Spector pour le premier morceau du groupe de sa future épouse, The Ronettes, valent le coup : "Be My Baby" deviendra un tube.
La scène se passe en juillet 1963, au Gold Star Studio, à Los Angeles. Les musiciens obéissent au doigt et à l’œil à un gamin de 23 ans, qui doit mesurer 1,70 m les bras levés. Il s'appelle Phil Spector. Sur les bandes qui ont enregistré les sessions en studio, on l'entend, lui, les invectiver, eux, en leur expliquant que « ce truc va payer [sa] limousine pour une année de plus ».
En fait, ce « truc » paiera la limousine de Phil Spector pendant des dizaines d’années.
Ce « truc » s'intitule "Be My Baby" et il est chanté par Ronnie Bennett. Elle donne son nom à ce groupe de filles, les Ronettes. Phil Spector a le béguin pour Ronnie et cette chanson fait partie de leur parade amoureuse. En 1963, ce sont les garçons qui appellent les filles « bébé ». Mais là, c’est elle qui infantilise le gars en lui demandant : « Sois mon petit bébé, maintenant. C’est ce que je veux. »
"Be My Baby" est l’un des morceaux qui ont changé le cours de la culture mondiale, grâce à Phil Spector. Parce que Spector est à la pop ce que la superproduction est au cinéma : il érige un Mur de son ; de la pop mais « wagnérienne » dans sa dimension. Il démultiplie tout : pas une guitare, mais trois, pas un clavier, mais quatre, pas une batterie, mais deux.
L'un des deux hommes à la batterie s'appelle Hal Blaine, disparu il y a quelques jours à l’âge de 90 ans. Phil Spector va mettre des dizaines d'heures à trouver le son idéal de sa frappe qui ouvre le morceau, en déplaçant les micros. Alors que, jusqu’ici, enregistrer consistait à capter un mini concert, sans public, Spector se sert du studio comme d’un instrument pour créer un son unique. Il lui fallut ainsi 42 prises rien que pour l’instrumental de la chanson.
Une musique latine, avec maracas et castagnettes en gros plan... et puis la voix de Ronnie, au bord du déchirement, avec son vibrato sexy.
S’il te plaît, sois mon petit bébé. Pour chaque baiser que tu me donneras, je t’en donnerai trois.
Phil Spector et son arrangeur Jack Nitzsche placent un orchestre de cordes. Ainsi, les amours de jeunesse eurent enfin la dimension et la solennité qu’elles méritaient. Et les ados eurent enfin l’impression d’être pris au sérieux.
En 1963, l’économie est au beau fixe, l’Amérique est jeune et son Président aussi. Il s’appelle John F. Kennedy. "Be My Baby" est la bande-son de ces jours heureux autant que la fin d’une époque. Kennedy est assassiné en novembre de la même année tandis que l’histoire de Phil Spector et Ronnie Bennett va virer au cauchemar. Il va la séquestrer dans son manoir. Aujourd’hui, Spector purge une peine de prison pour le meurtre de Lana Clarkson. Reste l’oeuvre d’un génie maboule dont les symphonies inspireront les Beach Boys et les Beatles.
source :
https://www.franceinter.fr/emissions/pop-co/pop-co-22-mars-2019
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