Le sujet est devenu la notion à tout faire de la psychologie, de la psychanalyse, de la morale, de l’éthique, de la politique, du droit, de la linguistique et même de la critique littéraire. Il est le nom moderne d'une entité floue combinant la personne, l’individu, l’ego, le moi, le Je, tantôt origine du discours, de la pensée, tantôt fruit de l’inconscient et effet de la structure. Parmi les diverses locutions fréquemment employées, nous avons le sujet humain, le sujet de droit, le sujet automate, le sujet collectif, le sujet de la science, le sujet de la psychanalyse, le sujet social, etc.
La modernité s’est construite sur l'idée que l'homme est un sujet souverain, mais, par ailleurs, elle n’a cessé de démontrer la vanité d’une telle prétention en mettant en évidence les multiples déterminations, biologiques, psychologiques, sociales, économiques, épistémiques, dont il dépend et qu’il méconnaît.
En philosophie, le sujet, à l'origine substance ou substrat, chose porteuse d’accident, est devenu agent et en particulier l’agent de la pensée rationnelle. On désigne ainsi le supposé point de source de la pensée, l'origine de l'autonomie consciente, de la souveraineté et de la liberté individuelle, voire l’agent unique des actes, le pilote virtuel de l’individu autonome. La problématique du sujet est également venue se greffer sur une théorie de la connaissance, opposant sujet et objet, ce qui implique que le sujet ne puisse être en même temps son objet. Le sujet serait l'origine de la connaissance, le pilote autonome la dirigeant vers la réalité extérieure objectivable, dont il ne ferait pas partie. Mais, la subjectivité étant trompeuse, il faudrait aller vers l’objectivité.
Pour Descartes, il est évident qu'en l’homme, c'est un "je" ou un "moi" qui pense. Par là, se dessine un mouvement d’appropriation de l’esprit-substance, le "sujet" participant de cette substance et la résumant. La pensée, considérée comme certaine, est attribuée à un sujet unifié et individué (je-moi) et l'un et l'autre sont substances.
Selon Emmanuel Kant, le sujet contient la conscience intellectuelle d'être et il constitue l'unité synthétique originaire de l'aperception, condition transcendantale de la pensée et de l'expérience. Il ne peut être saisi empiriquement, puisque c'est le point de source premier, la condition de la pensée et de l'expérience. Le sujet n'a pas de contenu et il est toujours identique à lui-même. La connaissance empirique de l'homme concerne nécessairement autre chose que le sujet. Il est exprimé aussi bien par je, il ou ça. « Par ce "Je", ou cet "Il" ou ce "Cela" (la chose) qui pense, rien d’autre n’est représenté qu’un sujet transcendantal des pensées = x, que nous connaissons seulement par les pensées qui sont ses prédicats » (Critique de la raison pure, Paris, PUF, 1985, p. 281).
Une définition unifiée du sujet est impossible, car le terme cumule trop de sens différents et contradictoires. C'est pourquoi il paraît sage de laisser le terme de "sujet" aux doctrines qui s'en réclament avec précision (cartésianisme, kantisme) et d'utiliser le terme de "personne" pour désigner l'humain (voir Personne et Personnalité) ou encore celui d'agent en ce qui concerne les individus poursuivant une activité orientée par une finalité précise.
Personne (définition)
On connaît l’origine latine du terme personne, persona, le masque utilisé par l’acteur pour jouer un personnage. Le terme a pris ensuite un sens juridique servant à désigner, en droit romain, celui qui a une existence civile et des droits. Puis, le stoïcisme a opposé le personnage de la vie publique à la personne qui a une intériorité et une vie « personnelle » lui permettant de pratiquer la sagesse stoïcienne, quel que soit son rôle social. Dans le vocabulaire moderne, le mot désigne l’individu humain conscient et raisonnable, responsable de ses actes.
Sur le plan philosophique, on peut utiliser le terme de personne pour lier et coordonner deux aspects de l’homme, le premier, donné par un abord empirique, sa personnalité, et le second, qui concerne la dimension éthique et morale dont il est capable. La définition très large de John Locke est souvent citée : " ... un être pensant et intelligent, doué de raison, et de réflexion, et qui peut se considérer soi-même comme soi-même, une chose pensante en différents temps et lieux" (Essai sur l'entendement humain, II, chap. 11, § 9).
Par personnalité, on désigne les traits propres à l'individu qui se manifestent avec constance et régularité (voir la définition de personnalité) amenant l’identité et les particularités de chacun. L’individu humain a, outre une personnalité, une capacité intellectuelle, cognitive et représentationnelle lui permettant de se reconnaître comme l’auteur de ses actes et de juger de leur pertinence eu égard à la loi commune et aux lois sociales. L'ensemble des deux le constitue en tant que personne.
La capacité à assumer ses actions autorise "l’imputabilité", notion à la fois juridique et philosophique. Il s’agit d’attribuer une action ou une conduite à quelqu’un et de l’en rendre responsable. L’imputabilité impose une permanence de l’identité, une auto-attribution des conduites, un jugement. Ces aspects peuvent faire défaut si la personnalité et les capacités intellectuelles de l’individu sont, momentanément ou définitivement, déficientes, par exemple en cas de démence.
L’homme en tant que personne, c’est-à-dire comme personnalité pourvue d’une éthique, invite au respect. Sa responsabilité le rend respectable par les autres, s’ils se reconnaissent eux-même comme personnes. En termes kantiens, on dira que le respect pour la personne vient du respect pour la loi dont elle est porteuse. John Locke fait pencher l'usage vers le juridique en définissant la personne surtout par sa possibilité morale, l'assujettissement à des lois et sa responsabilité.
Mais, on peut ajouter que le respect qui se crée entre les personnes vient aussi de l’adhésion à une commune humanité. Ce qui élargit la personne vers l’humanité ou l’humanisation des individus, et conduit à l’idée humaniste d’une dignité de la personne humaine.
Ces deux aspects peuvent être trouvés dans la formule célèbre de Kant prescrivant de toujours considérer l’humanité comme une fin, pour soi-même comme pour autrui : « aussi bien dans ta personne que dans celle des autres », dit Kant dans les Fondements de la métaphysique des mœurs.
On peut faire de la « personne » le concept de la cohérence individuelle liant en chaque homme, identité, moralité et personnalité.
Identité (définition)
D’un point de vue formel, l’identité renvoie à une similitude absolue (notée, par exemple, A=A), mais, dans la réalité, l’identité renvoie à une similitude relative (telle chose A est, sous certains points de vue, identique à la chose B) ou à une permanence relative (la chose A reste identique à elle-même un certain temps).
L’identité ne peut être séparée du changement, car peu de choses sont immuables. Autrement dit, le concept d'identité cherche à cerner l’unité, la singularité et la permanence d’une entité réelle, bien que des changements l’affectent. Cela pose immédiatement une série de problèmes, à savoir, comment l’identité se constitue, se maintient, évolue.
La biologie applique le concept d'identité à des êtres vivants de taille et de complexité variables (cellule, organe, individu, espèce). Elle cherche à cerner ce qui fait qu'une entité vivante reste la même au cours du temps, alors que ses constituants se renouvellent sans cesse. Il s'agit de trouver des marqueurs de permanence pour les suivre au cours du temps et éventuellement noter leur transmission.
Identifier un élément vivant particulier implique de le distinguer des autres. L'identité impose une différenciation qui permette de repérer des entités se distinguant les unes des autres. En poursuivant la recherche vers des distinctions de plus en plus fines, on aboutit à une différenciation qui distingue complètement une entité d'une autre, lui donne une individualité.
Identité et différence cernées par des traits empiriquement identifiables renvoie à l'idée de caractère ou de caractéristiques qui permettent de définir une spécificité de genre, ou d'espèce. Ainsi, les cellules nerveuses se distinguent par des traits caractéristiques des cellules musculaires, mais elles ont en commun d’être des cellules. La notion d'identité en biologie tient compte à la fois qu'une entité vivante est singulière et qu'elle partage des caractéristiques communes avec d'autres.
En ce qui concerne l'identité humaine, l'affaire se complexifie. L'unité et la permanence ne concerne pas seulement la biologie humaine, mais aussi les aspects cognitifs, psychiques et socioculturels des individus.
Sur le plan psychique, l’identité peut être expliquée par la fonction de synthèse qui rassemble et unifie activement les identifications successives, les variations évolutives et les tendances contradictoires. La société donne à chacun une place, un nom, un rôle, elle assigne des règles de conduite, qui, assimilés individuellement via le psychisme et contrôlés collectivement, contribuent à l’identité humaine.
L’ensemble peut être mis en défaut, ce qui produit des vécus de flottement, de dédoublement, de perte d’identité ou des réactions défensives d’affirmation identitaire. L’identité est aussi un outils politique visant à identifier et repérer chaque personne pour la contraindre et lui imputer une responsabilité. L’identité renvoie aux concepts de personnalité et de caractère.
patrick juignet
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