"What Have You Done To Me ?" :
https://www.youtube.com/watch?v=GlCN1EPAoHI
procédez à l'analyse philosophique de cette séquence (+ celle de "end this Nightmare")
proposition de traitement par Mlle Adèle Lavalaye, lycée Jean Macé de Rennes, TG1, novembre 2020 :
Le film de José Padilha RoboCop est un remake du film de science-fiction américain réalisé par Paul Verhoeven et sorti en 1987. Dans la première séquence visionnée, Alex Murphy, victime d’un grave accident de voiture, découvre qu’il ne lui reste plus rien, hormis sa main droite, ses poumons, son visage, son cerveau et sa conscience. L’entreprise OmniCorp lui a donc, avec l’accord de sa femme, recréé un corps robotisé. Dans la seconde scène, Murphy refuse ce corps et se révolte contre le docteur Norton : c’est à ce moment-là qu’il prend conscience des capacités surhumaines qui lui ont été conférées, notamment une force et une vitesse décuplées. Ces scènes possèdent un intérêt philosophique important car elles permettent de réfléchir sur l’unité du moi quand celui-ci est influencé par un corps étranger.
En effet, Murphy semble ici conserver sa conscience – terme défini selon Descartes comme la capacité de penser – mais ne veut pas le corps qui lui a été attribué, corps qui est désormais devenu le sien : « I need to get out of this thing. What did you do to me? ». Il est sujet à lui-même mais n’a pas complètement le contrôle, étant aussi soumis à une force extérieure, comme nous pouvons le remarquer lorsqu’il tente de s’échapper dans la seconde séquence et que les docteurs décident de l’éteindre. Ici, c’est le corps de Murphy qui est en position de supériorité sur son esprit.
De plus, le fait que le policier ne soit pas complètement maître de lui-même mais que sa conscience reste intacte et propre à lui-même rejette la théorie de l’empirisme, selon laquelle la connaissance porte sur les phénomènes et que la conscience se construit grâce aux sens. Cela rappelle la citation platonicienne dans Phédon, « sôma sêma » ou « le corps est le tombeau de l’âme », qui rejette clairement la théorie du matérialisme selon laquelle il n’existe d’autre substance que la matière. En effet, dans RoboCop, Murphy n’est presque plus de la matière mais il continue d’exister, d’ « être » en tant que sujet. On retrouve l’exigence métaphysique de Descartes puisque Murphy se reconnaît toujours comme « je » et a conscience sur lui-même : « Qu’avez-vous fait de moi ? » (« What have you done to me? »). Le « moi » de Murphy ne dépend donc pas physiquement de la matière et ce dernier continue d’être conscient : il est un « cogito », il pense.
On voit un parallèle avec le « cogito ergo sum » - « je pense donc je suis » de Descartes dans la quatrième partie du Discours de la méthode, définissant le sujet par la conscience, étant donné que l’individu peut être trompé par le monde sensible mais pas sur le fait qu’il pense, car le fait de penser induit une forme d’existence. Dans RoboCop, la perception du monde de Murphy peut le tromper - puisqu’il est désormais doté d’une fonction lui permettant de reconnaître les cibles : il est donc sujet selon Descartes, car le cartésianisme considère qu’être trompé est ce qui permet d’être.
Cependant, comme dit précédemment, Murphy reste soumis à des forces extérieures. Il constitue une individualité mais est contrôlé, comme les animaux dans L’Anthropologie du Point de vue pragmatique du philosophe allemand Kant. Ces derniers sont décrits comme des « objets dont on peut disposer à sa guise », ce qui renvoie à Murphy puisque ce dernier peut être contrôlé par d’autres personnes, ici le docteur Norton.
Cela renvoie également à l’ « allégorie de la caverne » de Platon, dans le livre VII de La République. Platon y décrit des individus immobilisés dans une caverne, n’ayant jamais vu la lumière du jour et ne connaissant que les ombres projetées sur les murs. Dans le film de José Padilha, Murphy est comme un prisonnier de la caverne, il peut sortir et voir le monde d’une autre façon, mais reste attaché.
On peut cependant douter de la conscience de Murphy puisqu’il voit désormais le monde qui l’entoure différemment, notamment avec la visualisation de cibles, et que donc sa perception n'est plus subjective puisqu’elle ne vient pas de lui mais d’une force extérieure.
Ainsi, malgré l'existence d'un esprit et d'une conscience, Murphy ne se contrôle pas toujours. Cela remet donc en cause l’ « unité du moi » dans un corps étranger.
proposition de traitement par Mr Jules Heuzé, lycée Jean Macé de Rennes, TG1, novembe 20200
Ce film est un remake du film RoboCop, réalisé par José Padilha en 2014 racontant l’histoire d'Alex Murphy, un jeune policier et père de famille qui, victime d’un accident mutilant presque l’intégralité de son corps, se voit conférer un nouveau corps robotique, à l’exception de ses parties vitales, par le docteur Dennet Norton et la société Omnicorp, faisant de lui un cyborg (concept d’Homme amélioré en symbiose avec la machine à l’origine du mouvement du transhumanisme).
Chronologiquement, la première scène est donc celle du réveil d’Alex dans les laboratoires d’Omnicorp en Chine d’où il essaye de s’échapper, tandis que la seconde, elle, est celle où le docteur Norton montre la triste vérité de son corps robotique et le met en face de sa nouvelle condition d’Homme-machine.
Du point de vue d’une analyse philosophique, ces deux scènes sont très intéressantes (peut-être involontairement parfois) et peuvent être reliées aux thèses de différents auteurs.
Dans la première scène, Alex se réveille dans les locaux d’Omnicorp, recouvrant difficilement ses esprits, pensant être enfermé dans une sorte d’armure, et s’interrogeant sur le lieux et la raison de sa présence ici. Il remet en question tout ce que lui indique ses cinq sens : « I know this is a dream », à la manière du dualisme cartésien pensant être trompé sur la nature des impressions que ses nerfs lui transmettent. Or, ce doute et toutes ces impressions sont précipitées, presque émotives. Il n’a pas conscience de lui même à ce moment, il n’écoute pas sa réflexion mais uniquement ces sens ; il ne possède pas le Je dans sa représentation. Dans l’ouvrage de Kant, l’Anthropologie du point de vue pragmatique, le philosophe parle en ce sens d’un enfant qui prend conscience de lui-même en disant « Auparavant il ne faisait que se sentir, maintenant il se pense ». Ici, Alex ne se pense pas, il ne fait que se sentir et n’a donc pas encore conscience de lui-même.
Ainsi, animé par cette remise en question et cette recherche de réponses, persuadé d’être manipulé, Alex tente de s’échapper de ce laboratoire. La suite de la scène est alors montée de telle sorte que le héros traverse comme plusieurs couches du laboratoire, se rapprochant, au fur et à mesure qu’il les traverse, de la sortie. D’un point de vue platonicien, Alex est comme le prisonnier de la caverne du livre VII de La République, soumis à une illusion (qui n’en est pas réellement une puisque tout ceci, bien que tragique, est bien réel) et qui tente de s’en libérer, remontant petit à petit la caverne pour s’affranchir du monde des impressions et connaître la vérité.
Le cyborg court donc à travers le laboratoire, remontant petit à petit cette caverne, croisant sur son chemin les ingénieurs et les employés, que l’on pourrait voir comme les « marionnettistes», jusqu’à sortir à l’extérieur du bâtiment et sauter par-dessus le mur le séparant du monde extérieur, avant de se faire désactiver à distance par l’équipe du laboratoire.
Mais pensait-il vraiment être enfin libre une fois avoir franchi ce mur ? La réponse est non ; en effet, Alex peut à tout moment être désactivé à distance par le professeur Norton mais surtout, lorsqu’il se bat, une visière se superpose aux yeux d’Alex, visière à travers laquelle les marionnettistes peuvent afficher toutes sortes de messages et informations, pouvant même voir à travers les yeux du cyborg. Ainsi, ils lui soumettent toujours des illusions, des fausses impressions.
On réalise alors tristement que le corps d’Alex ne lui appartient pas. Comme d’après la thèse de Leibniz dans Les nouveaux essais sur l’entendement humain, le sujet est soumis à tout ce qui le précède et les impressions ne peuvent lui parvenir clairement. D’ailleurs, le robot tueur qui essayera de l’arrêter verra affiché sur son écran : « propriety of Omnicorp » lorsque Alex passera devant lui. Cela est confirmé plus tard dans le film puisque l’on apprend que, lorsque cette visière est superposée, ce n’est pas lui qui prend les décisions mais bien la machine. Ainsi, le corps d’Alex, qui est la demeure de sa conscience, n’appartient pas à cette même conscience. Freud dira dans Une difficulté de la psychanalyse « Le moi n’est pas le maître dans sa propre maison ». C’est malheureusement exactement le cas d’Alex.
Mais y a-t-il donc une adéquation entre ce que Alex croit être, un policier humain de Detroit, et ce qu’il est réellement, le cyborg suréquipé esclave d’Omnicorp ? La scène suivante nous en apprend plus à ce sujet. Durant celle-ci, Alex se trouve dans une pièce sombre. Il se réveille, incapable de bouger, le docteur Norton face à lui. Ce dernier place alors un miroir devant le malheureux policier avant de, petit à petit, désassembler les parties robotiques de son corps pour ne laisser visibles que les dernières parties vitales de celui-ci. C’est à ce moment, ne voyant que ses poumons, foie et cerveau exposés face au miroir, qu’Alex prend conscience de lui-même, puisque la conscience est réflexive.
« Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu plus avant de renvoyer les images » disait Jean Cocteau... Dans le cinéma de ce dernier, le miroir est ce qui renvoie la vérité au-delà des apparences, il en va de même dans cette scène. On ne voit Alex dépourvu de corps presque qu’uniquement au travers du miroir filmé aux cotés du docteur Norton, qui, lui, regarde Alex directement dans les yeux ; ce que le miroir renvoie n’est destiné qu’à Alex.
C’est ainsi qu’il prend conscience de sa condition, de ce qu’il est. Mais est-ce le corps ou la conscience d’Alex qui font de lui ce qui il est? D’un point de vue pascalien, le corps d’Alex n’est pas ce qui le constitue à ses yeux, mais il souffre de ce nouveau corps puisqu’il sait que c’est ce qui le définit aux yeux des autres. Ainsi, il pleure de désespoir lorsque, face à lui-même, le docteur Norton lui dira que « sa femme l’aime ». Or, Pascal, dans Pensées (« Qu'est-ce que le Moi ? »), exprime la thèse selon laquelle on aime uniquement une personne pour ce qu’on lui attribue, autant dire des impressions superficielles. Et, désormais, que reste-t-il de ce que la compagne d’Alex a aimé dans ce corps cybernétique ?
D’un point de vue platonicien, cette révélation est la réponse que Alex cherchait dans la scène précédente. C’est la sortie de la caverne, il n’y a plus d’illusions ; la vérité ne se trouve pas en dehors des murs d’Omnicorp, elle est là, face à lui dans le miroir. Or, cette vérité qu’il désirait tant lui apparaît trop douloureuse et il préfère, dans un premier temps, mourir plutôt que de l’affronter. En bon médecin, le docteur Norton lui explique que c’est impossible et essaye de le convaincre d’aller au bout de ce projet.
Le héros, après hésitation, dit alors ne plus jamais vouloir se revoir ainsi, niant explicitement la vérité à propos de sa condition, et ferme les yeux, pour ne plus regarder ce miroir avant de prononcer les mots « put me back in », qui, peut-être de manière non intentionnelle, sont très bien choisis puisqu’ils peuvent s’appliquer au fait de - littéralement - retourner dans la caverne, à la manière du personnage de Cypher dans Matrix qui désire être réintégré dans un monde fictif lui apparaissant plus doux, en prononçant la formule : « Les ignorants sont bénis ». La scène se conclut donc sur un fondu au noir, comme la redescente vers un lieu plus sombre.
Pour conclure, ces deux scènes peuvent nous amener à nous questionner sur notre rapport à notre corps et le lien entre le corps et la conscience, bien que l’intention du réalisateur ne soit peut-être pas toujours celle-ci, sur fond de science fiction hollywoodienne et se révèlent très intéressantes à analyser d’un point de vue philosophique.
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