" Tout oublier " est un texte sur la recherche du bonheur et la recherche du bonheur, c’est le core business de la philosophie. Donc : Aristote – Angèle : même combat. Donc petit exercice de pop philosophie sur " Tout oublier " - une chanson où Angèle et Roméo font de la philosophie – comme Monsieur Jourdain faisait de la prose : sans le savoir. Ils font de la philosophie en jogging Adidas…
" Tout oublier " commence par une phrase estropiée : " N’existe pas sans son contraire qui, lui, semble facile à trouver. "
Une phrase sans sujet. Sujet qui arrive dès la deuxième strophe : " Le bonheur n’existe que pour plaire. Je le veux. "
Si on remet tout dans l’ordre, ça donne " Le bonheur n’existe pas sans contraire – le malheur – qui, lui, semble facile à trouver " contrairement au bonheur qui est difficile à trouver.
Ensuite : " Je le veux. Enfin, je commence à douter d'en avoir vraiment rêvé. Est-ce une envie ? Parfois, j'me sens obligée. "
Il y aurait donc une obligation à être heureux… Dans notre société, le bonheur serait une injonction. Et Angèle a écrit la chanson au moment où elle traversait un moment triste de sa vie familiale où elle a senti l’obligation (" j’me sens obligée ") l’obligation de sourire.
Le bonheur serait donc une consigne, un impératif d’autant que " le spleen n’est plus à la mode, c’est pas compliqué d’être heureux. "
Façon ironique de dénoncer cette petite dictature du bonheur, en faisant référence au spleen baudelairien qui, lui, a la sale réputation d’être sombre et d’alimenter le plaisir de la tristesse… Or, aujourd’hui, le spleen ne serait plus à la mode. C’est la gaieté et la joie de vivre qui seraient tendance – et ce n’est pas si compliqué d’atteindre cet état…
Arrive ensuite la partie chantée par Roméo Elvis : " N’existe pas sans son contraire, une jeunesse pleine de sentiments " - c’est-à-dire une jeunesse tellement pleine de sentiments qu’elle n’arrive plus à les exprimer au risque de passer pour son contraire – une jeunesse vide de sentiments…
" L’ennui est inconditionnel. Je peux ressentir le malaise des gens qui dansent. " L’ennui ferait partie de notre condition humaine (il est inconditionnel) : on ne peut rien contre ce mal être que même les plaisirs de la danse n’arrive pas à camoufler…
D’où cette phrase : " Je peux ressentir le malaise des gens qui dansent ". C’est " La nausée " de Sartre sur le dance-floor…
Cette idée de haut-le-cœur existentiel de la jeunesse d’aujourd’hui, il y a un garçon qui a mis le doigt dessus pour montrer le chemin : Stromae (''Alors on danse").
On revient au texte d’Angèle et Roméo Elvis : " Essaie d'oublier que tu es seul, vieux souvenir comme l'ADSL. Et si tout l'monde t'a délaissé, ça s'est passé après les soldes. "
On notera l’allitération – figure de style où l’on répète plusieurs fois la même consonne : ici, seul, soldes, ADSL, délaissé.
Et la métaphore des " soldes " est assez terrible parce que, non seulement elle renvoie à la société de consommation mais aussi à l’état psychologique du personnage, qui ne trouve pas le bonheur et que tout le monde a délaissé : un peu comme un objet bradé, une chose qui a perdu la moitié de sa valeur…
Même si le propos d’Angèle et Roméo Elvis est candide et juvénile, il reste lucide sur le goût de dégoût que la vie nous met parfois en bouche… Et sans le faire exprès, les paroles de " Tout oublier " illustre deux grands courants philosophiques fondateurs :
L’épicurisme – qui est la recherche du bonheur à travers les plaisirs… On entend ce désir de plaisir quand Angèle dit " Le bonheur n’existe que pour plaire. Je le veux. "
Et surtout le stoïcisme – la maîtrise des sentiments qui permet de résister à la souffrance – qui est exprimé dans ce passage :
" Ferme les yeux, oublie que tu es toujours seul. Oublie qu'elle t'a blessé, oublie qu'il t'a trompé. Oublie que t'as perdu tout ce que t'avais. "
L’oubli de la douleur, c’est être plus fort que la douleur… D’où l’astuce stoïcienne d’Angèle pour atteindre le bonheur : tout oublier. Difficile à réaliser, d’où le conditionnel : il faudrait tout oublier…
Écoutez "Tout oublier" d'Angèle feat. Roméo Elvis
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