en France s’intéresse également à la question, avis aux anglophobes, elle s’intitule simplement : Le Tropeur, jetez-y un œil.
DES EXEMPLES DE TROPES DANS SCREAM
Prenons donc, par exemple, le film Scream. On y trouve notamment des cas de « Fusil de Tchekhov ». Ce trope-là vous le connaissez, c’est quand un scénariste introduit un élément dans l’histoire qui aura son utilité plus tard. Comme lorsque l’héroïne Sidney bloque la porte de sa chambre à son père, avec celle de son placard. Plus tard, elle utilisera cette même technique pour se protéger du tueur. Ou comme lorsque les deux journalistes, dans la dernière partie du film, observent en direct depuis leur camionnette-régie les événements qui se déroulent dans la maison où les ados font leur fête, et que l’on apprend qu’il y a un retard de trente secondes entre ce qui se passe dans la maison et ce qui apparaît sur leur écran de surveillance. Plus tard, ce délai provoquera la mort du journaliste Kenny, sorti trente secondes trop tard de sa camionnette, à la vue d’un meurtre sur son écran.
Autre trope assez répandu que l’on trouve dans Scream : le chat qui effraie, ou en anglais, le « cat scare ». Il s’agit, dans les films d’épouvante, d’un moment de tension où quelque chose a bougé hors champ, alors qu’un personnage est seul et vulnérable. Le personnage approche, doucement, apeuré, et… En fait ce n’est qu’un chat, qui en sortant vivement de sa cachette provoque un gros jump scare, une fausse frayeur. On retrouve ce trope au moment où Tatum part chercher les bières dans le garage, avant sa funeste rencontre avec le tueur masqué. Mais on retrouve également le chat qui effraie dans Alien, dans Predator, dans Vendredi 13, dans The Ring, dans Je suis une légende, etc.
Allez encore quelques motifs que l’on retrouve dans Scream, pour la route. Par exemple le « too dumb too live », que l’on pourrait traduire par « trop bête pour vivre », où un personnage provoque sa perte par bêtise, et de fait ne nous manquera pas particulièrement, comme quand les deux tueurs se plantent l’un l’autre à la fin, dans un excès de folie. Ou encore le trope « adult fear », la « peur des adultes », qui consiste à placer dans une histoire une menace à laquelle des adultes peuvent s’identifier même s’ils ne croient pas aux tueurs en série ou au événements fantastiques. En l’occurrence, dans Scream, la jeune femme poursuivie dans la scène d’intro appelle ses parents à l’aide au téléphone, une détresse à laquelle n’importe quel parent peut s’identifier. Sinon le trope « mort par ironie », comme lorsque Stu, fan de films d’horreur, meurt la tête encastrée dans une TV jouant un film d’horreur, ou que, dans Full Metal Jacket, Gunny Hartman se fait tuer par l’engagé Baleine après l’avoir poussé à bout pour en faire un soldat impitoyable.
Notons que tout, dans un film, n’est évidemment pas classable, étiquetable, tout n’est pas un trope. Un personnage qui se tient debout, on en voit dans tous les films, mais ça ne véhicule pas de sens en soi. Par ailleurs, certains événements peuvent avoir du sens dans une œuvre, mais ne pas être suffisamment répandus dans d’autres pour être définis comme un véritable trope, ou du moins pas encore.
Bref, revenons à Scream. Parmi les motifs que compte ce film, en figure un en particulier sur lequel j’aimerais m’attarder un instant, le « genre savvy », que l’on pourrait traduire par « l’averti au genre ». Il s’agit d’un ou plusieurs personnages qui connaissent les règles propres au genre du récit dans lequel eux-mêmes se trouvent. Dans Incassable, Samuel L. Jackson est incollable sur les comics et les super-héros. Dans Last Action Hero, l’enfant connaît parfaitement comment fonctionnent les films d’action. Et dans Scream, la plupart des personnages a son avis si ce n’est son expertise à donner sur les films d’horreur, et plus précisément sur les slashers.
Dans ce trope, les personnages ne savent pas nécessairement qu’ils sont eux-mêmes dans un film, contrairement à des œuvres méta comme Deadpool ou Lego Batman. Ainsi, Scream peut parfaitement rester un film d’horreur sans virer à la comédie, puisque ses personnages ne se savent pas dans un slasher, tout en critiquant les clichés de genre à travers eux.
Mais si Wes Craven et Kevin Williamson s’amusent avec les dialogues de leurs personnages pour tromper les attentes du spectateur, les deux auteurs jouent également des tropes eux-mêmes, pour ne pas sombrer dans les motifs qu’ils critiquent. Et c’est LÀ, que les tropes deviennent intéressants, c’est là que Scream entre dans leur Histoire et participe à leur évolution, comme je l’énonçais en accroche de ce podcast.
En effet, les tropes sont avant tout des outils. Correctement cernés par le spectateur, ils permettent de lui véhiculer des informations et de l’émouvoir plus simplement, plus directement. Le problème se pose alors, lorsque les auteurs abusent d’un de ces tropes, à en devenir cliché. Que ce soit pour des raisons sociales, avec les schizophrènes trop souvent présentés comme des psychopathes ou les personnages noirs qui meurent toujours en premier dans les slashers ; ou que ce soit simplement pour cause de lassitude, comme le fait qu’un méchant n’ait comme par hasard plus de balle PILE au moment où il tient le gentil en joug, à bout portant.
Le rôle du scénariste sera alors, en pleine conscience de ce qui est cliché ou de ce qui ne l’est pas, de savoir quand utiliser directement ces tropes, et de savoir quand et comment les détourner pour surprendre le spectateur, pour réinventer le genre qu’emprunte son récit.
COMMENT SCREAM JOUE AVEC LES TROPES
Le site TV Tropes détaille ainsi plus d’une vingtaine de façons de jouer avec les motifs narratifs, je vous propose de constater près de la moitié d’entre elles en se penchant sur le cas de l’emblématique Scream.
Une première façon de jouer avec les tropes consiste à les retourner. Par exemple, il en existe un appelé « Death by sex », autrement dit « la mort par le sexe ». En effet, souvent dans dans les films d’horreur pré-années 90, les personnages vierges survivaient et les personnages ayant succombé à l’appel de la chair finissaient trucidés les uns et unes après les autres. Il ne s’agissait pas d’un trope conscient, mais plutôt d’un biais puritain issu du contexte dans lequel ces films sortaient, où les personnes qui couchaient pour le fun étaient considérées comme peu fréquentables, et donc le spectateur moyen appréciait les voir mourir, là où il s’identifiait aux personnages vierges. Scream s’amuse à énoncer ce trope à travers les répliques de ses personnages, et risque de tomber dedans puisque Tatum meurt avant Sidney, mais détourne finalement le motif puisque Sidney perd sa virginité avec Billy peut avant la fin de l’histoire, et pourtant elle survit !
Une deuxième façon de jouer avec les tropes consiste à en appliquer un directement, mais en l’assumant oralement dans la foulée à travers un personnage. Il s’agit de « lampshade hanging » ou de « lampshading », notion que j’abordais dans l’épisode trois du podcast, dédié au film Réalité. Dans Scream, on a un bel exemple de lampshading avec le motif « not quite dead », qu’on pourrait traduire par « pas vraiment mort ». Vous savez, ces films où l’antagoniste à la fin se relève, dans un dernier souffle, alors qu’on le croyait mort ? Dans Scream, quand Billy est à terre, présumé mort, Randy prévient Sidney que c’est le moment où le tueur se relève pour une dernière trouille. En effet, Billy se relève subitement, et l’héroïne le tue dans la foulée, lâchant le désormais culte « not in my movie ». Ici, le trope est présent, puisque le personnage s’est effectivement réveillé dans un dernier souffle, mais les protagonistes admettent et même annoncent ce cliché, et du coup le spectateur l’accepte.
Troisième façon de jouer avec les tropes : l’évitement. Plutôt que de détourner un motif, ici, on se contente de ne pas le proposer, de l’éviter, alors-même qu’il est archi-attendu. Par exemple, dans Scream, lorsque Sidney choisit une tenue dans sa penderie, seule dans sa chambre. La porte de la penderie est ouverte, le plan dure un certain temps, on s’attend à ce qu’un jump scare surgisse derrière la porte au moment où elle la refermera, même un faux jump scare genre un simple ami qui se tient derrière par surprise. Mais non. Quand Sidney referme la porte, rien ne se trouve derrière. Nous avons retenu notre respiration pour absolument rien, seulement car on s’attendait à un jump scare, à un trope, qui a tout bêtement été évité.
Quatrième façon de jouer avec les tropes : la discussion. Un peu comme pour le lampshading, les personnages débattent oralement du trope, mais à deux différences près : l’un des perso est forcément un « genre savvy », donc quelqu’un qui sait comment se déroulent les films du genre de celui dans lequel il évolue, et le trope en question n’est pas forcément appliqué. Il ne s’agit pas tellement, avec la discussion, d’excuser un trope, mais plutôt de le débattre. On trouve un cas de discussion dans Scream quand Sidney demande à Billy le mobile de ses crimes, que l’on s’attend à l’éternel moment où le méchant déroule sa backstory via ce trope qu’on appelle « Movie Rant », mais qu’en fait il affirme dans un premier temps ne pas avoir de mobile, comme quoi ce serait bien plus terrifiant que d’en avoir un.
Cinquième façon de jouer avec les tropes : la parodie, particulièrement pratique pour créer des moments de comédie ou de complicité avec le spectateur. Par exemple, Scream parodie le trope « Virgin Power ». Ce motif, tout aussi puritain que bien d’autres, présente un personnage — généralement féminin — doté de pouvoirs particuliers ou d’une chance particulière, du simple fait d’être vierge. Lorsque Randy, ami de Sidney, refait surface alors qu’elle le croyait mort, celui-ci lui répond « je n’aurais jamais pensé être aussi heureux d’être vierge ». Il parodie ainsi le prétendu pouvoir de la virginité, en poussant ses fondements dans l’absurde.
Sixième façon de jouer avec les tropes : la reconstruction. Il ne s’agit pas de retourner bêtement un motif dans son inverse, ni de le déconstruire en le poussant dans ses retranchements, mais de l’adapter à la réalité, de le moderniser. Un trope bien connu des slashers s’intitule le « final girl ». En gros, le plus souvent dans ce type de récit, un seul personnage survit à la fin, ce personnage est une femme, le plus souvent vierge (pour changer), et affronte seul le méchant face-à-face. Dans Scream, Sidney parvient à tuer Billy malgré sa sexualité dans une scène précédente et surtout n’est pas la seule survivante, puisque Dewey, Gale et Randy entre autres sont encore vivants.
Septième façon de jouer avec les tropes, présente dans Scream : la justification. Dans ce cas précis, le trope a une bonne raison d’être employé. Quand Sidney est appelée la première fois par le tueur, elle se moque des slashers car trouve stupide que les victimes se réfugient souvent à l’étage où elles seront prises au piège, plutôt que de s’enfuir par la porte d’entrée. Et que fait Sidney, quand le tueur pénètre dans la maison ? Oui, elle monte à l’étage, MAIS, elle essaye d’abord de sortir par la porte d’entrée, qui malheureusement est fermée à clé. Ici, à l’ironie s’ajoute une justification, qui excuse la situation.
Huitième façon de jouer avec les tropes : la double-subversion. Il y a la subversion, que je n’ai pas abordée mais qui consisterait à amorcer un trope, pour finalement en diverger à mi-chemin, comme lorsque Gale a oublié le cran de sécurité de son arme au moment de tirer, ce qui est un trope, mais que quelques minutes plus tard elle sauve Sidney en tuant Billy avec son arme dont le cran de sûreté a cette fois été retiré. La double-subversion, elle, consiste à amorcer le motif, à en diverger, pour finalement y revenir. Cela est particulièrement pratique quand la subversion seule a déjà trop été utilisée pour un trope donné. Par exemple, dans Scream, tout accable le personnage de Billy au début, le téléphone qui échappe de sa poche quand il retrouve Sidney après son agression, le fait qu’il soit frustré de ne pas coucher avec elle, etc. Qu’un personnage aussi suspect soit coupable paraît trop facile, alors le film applique une première subversion en le révélant ensuite comme non coupable, grâce à un alibi à priori implacable. Cette première subversion, on s’y attend un peu aussi finalement, puisque de nos jours la majorité des premiers suspects dans une enquête sont pour finir innocents. C’est là qu’arrive la deuxième subversion : Billy est effectivement coupable, à l’issue du film. Coup de théâtre. Double-subversion.
Neuvième technique pour jouer avec les tropes et on s’arrêtera sur celle-là : la défiance. Un personnage s’aperçoit qu’un trope risque de se produire, et le prévient tout simplement, ou du moins s’y prépare. Comme lorsque Randy prévient les autres de ne surtout pas dire « je reviens tout de suite», car dans un film d’horreur cela veut dire qu’ils vont se faire tuer.
Retournement, lampshading, évitement, discussion, parodie, reconstruction, justification, double-subversion, défiance, voilà donc en partie comment Scream parvient à jouer des figures narratives pour s’affranchir de leurs défauts, je vous invite à prendre connaissance des autres façons de jouer d’elles dans un récit, via le site de TV Tropes, tous les liens sont dans la description de cet épisode.
Petite parenthèse : je parle beaucoup de films d’horreur dans ce podcast, mais pour le coup il s’agit d’un genre tellement codé, qu’on ne pouvait pas rêver mieux pour aborder la question des tropes.
UNE DÉCONSTRUCTION SI PARFAITE DU SLASHER ?
Alors. Du coup, mission accomplie ? Scream a tourné toutes les pages et en a écrit de nouvelles ? Le film s’avère exclusivement frais, original et irréprochable ? Évidemment non, ce serait trop beau.
Les deux fois où Gale intervient pour sauver les héros, à la fin, nous voilà face à un frustrant Deus Ex Machina. En outre, Comme dans de nombreux slashers, les filles blondes décèdent — ici Casey et Tatum — tandis que les brunes survivent — ici Gale et Sidney, suivant l’idée stupide comme quoi blondeur égale bêtise et bruneur égale intelligence, un trope sobrement intitulé « slashers prefer blondes ». Par ailleurs, quand Dewie et Gale reviennent de leur balade près de la maison où les meurtres s’enchainent, ils se séparent, l’un vers la maison et l’autre vers la voiture régie, les rendant plus vulnérables chacun de leur côté face au tueur, un autre trope classique des slashers.
D’accord, certains tropes ne sont pas nécessairement préjudiciables, comme par exemple le fait qu’il y ait non pas un seul mais deux coupables dans Scream (oui ça aussi c’est un trope). Mais les trois que je viens de nommer — deus ex machina, « slashers perfer blondes » et les personnages qui se séparent — font tâche, ils ternissent le tableau d’un film qui pourtant était vendu comme le renouveau sans concession du slasher.
Et c’est là que Scream s’enfonce pour le meilleur et pour le pire dans un tout dernier trope qu’il me tardait d’évoquer dans ce podcast : l’ « indecisive deconstruction », autrement dit celui du film qui déconstruit un modèle, mais tout en appliquant certains de ses ressorts, par mégarde ou non.
Pour finir cette étude, rappelons que les principes dramaturgiques sont, pour beaucoup, vivants. Un jour, on effraie avec un monstre qui apparaît dans le reflet du miroir que l’on rabat, c’est efficace. Le lendemain, tous les films le font, ça devient relou. Un jour, ce monstre n’est en fait qu’un ami, une fausse alerte, c’est efficace. Le lendemain, tous les films le font, ça devient relou. Un jour, il n’y a plus rien dans ce reflet, c’est efficace. Le lendemain, tous les films le font, ça devient relou. Et ainsi de suite.
baptiste rambaud
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