La diversité des cultures est-elle un obstacle à l’unité du genre humain ?
« Comment peut-on être Persan ? » Par cette célèbre question Montesquieu montre , s’il en était besoin, que la différence culturelle ne va pas de soi , qu’elle étonne ceux qui n’ont pas voyagé et qui prennent leur culture pour modèle . Comment être Homme et n’être pas Européen ? Certes , nous ne sommes plus si naïfs et aurions même tendance à favoriser les identités , donc les différences culturelles de peur d’une uniformisation due à la mondialisation des échanges économiques . Entre cet étonnement devant la diversité et cette peur devant l’unité, que faut-il penser ?
« la diversité des cultures est un obstacle à l’unité du genre humain ? ».
Il s’agit de savoir si l’existence de particularismes multiples de langues , de religions , de mœurs interdit de penser l’unité du genre humain , c’est-à-dire , l’idée selon laquelle l’identité morale des hommes transcende leurs différences . Que signifient ces différences : sont-elles essentielles à notre identité ou simplement contingentes ? L’unité n’est-elle pas qu’une classification abstraite et générale , inexistante , par rapport à la réalité variée et concrète des cultures ? Si on considère que la diversité des cultures est un obstacle à l’unité du genre humain , c’est tout simplement parce qu’on considère que l’unité du genre humain doit passer par l’élimination de la multiplicité qui ruine l’entente entre les hommes , mais on risque alors la violence en cherchant à éliminer cette diversité par toutes sortes d’ethnocides et de colonisation culturelles ou même de génocide . Mais d’un autre côté, si on considère que la diversité des cultures n’est pas un obstacle à l’unité du genre humain , c’est parce que ,somme toute , « le genre humain » n’est qu’un concept théorique et purement abstrait qui n’ a aucun impact pratique et encore moins politique . Ainsi , il n’y a aucune difficulté à penser qu’il y a bien un genre humain qui subsume différentes espèces ou races : seuls existent les individus dont les caractéristiques communes constituent une classification intermédiaire : l’espèce ou la race , mais on le voit le risque est encore plus grand car il s’agit tout simplement de renoncer à penser l’unité du genre humain comme idée pratique ayant un pouvoir sur la réalité , c’est-à-dire comme un idéal guidant l’action morale et politique . Le problème concerne donc la réalisation de l’unité du genre humain : Doit-on considérer qu’il aboutit à la violence et que par conséquent il faut mieux y renoncer ou doit-on penser qu’on peut le réaliser sans violence et sans en désespérer . L’enjeu est d’autant plus important aujourd’hui que la mondialisation qui ne s’est faite qu’au niveau des échanges économiques engendre pour cette raison même ( les intérêts économiques sont toujours particuliers) des conflits et des guerres alors qu’il serait temps qu’elle se fasse sur le plan politique en instaurant la paix .
Ou bien
« Comment peut-on être Persan ? »…
Si on appelle diversité culturelle l’existence de particularismes religieux , linguistiques et historiques et si on appelle unité du genre humain la possibilité que les hommes vivent ensemble dans l’harmonie et la paix alors l’unité semble bien compromise et on peut dire que la diversité constitue un obstacle : la perénnité des guerres , les conflits inter-ethniques , la colonisation , l’ impérialisme en témoignent . Mais , si par genre humain on entend un concept purement classificatoire , alors le fait que nous ne soyons que des individus de certains groupes ou sous groupes ne pose pas foncièrement de difficulté parce que chacun sait que par définition , il y a toujours de multiples espèces dans un même genre . le probléme concerne donc ce qu’il faut entendre par l’unité du genre humain : s’agit-il d’un idéal moral et politique demandant le dépassement des particularismes culturels ou un concept purement classificatoire et sans effet qui favoriserait même au contraire cette diversité ? L’enjeu concerne la mondialisation : peut-elle être autre qu’économique ?
1 la diversité des cultures rend l’unité du genre humain problématique .
1.1 le concept de culture est multivoque , il désigne l’aptitude des hommes à dépasser la nature et à vivre dans un univers produit par l’homme lui-même ; c’est précisément ce qu’on appelle la culture par opposition à la nature mais à ce stade le concept de culture , s’il sert à définir l’homme en tant que tel ( il n’y a pas de bon sauvage , ni de mauvais d’ailleurs ) ne nous désigne pas une culture particulière . C’est bien au niveau ethnologique que la question posée prend sens . En effet , si tous les hommes ont une culture, ils n’ont pas tous la même !
C’est l’existence de cette multiplicité qui peut constituer l’ étonnement dont nous parlions plus haut et provoquer la haine de l’autre .La conscience de la diversité ne va pas de soi et il faut distinguer entre la conscience que nous en avons en 2011 et la découverte du Nouveau Monde par Colomb , par exemple . De part et d’autre , on se demande si les êtres en face de soi sont des hommes ou des dieux .
1.2 Les guerres, l’impérialisme , la colonisation , les ethnocides , les génocides sont autant de manifestations de cette incapacité à respecter la diversité . L’envahisseur considère que le colonisé doit accepter la culture dominante comme l’expression la plus haute de la culture humaine . Ainsi les Occidentaux ont-ils imposé aux autres peuples le baptême plus souvent par l’épée que par les paroles de l’Evangile …
1.3 C’est ce que soutiennent certains en parlant de la « mission civilisatrice de la France » en voulant que les manuels d’histoire insistent sur les « effets positifs de la colonisation » .Ou le tourisme, cette nouvelle version du colonialisme pour des Occidentaux en mal d’exotisme mais qui n’est bien souvent comme le rappelle F.Fanon que « la prostitution du peuple »
T° Une telle position est insoutenable parce qu’elle impose par la violence physique et /ou morale l’unité aux dépens de la diversité et qu’il s’agit d’une hégémonie culturelle bien plus que de la réalisation d’un idéal moral transcendant les cultures . Ne serait-il pas plus constructif et plus humain justement d’accepter la diversité comme telle et partant de renoncer à penser l’unité du genre humain comme idéal à réaliser ?
2 La reconnaissance des cultures est une conquête du bon sens sur un faux universalisme
2.1 Si on ne peut réaliser l’unité sans violence c’est que c’est sa recherche qui contient en germe cette violence et cette hégémonie . D’ailleurs il faudrait admettre que l’on puisse dégager des critères permettant de dégager un ordre or il n’y a pas de critères extra-culturels , ils proviennent tous de cultures particulières et aucune ne peut se prévaloir d’une supériorité morale sur l’autre sans retomber dans les erreurs du passé .
2.2 Ainsi Levi_Strauss nous renvoie-t-il à notre propre barbarie quand il rappelle que si nous ne mangeons pas nos ennemis comme les cannibales , nous avons la fâcheuse habitude de les « vomir » en les tenant isolés temporairement ou définitivement , ce qu’aucune société dite « primitive » ne fait …L’anthropophagie est-elle vraiment plus grave que l’anthropoémie ? cf Tristes tropiques 1955 p 447 sq pocket plon .
2.3 Nous ne devons donc pas chercher l’unité car celle –ci se confond trop avec l’unicité , il faut simplement admettre qu’il y a plusieurs façon d’être homme et que c’est cette diversité même qui constitue le réel , l’unité est purement conceptuelle et biologique : il n’y a en effet qu’un genre ou qu’une espèce humaine .
T° La position de l’équivalence des cultures semble beaucoup plus intéressante et beaucoup plus respectueuse des individus et des peuples mais elle aboutit au fait que nous n’avons pas à chercher des valeurs communes, des valeurs universelles capables de créer un espace commun . Au nom de quoi devrait-on imposer nos principes puisque ce ne sont que les nôtres ? Cette solution est-elle vraiment sage et raisonnable ? Devons-nous nous contenter de dire que notre seule ressemblance est celle que la biologie nous reconnaît mais que sur le plan de l’action , sur le plan vraiment humain , c’est-à-dire moral , tout est possible et tout ce qui se pratique est juste parce que c’est l’expression d’une culture ( cf l’excision ) ? Le renoncement d’une telle unité , si on comprend sa genèse, mène à une impasse, tant au plan national qu’au plan international . Le communautarisme n’est-il pas au plan national ce qu’est le relativisme au plan international ? Or les limites du communautarisme ne sont –elles pas le refus de penser le vivre ensemble , c’est-à-dire la négation même de la politique ? Vivre les uns à côté des autres et vivre les uns avec les autres ce n’est pas du tout la même chose . Les limites du relativisme culturel ne sont-elles pas celles très actuelles de la mondialisation ? si nous devons vivre les uns avec les autres ne serait-il pas indispensable de s’entendre sur des valeurs communes ?
3 l’unité comme idéal sans violence mais sans renoncement .
3-1 Certes une telle position a quelque chose d’utopique , pourtant il ne s’agit pas sous couvert d’Internet , de « face book » ou des séries télévisées d’imposer un modèle culturel en effet très discutable quoique très puissant , il s’agit de penser que des valeurs universelles qui transcendent les cultures sont possibles .
3-2 Que la reconnaissance des cultures n’implique pas le refus de juger certaines pratiques comme barbares ou inhumaines .Encore une fois , ce jugement ne doit pas aller que dans un seul sens , il est évident que si l’excision est une pratique barbare ,que la polygamie est incompatible avec l’égale dignité de la femme, la torture pratiquée par les Occidentaux l’est encore plus et malheureusement « il en va des Droits de L’Homme pour la France comme de la haute couture : les Français savent faire , ils savent très bien exporter mais consomment peu … » (propos récents d’un diplomate sur France Culture) .
3-3 Mais , faudrait-il , sous prétexte que ceux-là mêmes qui les ont institués ne se les appliquent pas , les abandonner ? Nous serions alors livrés au cynisme qui est cette attitude qui consiste à confondre le fait et le droit et à dire que puisque’une chose se fait c’est qu’elle doit se faire ! On ne peut confondre la morale et les mœurs , c’est –à-dire un idéal à réaliser avec ce qui se fait sans nier la conscience et tout combat pour la justice .
3-4 Dès lors , il faut œuvrer pour que les hommes puissent s’accorder en reconnaissant que la raison qui fait de nous des hommes est capable d ‘établir sur le plan de l’action pratique comme elle l’est sur le plan de la connaissance théorique , (nul ne conteste la valeur du 0 en disant qu’elle émane de la culture Arabe !) des Idées universelles .
Conclusion :
Réaliser l’unité des hommes par delà les cultures n’implique pas nécessairement l’uniformisation des vécus et des modes de vie , cela serait certainement cauchemardesque et une perte irréversible du génie humain (uniformisation des langues par ex au profit de l’anglais), il ne faut donc pas confondre l’unité et l’unicité ou l’égalité avec l’identité . La tâche cependant de dégager ce qui nous unit et à cet effet de renoncer à des pratiques ou des optiques incompatibles avec la dignité de la personne humaine ou avec la paix doit rester un horizon politique .
source :
Commenter cet article