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Atelier Spinoza, "L. 58" (5)/ dissertation - Réinvestir ses connaissance : La liberté et l’indépendance (Barbe bleue & Bakounine)

Publié le 8 Octobre 2019, 21:26pm

Catégories : #Philo (textes - corrigés)

Gustave Doré, Barbe-Bleue confiant la clef fée, 1862

3 axes de traitement :
1) Rapport entre Dylan/ cours Liberté / Spinoza : "Like a rolling stone" 
2) Analyse Bakounine 

1 – Dégagez la thèse de ce texte et les étapes de son argumentation

2 –
a – Expliquez : « La liberté est indivisible : on ne peut en retrancher une partie sans la tuer toute entière. »
b – Quel usage Bakounine fait-il de la référence à la femme de Barbe-Bleue ?
c – Expliquez : « Si nos premiers parents avaient obéi, toute la race humaine resterait plongée dans le plus humiliant esclavage. »

3 – Serions plus libres sans interdits ? 

3) Analyse G. Doré / Bakounine / Barbe bleue 
Questions sur la gravure :
1/ Décrivez la scène représentée, ses personnages et son décor.
2/ Relevez tous les éléments qui peuvent renvoyer à l’enfermement dans cette scène.
3/ Quel symbole représentent les clefs que la Barbe Bleue donne à sa femme? Montrez par conséquent en quoi son comportement est particulièrement ambigu dans cette scène.
4/ Quel rapport entretiennent les deux personnages ?
 
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L’intérêt de Barbe Bleue et de son illustration par G. Doré et de déclencher une réflexion philosophique à partir d’un support narratif et iconographique, démarche souvent assez stimulante pour les élèves.   Le conte est explicitement repris par Bakounine qui en tire une thèse très forte sur la liberté, qui ne peut selon lui être que totale.    Le palais symbolise tout ce que les lois n’interdisent pas et donc permettent, le « silence des
lois ». Mais le prix à payer pour cela est une restriction de la liberté (symbolisée par la pièce interdite). La femme de Barbe Bleue possède la clé qui donne accès à cette pièce interdite : il ne tient qu’à nous de désobéir aux lois, rien ne nous en empêche à part les sanctions encourues (permet de réfléchir aux motivations de l’obéissance aux lois, à la servitude volontaire). 

La liberté civile est-elle une « arnaque » (au sens où elle nous ferait manquer l’essentiel et nous priverait d’une liberté authentique) ou un compromis nécessaire à la vie en société ? La liberté peut-être vraiment être totale, sans restriction ? 

Remarques sur la mise en œuvre de la séance : 
- L’histoire de Barbe Bleue est efficace (parfois trop, dans la mesure où elle peut disperser la réflexion des élèves au-delà de la problématique de la liberté). Les élèves ont souvent rencontré le conte en français, il est alors possible de les valoriser en leur proposant de raconter le récit devant leurs camarades. 
- La thèse de Bakounine (l’idée qu’on puisse envisager une liberté sans aucune restriction) n’est pas toujours bien envisagée par les élèves, qui ont du mal à percevoir son intérêt philosophique (ils la rejettent d’emblée comme hypothèse absurde) 

Possibilités d’adaptations :  
- On peut adapter le texte et l’analyse d’image à d’autres problématiques. Par exemple, « Etre libre, est-ce faire ce qui nous plaît ? » ou encore « La liberté n’est-elle qu’une illusion ? » 
- Couper le texte (l’alléger de sa dimension politique ; ou religieuse avec l’exemple d’Adam et Eve) certains élèves, d’ailleurs, se sont montrés capables seuls de faire ce parallèle. 
- Ou encore adapter les questions d’analyse du conte : « En quoi la jeune femme de  Barbe Bleue est-elle aliénée à sa curiosité ? » / « Barbe Bleue est-il libre face à son secret ? » / « Toute autorité est-elle illégitime ?»  

- Mettre en regard le texte avec d’autres textes (Hobbes ; la liberté dans le silence des lois) 

Questions sur la gravure :
1/ Décrivez la scène représentée, ses personnages et son décor.
2/ Relevez tous les éléments qui peuvent renvoyer à l’enfermement dans cette scène.
3/ Quel symbole représentent les clefs que la Barbe Bleue donne à sa femme? Montrez par conséquent en quoi son comportement est particulièrement ambigu dans cette scène.
4/ Quel rapport entretiennent les deux personnages ?
 

Analyse de la gravure :
« S’il vous arrive de l’ouvrir, il n’y a rien que vous ne deviez attendre de ma colère. »
C’est par ces mots que le terrible Barbe-Bleue prend congé de son épouse, après lui avoir confié les clés de son château, et surtout une en particulier, donnant accès à une pièce ne devant jamais être ouverte.

Qui ne connaît pas le conte de Charles Perrault, auteur du XVIIe siècle français qui légua à la postérité nombre de récits fantastiques qui bercèrent par la suite des siècles de jeunes enfants avant d’aller dormir ? Gustave Doré, graveur et illustrateur le plus célèbre du XIXe siècle, nourrissait son art de diverses influences littéraires, proposant tour à tour ses visions de La Divine Comédie de Dante Alighieri, des poèmes de Samuel Taylor Coleridge ou encore de la Bible… Univers composés de créatures et de péripéties fantastiques, il semblait tout naturel que le graveur décide de s’atteler à l’illustration des célèbres Contes de Perrault, fixant sans le savoir ses interprétations de ces textes issus de la tradition populaire dans l’imaginaire collectif pour les siècles à venir…

Le choix de scène à représenter par Doré n’est nullement anodin, puisqu’il décida de se focaliser sur le moment de basculement du conte, à l’instant où le cruel Barbe-Bleue confie à sa femme les clés de son domaine, en mettant l’exergue sur l’une d’entre elles, donnant accès à une pièce devant rester irrémédiablement fermée, sous peine de subir un terrible châtiment au moment de son retour. Or, c’est bien le don de cette clé qui apporte la péripétie, puisqu’avant cette recommandation, tout se passait au mieux au sein du couple. L’objet anodin devient alors pomme de discorde, figurant ainsi le point tournant du récit, et la naissance de la tension. Une tension que l’on ressent d’ailleurs pleinement dans cette gravure. Le doigt inquisiteur levé dans l’ombre, le visage penché en direction de sa compagne, l’ogre terrible prononce sa mise en garde que nous sommes pourtant les seuls à entendre : la femme, dévorée de curiosité, n’entend plus, focalisée sur la mystérieuse clé qui lui est tendue. Elle devient une nouvelle Pandore.

Pour cette gravure, Gustave Doré fit le choix d’un fond plein, plaçant ainsi l’exergue de son travail sur les deux protagonistes se faisant face. Séparé en deux parties, une première part du fond de la composition se révèle noir et plein, instiguant une ambiance lourde, pesante et obscure à la scène qui se joue sous nos yeux. La seconde part est composée d’un épais rideau de brocard aux détails raffinés, rappelant aux spectateurs la richesse de Barbe-Bleue. Mais cette opulence rime pourtant avec enfermement pour la jeune femme qui n’a nulle part où aller. Par cette atmosphère oppressante et cloisonnée, Doré se situe pleinement dans le conte de Perrault, l’écrivain soulignant régulièrement dans son récit que l’épouse malheureuse est bel et bien prisonnière de ce château à l’étendue trompeuse ; et ce malgré le contraste instauré par le symbolisme des clés, qui ouvrent les voies de la liberté.

L’épouse semble irrésistiblement attirée par cette clé tendue par son mari, à tel point qu’elle étend les mains pour la recevoir alors même que Barbe-Bleue la tient encore dans son poing. Présentée de profil, minuscule, sa frêle silhouette entre en un vibrant contraste avec son mari. Si la richesse et le détail de ses vêtements et parures signalent une fortune certaine, la robe portée par la jeune épouse marque également une profonde distinction avec la mise de l’ogre, difficile à détailler et se mêlant à son abondante pilosité. On retrouve dans le costume porté par l’épouse de Barbe-Bleue le goût de Gustave Doré pour une ère médiévale fantasmée et nourries de récits romanesques touchant plus à la fantaisie qu’à la véracité historique. Empruntant aussi bien à la mode du Moyen-âge qu’à la Renaissance, les atours portés par ce personnage servent d’abord l’imaginaire, flattent les rêveries des lecteurs des contes avant de s’attacher à un quelconque souci du respect de l’historicité. Mais ces belles étoffes, ces perles de culture parsemant les manches et la coiffe, sont-elles simplement représentées afin de flatter l’œil, ou tiennent-elles le rôle de critique de la vanité et du caractère dépensier des femmes ? On pourrait opter pour cette analyse, lorsque l’on observe l’attitude absorbée de la mariée dévorant des yeux la mystérieuse clé : la curiosité, autre défaut généralement accolé au caractère féminin, est déjà à l’œuvre.
 

Observons la fameuse clé. Avez-vous remarqué comme elle est plus grande que les autres ? Et bien que Barbe-Bleue fasse ses recommandations à sa jeune, très jeune épouse (« S’il vous arrive de l’ouvrir, il n’y a rien que vous ne deviez attendre de ma colère »), cette dernière ne l’écoute pas. Hypnotisée, elle reluque l’objet et s’apprête à le saisir comme s’il s’agissait de… Mais de quoi donc s’agite-t-il ? se demande-t-on ici et là.

Plus tard, après que la jeune, très jeune épouse, aura fauté en entrant dans la pièce interdite, elle n’aura de cesse de laver ladite clé tachée de sang. Elle frottera, frottera, mais la tache restera indélébile :

« Ayant remarqué que la clef du cabinet était tachée de sang, elle l’essuya deux ou trois fois ; mais le sang ne s’en allait point : elle eut beau la laver, et même la frotter avec du sablon et avec du grès, il demeura toujours du sang, car la clef était fée, et il n’y avait pas moyen de la nettoyer tout à fait : quand on ôtait le sang d’un côté, il revenait de l’autre. »

Pas de doute, hein, on nous parle ici de défloration (une grosse clé entre dans une petite serrure puis en ressort tachée de sang) et du péché originel d’Ève, condamnée à avoir des menstruations et à enfanter dans la douleur. La faute de la jeune, très jeune épouse qui n’a pas écouté son mari est ici assimilée à celle d’Ève.

Bruno Bettelheim évoque cette clé tachée de sang dans sa Psychanalyse des contes de fées (pages 488-491) : « La clé qui ouvre la porte de la chambre interdite évoque l’association avec l’organe sexuel mâle, particulièrement lors de la défloration, qui s’accompagne d’un saignement. Si tel est, parmi d’autres, le sens caché de l’histoire, on comprend que le sang ne puisse être lavé : la défloration est un acte irréversible. »

Il est peu probable que Doré se soit inspiré des observations de Bettelheim. Pour des raisons de calendrier principalement.

source : 

http://laboiteaimages.alainkorkos.fr/post/2019/05/04/Pour-une-belle-cl%C3%A9%2C-c%E2%80%99est-une-belle-cl%C3%A9-%21

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Texte Bakounine :

Anarchie signifie « absence de pouvoir ». Les partisans de l’anarchie recherchent l’abolition de toutes les formes de gouvernement et de domination, au nom de la liberté individuelle (de là vient leur mot d’ordre : « ni Dieu ni maître »). Bakounine est l’un de ces représentants. Il écrit :

« On répondra que l’Etat, représentant du salut public ou de l’intérêt commun de tous, ne retranche une partie de la liberté de chacun que pour lui en assurer tout le reste. Mais ce reste, c’est la sécurité, si vous voulez, ce n’est jamais la liberté. La liberté est indivisible ; on ne peut en retrancher une partie sans la tuer toute entière. Cette petite partie que vous retranchez, c’est l’essence même de ma liberté, c’est le tout. Par un mouvement naturel, nécessaire et irrésistible, toute ma liberté se concentre précisément dans la partie, si petite qu’elle soit, que vous en retranchez. C’est l’histoire de la femme de Barbe Bleue, qui eut tout un palais à sa disposition avec la liberté pleine et entière de pénétrer partout, de voir et de toucher tout,  excepté une mauvaise petite chambre, que la volonté souveraine de son terrible mari lui avait défendu d’ouvrir sous peine de mort. Eh bien, se détournant de toutes les magnificences du palais, son âme se concentra toute entière sur cette mauvaise petite chambre, elle l’ouvrit, et elle eut raison de l’ouvrir, car ce fut un acte nécessaire de sa liberté, tandis que la défense d’y entrer était une violation flagrante de cette même liberté. C’est encore l’histoire du péché d’Adam et d’Eve : la défense de goûter du fruit de l’arbre de la science, sans autre raison que telle était la volonté du Seigneur, était de la part du Bon Dieu un acte d’affreux despotisme ; et si nos premiers parents avaient obéi, toute la race humaine resterait plongée dans le plus humiliant esclavage. Leur désobéissance, au contraire, nous a émancipés et sauvés. Ce fut, mythiquement parlant, le premier acte de l’humaine liberté. »

M. A. Bakounine. Proposition motivée au comité central de la ligue de la paix et de la liberté, 3e point.

Questions sur le texte :
1/ Comment l’auteur définit-il la liberté ?
2/ Expliquez le parallèle que fait Bakounine avec l’histoire de Barbe Bleue. Que représente Barbe Bleue ? Et sa jeune épouse ?
3/ Dans les Lettres écrites de la montagne, Rousseau écrit : « On a beau vouloir confondre indépendance et liberté, ces deux choses sont si différentes que même elles s'excluent mutuellement. Quand chacun fait ce qui lui plait, on fait souvent ce qui déplaît à d'autres, et cela ne s'appelle pas un Etat libre. La liberté consiste moins à faire sa volonté qu'à n'être pas soumis à celle d'autrui, elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d'autrui à la nôtre ».

Expliquez, selon Rousseau, quelle est la différence entre indépendance et liberté. Bakounine fait-il une telle distinction?
4/ Serions-nous plus libres sans État ? Justifiez en vous appuyant sur la distinction entre indépendance et liberté.

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