fredericgrolleau.com


Adam et Eve : relecture du péché originel

Publié le 15 Octobre 2019, 13:18pm

Catégories : #Philo (Notions)

Adam et Eve : relecture du péché originel

Le texte

Voici ce que dit le texte de la Genèse, chapitre 3, dans la Bible dans la version Segond:

«6 La femme vit que l'arbre était bon à manger et agréable à la vue, et qu'il était précieux pour ouvrir l'intelligence ; elle prit de son fruit, et en mangea ; elle en donna aussi à son mari, qui était auprès d'elle, et il en mangea.

7 Les yeux de l'un et de l'autre s'ouvrirent, ils connurent qu'ils étaient nus, et ayant cousu des feuilles de figuier, ils s'en firent des ceintures.

8 Alors ils entendirent la voix de l'Éternel Dieu, qui parcourait le jardin vers le soir, et l'homme et sa femme se cachèrent loin de la face de l'Éternel Dieu, au milieu des arbres du jardin.

9 Mais l'Éternel Dieu appela l'homme, et lui dit : Où es-tu ?

10 Il répondit : J'ai entendu ta voix dans le jardin, et j'ai eu peur, parce que je suis nu, et je me suis caché.

11 Et l'Éternel Dieu dit : Qui t'a appris que tu es nu ? Est-ce que tu as mangé de l'arbre dont je t'avais défendu de manger ?

12 L'homme répondit : La femme que tu as mise auprès de moi m'a donné de l'arbre, et j'en ai mangé.

13 Et l'Éternel Dieu dit à la femme : Pourquoi as-tu fait cela ? La femme répondit : Le serpent m'a séduite, et j'en ai mangé.»

 

Le mythe d’Adam et Eve est peut-être un de ceux qui ont fait couler le plus d’encre. C’est à la fois une tentative d’explication de la souffrance humaine (la chute du paradis), de l’incomplétude (apparition de la sexualité et reproduction en chaîne) et un modèle - tendancieux - du couple. C’est aussi une mise en perspective du sentiment de culpabilité vécu spontanément par les humains, avec apparition de la notion de faute, c’est-à-dire plus que d’une simple erreur de parcours mais une erreur intentionnelle, délibérée.

paradis1.jpgLe libre arbitre

La relation et la position des protagonistes m’intéresse. On remarque initialement l’absence de la sexualité. Ils ne sont pas le fruit d’une copulation. Il n’y a donc pas d’altérité. Le Paradis est un monde où «l’autre» n’existe pas vraiment: il n’y a pas cette différence qui crée l’attraction ou la répulsion.

On connaît l’histoire: un serpent, le Tentateur, suggère à Eve de manger du fruit d’un arbre planté au beau milieu du Paradis, L’arbre de la connaissance du bien et du mal. Or le Créateur, Dieu dans le mythe, a expressément interdit de manger de ce fruit. On peut se demander au passage quel est ce Créateur qui interdit tout en laissant la tentation. N’eût-il pas été plus simple de ne pas planter cet arbre? Ou de ne pas créer le Tentateur? Si ce Dieu sait tout, il sait ce qui se passera.

On invoque souvent la notion de libre arbitre à propos de cet épisode: Adam et Eve ont le choix, leur Créateur les laisse libres. Cela est supposer montrer l’amour du Créateur pour sa créature, et de valoriser l’obéissance de la créature. Une illustration de la loyauté de l’enfant envers le parent. Mais de quel libre arbitre s’agit-il puisqu’au fond ils se heurtent déjà à un interdit? «Tu es libre de faire comme je te dis ou de souffrir»: belle liberté en vérité que celle qui commence par poser un interdit dont on ne comprend pas bien la raison puisqu’elle n’est pas expliquée.

La désobéissance

Mais l’enfant fait des «bêtises», c’est bien connu. Il va manger les confitures en cachettes, et quand les parents le découvrent l’enfant est puni. Simpliste mais efficace. Certains commentateurs vont plus loin et insistent lourdement sur la damnation de l’Homme dans un discours apocalyptique qu’ils extrapolent sur chaque époque de l’histoire humaine. Nous serions toujours en train de payer la faute originelle. «Tout était mieux au début et tout va de pire en pire»: conséquence du mythe du Paradis perdu.

En lisant en diagonale certains textes sur le sujet j’ai même trouvé une notion diabolique: c’est Eve qui a commis le péché; Adam n’a pas fauté car il n’a écouté que son coeur et a agi par amour. Si l’on va dans cette direction Adam a tout de l’idiot de service, et à tout le moins cela démontre que l’amour n’est pas toujours la meilleure des choses!

Bon, admettons qu’Adam et Eve étaient tous deux d’accord de manger le fruit. Après tout, Adam aurait pu faire une enquête sur le serpent avant de suivre bêtement ses suggestions. La femme n'est pas réductible au tandem "séduire ou être séduite": elle sait aussi dire non. Et l'homme n'est pas un gamin qui obéit aveuglément à sa femme.

Ma lecture du mythe d'Adam et Eve place la faute après avoir mangé le fruit défendu. Elle n'est pas tant dans le fait de manger du fruit défendu que dans la lâcheté qui s'en suit.


paradis2.jpgLa nature de la faute

Ils connurent qu’ils étaient nus: Leur différences sexuelles apparaissent de manière visible. La notion de sexualité et de différenciation est dès l’origine associée au péché.

On peut voir que la désobéissance est également associée au péché, et que la punition est la conséquence du péché.

Ce qui m’interpelle dans ce passage est qu’Eve et Adam se cachent de leur Créateur, et que chacun remet la cause de la faute sur un autre: Adam sur Eve, Eve sur le serpent. Ils se défaussent et ne prennent pas leurs responsabilité. J’appelle cela de la lâcheté.

Et si donc le «péché originel» était la lâcheté bien plus que la désobéissance? Car désobéir est une transgression parfois utile dans la maturation d’un individu, ou dans le refus des injustices. Mais la lâcheté est dans tous les cas de figure une négation de ce qui donne à l’humain ses lettres de noblesse: le courage, s’assumer et être debout.

Si Adam avait dès le début fait face à son Créateur en lui disant: «Je suis là, j’ai mangé le fruit défendu, et j’assume sans peur ton regard», peut-être que l’histoire humaine en aurait été changée. Peut-être qu'elle peut changer aujourd'hui si nous nous assumons sans la lâcheté et ses corollaires: peur, mensonge, trahison.
 

source : http://hommelibre.blog.tdg.ch/archive/2010/11/30/adam-et-eve-relecture-du-peche-originel.html 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Commenter cet article